» L’Espagne est l’équipe à battre « 

Entretien essentiel avec un champion d’Europe 2008 qui a retrouvé la sélection après avoir été blessé lors du dernier Mondial et brillé à Malaga.

Sa carrière internationale a commencé à 23 ans avec l’EURO 2008. Santi Cazorla n’y a jamais été titulaire mais est entré au jeu à tous les matches – sauf en demi-finales – et toujours aux alentours de l’heure de jeu en remplacement d’Iniesta. En quarts de finale, il a marqué le deuxième tir au but contre l’Italie. En finale, il a remplacé Silva à la 66e et a donc activement participé à la conquête du titre.

Hélas pour lui, la Coupe du Monde 2010, il l’a loupée en raison d’une hernie discale. Mais depuis, il est un habitué de la sélection. L’été dernier, il a défrayé la chronique en Espagne, avec un transfert estimé à 23 millions d’euros. Il a permis à Malaga de se qualifier pour le tour préliminaire de la Ligue des Champions.

Dans le même temps, Villarreal ne s’est jamais remis de son départ : le sous-marin jaune a coulé en D2. Santi Cazorla nous a accordé une longue interview. Souriant, détendu, il a répondu à toutes les questions.  » Il est l’un des joueurs les plus agréables avec lesquels j’ai travaillé « , nous a avoué l’attachée de presse du club andalou, Susana Abella. Ah bon…

Santi, comment avez-vous vécu la conquête de ce titre de 2008 que l’Espagne attendait depuis 44 ans ?

SantiCazorla : Comme le sommet de ma carrière. Une ère nouvelle commençait pour le pays et j’ai eu le privilège d’être dans la mouvance.

Vous sortiez d’une saison exceptionnelle avec Villarreal, qui vous avait valu le trophée de meilleur joueur d’Espagne attribué par l’ex-hebdomadaire Don Balón…

Ce trophée récompensait le joueur ayant obtenu les meilleures notes sur l’ensemble de la saison, en additionnant les points attribués par les journalistes de la revue après chaque match. Je suis très fier qu’il m’ait été décerné, mais c’est toute l’équipe de Villarreal qui avait réalisé une saison extraordinaire : deuxième place en Liga, accès direct aux poules de la Ligue des Champions.

C’était déjà sous la direction de Manuel Pellegrini, votre entraîneur actuel à Malaga !

Nous avons passé quatre saisons ensemble à Villarreal. Nos chemins, qui s’étaient séparés, se sont de nouveau croisés. Je serai le dernier à m’en plaindre, car j’ai intégré un beau projet à Malaga. L’objectif initial était de terminer en ordre utile pour disputer une coupe européenne. Nous avons fait mieux : nous disputerons le tour préliminaire de la Ligue des Champions.

1m69, vif, technique : le prototype du footballeur espagnol

Cette saison exceptionnelle à Villarreal vous a valu une première convocation en équipe nationale à l’occasion de l’EURO 2008. Et là encore, ce fut bingo !

J’étais déjà heureux d’intégrer le groupe des 23. Je suis monté au jeu, après une bonne heure, lors du premier match contre la Russie. Nous avons gagné confortablement sur le score de 4-1. On l’ignorait encore, mais on allait retrouver la Russie en demi-finales. Avec une nouvelle victoire confortable à la clé, sur le score de 3-0.

Un match arbitré par Frank De Bleeckere…

Je ne me souviens plus de l’arbitre. Cela signifie sans doute qu’il a été bon. ( Ilrit) C’est le seul match de la compétition dans lequel je ne suis pas monté au jeu. Mais j’étais heureux d’avoir vu l’équipe l’emporter. La suite, on la connaît.

Comment expliquez-vous ce succès de l’Espagne ?

On a eu la chance de voir éclore une génération de footballeurs exceptionnels. Je ne dois pas les citer, tout le monde les connaît. Et derrière, il y a encore beaucoup de jeunes talentueux qui arrivent, et qui seront à leur tour aspirés vers le haut. L’avenir du football espagnol s’annonce radieux.

Cette émergence d’une génération dorée, est-ce le fruit du hasard ou d’un travail de longue haleine ?

Les deux. Les joueurs avaient un talent à la base. Mais, pour atteindre le niveau qui est le leur aujourd’hui, il ont aussi dû accomplir un travail quotidien.

Avec votre 1m69, vous êtes le prototype du joueur espagnol actuel : petite taille, mais grande vivacité, belle technique…

C’est en effet devenu la marque de fabrique de l’Espagne. Xavi Hernandez, Andrés Iniesta, Cesc Fabregas, David Silva, Juan Mata ont un profil similaire : ni très grands, ni très costauds, mais sachant jouer au football. L’équipe nationale développe désormais un style de jeu reconnaissable.

Comment en est-on arrivé à opter pour ce style de football ?

Le FC Barcelone a montré la voie. Les succès du club catalan ont amené de nombreux joueurs de ce club en sélection, où ils ont imposé leur style de jeu. Les joueurs des autres clubs ont adhéré à cette philosophie et ont accepté que l’Espagne joue plus ou moins de la même manière que les Blaugranas. Tout le monde se sent à l’aise dans ce style. Et les succès nous ont confortés dans l’idée que nous étions dans le bon. Le public apprécie également : ce type de football est agréable à regarder et procure des résultats, que demander de plus ?

La génération actuelle est composée de joueurs qui parlent tous le même langage footballistique, car il y a des Castillans, des Catalans, des Basques…

Quand on se retrouve en sélection, on fait abstraction de la région dont on provient. La politique de continuité appliquée depuis plusieurs années facilite cette osmose. On a vécu de grands moments ensemble et on a appris à se connaître. Cette continuité est aussi une clef du succès. Lorsqu’on doit intégrer de nouveaux joueurs, on perd du temps. Il faut parfois recommencer tout un travail de zéro. Aujourd’hui, les rares nouveaux s’intègrent facilement. Et les habitués retrouvent rapidement des automatismes. Chacun comprend directement ce qu’on attend de lui.

Si on s’en réfère à votre expérience personnelle : comment avez-vous gravi les échelons à partir des sélections de jeunes ?

Je suis un mauvais exemple : je n’ai intégré l’équipe nationale qu’à partir des Espoirs. Si on veut expliquer le succès de l’Espagne par le travail effectué depuis la base, je suis l’une des exceptions qui confirment la règle. Il n’empêche : de cette génération de U21 sont sortis de nombreux joueurs qui constituent aujourd’hui l’effectif de la Roja. Iniesta, Fabregas, Silva et Jesus Navas, pour ne citer qu’eux, en faisaient partie. Une belle brochette de talents. Malheureusement, nous n’étions pas parvenus à nous qualifier pour les Jeux olympiques 2008. Dommage, car nous aurions pu réaliser quelque chose de grand à Pékin.

Pas de rivalité en sélection

Vous êtes Asturien et jouez en Andalousie. Par rapport à la rivalité qui oppose le FC Barcelone au Real Madrid, vous êtes donc plutôt neutre ?

Je n’ai jamais été lié à l’un des deux grands du football espagnol et je n’ai jamais eu de préférence. Je me suis toujours consacré à 100 % au club dans lequel j’évoluais. D’abord Oviedo, où j’ai grandi, et où j’ai appris les premiers rudiments du football. Ma carrière professionnelle m’a amené à Villarreal, puis à Malaga. Lorsque je rejoins la sélection, je me trouve des affinités avec les joueurs de chaque camp. Cela ne pose aucun problème.

Comment se vit le sentiment d’être espagnol dans un pays qui compte autant de communautés différentes ?

Pour moi, revêtir le maillot de l’équipe nationale est un couronnement. Entendre l’hymne espagnol, défendre les couleurs de son pays : qu’y a-t-il de plus beau ? C’est un rêve qui s’est réalisé. Je pense que ce sentiment est partagé par tous les joueurs du groupe. Lorsqu’on rejoint la sélection, il n’y a plus de communauté qui compte : chacun se concentre sur l’objectif commun. Je ressens cette fibre espagnole dans la population également : lorsqu’on a remporté les deux derniers grands tournois, tout le pays était en liesse. A Madrid, à Barcelone, ailleurs : énormément de personnes sont descendues dans les rues.

A vous entendre, l’ambiance est donc très bonne en sélection ?

Tout à fait. Cela se reflète sur le terrain, je pense. Tout le monde tire à la même corde.

Il y a un an, lorsque des tensions ont surgi durant les Clásicos, l’inquiétude a néanmoins surgi. Iker Casillas a même pris son téléphone pour appeler Carles Puyol…

Tout le monde était préoccupé. On pouvait craindre que ces tensions aient des répercussions en équipe nationale. Casillas et Puyol sont à la fois de grands professionnels et de grands amis. Ils ont su faire la part des choses et ils ont rétabli le dialogue, pour autant qu’il ait été rompu. Il est clair qu’entre le Real et Barcelone, il y avait énormément d’intérêts en jeu. Chacun défendait ses couleurs lorsqu’il jouait dans son club ; une fois en sélection, tout cela était oublié. Le monde extérieur a beaucoup spéculé sur de possibles dissensions, mais rien ne s’est vérifié en interne.

Deux entraîneurs, une philosophie

Vous avez débuté en sélection avec Luis Aragonés et jouez aujourd’hui sous les ordres de Vicente Del Bosque : deux entraîneurs différents ?

Aucun entraîneur n’est pareil. Del Bosque a, dans les grandes lignes, poursuivi le chemin qu’Aragonés avait ouvert. S’ils ont des caractéristiques différentes et d’autres méthodes d’entraînement, leurs philosophies respectives sont fort similaires.

De prime abord, Aragonés semble plus dur, non ?

Pas plus dur, mais un peu plus nerveux, oui. Del Bosque est un homme tranquille, réfléchi, qui analyse davantage la situation. Tout le monde l’adore. Il est très proche de ses joueurs. Il ne se contente pas de dispenser des entraînements mais s’inquiète constamment de savoir si tout le monde se sent à l’aise. Tactiquement, il étudie le jeu des rivaux mais ne change jamais son système en fonction de l’adversaire. Ce qui l’intéresse, c’est le rendement de sa propre équipe. Je retiens surtout que l’Espagne a connu le succès avec les deux entraîneurs : Aragonés a remporté l’EURO, Del Bosque a remporté la Coupe du Monde.

Le Mondial, c’était sans vous. Comment avez-vous vécu le tournoi depuis votre maison des Asturies ?

Avec un mélange de joie et de déception, forcément. Content de voir l’équipe gagner et déçu de ne pas pouvoir participer à ce grand moment. J’ai beaucoup souffert pendant les matches : j’aurais aimé prêter main forte à mes coéquipiers. Et ce qui me préoccupait le plus, c’était mon hernie discale, qui mettait du temps à guérir. Je ne savais pas exactement quand j’allais pouvoir rejouer. Ce n’était pas la période la plus agréable de ma vie, mais je n’y pense plus. J’ai totalement récupéré. J’espère qu’après l’EURO 2012, une nouvelle opportunité de disputer une Coupe du Monde se présentera pour moi. Pourquoi pas au Brésil, en 2014 ?

Et l’EURO 2012, comment le voyez-vous ?

Le groupe se connaît. Del Bosque a reconduit la plupart des joueurs déjà présents lors des tournois précédents. Pourquoi changer une formule gagnante ? J’espère que cette continuité portera ses fruits, mais ce sera très compliqué. Aucun pays n’a encore réussi à devenir champion d’Europe deux fois d’affilée. Nous serons attendus au tournant et considérés comme l’équipe à battre. Si nous jouons à notre meilleur niveau, nous devrions pouvoir franchir le premier tour. Après, ce sont les éliminations directes et dans cette formule, aucune erreur n’est permise : un pas de travers et on rentre à la maison.

Le mix hispano-anglais : explosif

De plus en plus d’Espagnols jouent à l’étranger, et en particulier en Angleterre, un pays où l’on pratique un football très différent…

Ce n’est pas un problème. Lorsqu’ils reviennent en sélection, ces joueurs retrouvent vite leurs acquis de base. Ils apportent, en plus, ce qu’ils ont appris dans les Iles. Le mélange des deux est explosif.

Fernando Torres a vécu une saison difficile à Chelsea…

La pression qui pesait sur lui était terrible. Aujourd’hui, il a retrouvé la confiance qui lui a parfois manqué durant la saison. Le but qu’il a inscrit à Barcelone, en demi-finales de la Ligue des Champions, a dû lui faire le plus grand bien.

Etes-vous étonné que Roberto Soldado n’ait pas été retenu ?

C’est un choix du sélectionneur. Il y a profusion de grands joueurs en attaque.

L’Espagne peut aussi compter sur le meilleur gardien du monde…

Casillas ? Oui, il a réalisé des grandes choses en sélection. Mais Victor Valdés est aussi un grand. Et je m’en voudrais d’oublier Pepe Reina, que j’ai côtoyé à Villarreal et qui m’a beaucoup aidé lorsque j’ai intégré l’équipe nationale. Pour moi, il est au niveau des deux autres.

De grands gardiens, de grands attaquants, de grands milieux de terrain. Doit-on en déduire que le point faible de l’Espagne se situe en défense ?

Non, nous n’avons aucun point faible. Nous avons de grands joueurs dans toutes les lignes.

Certains internationaux apparaissent un peu fatigués…

La saison a été longue pour tout le monde, et encore plus pour les joueurs du Barça et du Real, qui ont joué la Ligue des Champions et la Coupe du Roi en plus de la Liga. Mais lorsqu’on aborde une compétition comme l’EURO, on trouve toujours des ressources. J’espère que tous les joueurs présents seront à 100 % de leurs capacités.

Qu’attendez-vous personnellement de ce tournoi ?

La concurrence est rude. Pour moi, le simple fait d’être repris dans le groupe est déjà un privilège. Si je peux apporter ma pierre à l’édifice dans la conquête d’un nouveau titre, ce sera du bonus.

Admirez-vous certains joueurs en particulier ?

Iniesta a toujours été un modèle pour moi. J’apprends énormément à son contact. Il a l’art de rendre très simples les choses les plus compliquées. Il joue dans le même registre que moi. C’est à la fois un concurrent et un ami. J’ai été très heureux lorsqu’il a offert la Coupe du Monde 2010 à l’Espagne.

Aurait-il mérité le Ballon d’Or ?

Il n’aurait pas déparé au palmarès. Tout comme Xavi, qui avait aussi livré une saison extraordinaire. Toute l’Espagne espérait qu’un Espagnol soit élu. Mais Lionel Messi est le meilleur joueur du monde.

2008, le déclic

Depuis 2008, une donnée a changé : l’Espagne sait désormais ce que gagner signifie.

Nous sommes convaincus de nos propres possibilités et le comportement du public, aussi, a changé. Après 44 ans d’échecs répétés, les supporters ne croyaient plus en nous. Cette année, ceux qui effectueront le voyage en Pologne et en Ukraine sont persuadés que nous pouvons remporter le tournoi.

Avant, il y avait de grands joueurs et de grands clubs en Espagne, mais pas de grande équipe nationale ?

Si, il y a eu de grandes équipes nationales aussi. Mais pour une raison ou l’autre, elles n’allaient jamais au bout.

Plusieurs explications étaient avancées : les joueurs arrivaient fatigués par une longue saison, les clubs étaient plus puissants que l’équipe nationale, la rivalité Madrid-Barcelone compliquait les choses. Quelle est la plus plausible ?

Je pense que, si l’Espagne n’a remporté aucun grand tournoi en 44 ans, c’était tout simplement dû aux circonstances. L’EURO 2008 a provoqué un déclic.

PAR DANIEL DEVOS – PHOTO: IMAGEGLOBE

 » Aragonés était plus nerveux. Del Bosque est un homme tranquille. Mais leurs philosophies respectives sont similaires. « 

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