» L’ÉQUIPE DE 1984 AURAIT PU ETRE LA MEILLEURE « 

Dans quelques jours, s’ils se qualifient, les Diables Rouges valideront leur ticket pour le cinquième EURO de leur histoire. Comment se sont déroulés les championnats précédents ? Georges Heylens, Wilfried Van Moer, Jan Ceulemans et Joos Valgaeren reviennent en arrière.

1972 -TÉMOIN : GEORGES HEYLENS

GEORGES HEYLENS :  » Le Mondial 1970 a été très décevant. Nous avions une bonne équipe mais que de problèmes là-bas ! On se disait : – Ne gagnons pas aujourd’hui, sinon il faudra rester une semaine de plus. Beaucoup de joueurs avaient le mal du pays. Ensuite, nous nous sommes fait la promesse de nous rattraper et d’être performants, pour ne pas jouer avec les pieds du public.

Lors du premier match de qualification, Paul Van Himst est resté sur la touche mais il est revenu dans l’équipe à partir de la victoire contre l’Ecosse. Il était fâché sur nous mais nous avons réussi à le convaincre de revenir. Il était notre capitaine, le meilleur joueur de Belgique et un des meilleurs du continent. Après la phase par poules, il y a eu un match aller-retour contre l’Italie. Le vainqueur était qualifié pour le tour final, à quatre. Nous avons fait 0-0 dans la Botte puis nous avons gagné 2-1. Pendant ce match, Bertini a cassé la jambe de Wilfried Van Moer, sur un méchant tacle. Wilfried a raté le tour final et nous avons dû nous organiser sans lui.

Goethals… Il était mon deuxième père. Il venait chez moi une fois par mois, pour discuter de football. Il prenait le pouls d’Anderlecht. Une fois, il a appris que mon magasin de sport, que je vais fermer après 55 ans, avait besoin d’argent frais. Il m’a dit : – Si c’est nécessaire, viens habiter chez moi. Quand votre patron vous dit ça, vous allez au feu pour lui. Finalement, Anderlecht m’a aidé.

Nous avions tous de l’expérience. Nous étions de bons techniciens mais aussi des battants. Raymond voulait toujours gagner. C’était le premier sélectionneur de cette sorte. Je respectais ses prédécesseurs mais ils n’avaient rien apporté. A cette époque, nous étions capables de battre n’importe qui, sauf peut-être l’Allemagne. En clubs comme avec l’équipe nationale, elle était notre ennemie, bien plus que les Pays-Bas, qui ne nous ont pas battus pendant des années. Raymond nous disait : – Les gars, contre les Pays-Bas, vous pouvez tout faire, sauf perdre. Mais l’Allemagne ne nous réussissait pas.

Ça s’est encore vu au Bosuil. Un moment, j’ai tiré au but. J’ai vu le gardien partir et saisir le ballon dans la lucarne. Je me suis demandé comment c’était possible. Maier était un tout grand portier. Piot a commis des erreurs sur les buts, ce dont il n’était pas coutumier. Peut-être avait-il un problème : on aurait dit qu’il n’était pas présent, pas concentré. Or, normalement, il était bon. C’était à cause du vent, a-t-il dit…

A Liège, pour la consolation, il n’y avait presque pas de monde tant la déception était grande. Le fait de n’avoir rien gagné au pays avec la génération du Mexique me reste sur l’estomac.  »

1980 – TÉMOIN : WILFRIED VAN MOER

WILFRIED VAN MOER :  » 1972… Je jouais bien contre l’Italie et vous connaissez les Transalpins… Je me suis dirigé vers le ballon mais Bertini m’a taclé, vraiment pour m’avoir. J’ai entendu un craquement. J’ai achevé la mi-temps, il restait une dizaine de minutes, mais c’était très douloureux. Goethals criait : -Piqûre, piqûre mais Roger Petit, mon patron au Standard, a dit que je devais arrêter. Il y a une clinique non loin d’Anderlecht. J’y suis allé à pied. On a fait une radiographie, on m’a mis un bandage et je suis revenu à pied, au coup de sifflet final. Je suis rentré en voiture à la maison. On ne m’a mis dans le plâtre que quelques jours plus tard. Si ça arrivait maintenant…

J’ai mis un terme à ma carrière internationale en 1976. Thys avait succédé à Goethals et il essayait des nouveaux joueurs. A ce moment-là, j’ai quitté le Standard pour Beringen et on m’a oublié. Je ne jouais plus aussi bien, j’ai ouvert un café à Hasselt. Il était sans doute logique que l’équipe nationale me laisse tomber, à 29 ans.

L’équipe a mal entamé les qualifications en 1978. Quatre nuls d’affilée, des critiques à la pelle. Un jour, après un match, on m’a dit que Thys était là. Il est venu me parler d’un retour. J’hésitais mais il a multiplié les arguments et j’ai accepté, non sans de grands doutes. J’avais peur de sombrer. Je connaissais bien Thys, nous nous étions souvent vus à Beveren, nous avions pris un verre ensemble, c’était toujours agréable. C’est aussi pour ça que j’ai accepté.

Thys écoutait mais faisait ce qu’il jugeait bon, comme beaucoup de ses collègues. Il était critiqué et sans cette qualification, il aurait sans doute été remplacé. Finalement, les événements ont pris une bonne tournure pour nous deux : il a poursuivi sa carrière dix ans et j’ai ajouté un second volet à ma carrière internationale. Je connaissais déjà Gerets, Vandereycken était un camarade. Le courant est immédiatement passé avec le Caje.

Nos ambitions ? Nous étions contents d’en être, à commencer par moi, vu mon âge. Personne ne pensait jouer la finale. Il y a eu des bagarres entre les supporters pendant le match contre l’Angleterre. On a même interrompu le match car Clemence souffrait des yeux. Du cinéma, selon moi. Nous avons mérité notre victoire contre l’Espagne et nous avons commencé à y croire : il nous suffisait de réussir un nul contre l’Italie.

Nous avons alors commencé à discuter des primes. Nous avions convenu un montant à l’avance et tout le monde était d’accord mais au fil du tournoi, nous trouvions que c’était trop peu : nous lisions dans les journaux ce que les autres équipes pouvaient gagner. Cinq, dix fois plus ! Nous avons réclamé plus, sous peine de faire grève. Imaginez-vous une grève en plein EURO ! Thys nous disait : – Allez, c’est l’heure de l’entraînement. Et nous, nous répondions non. Il nous a dit de tirer notre plan. Nous nous sommes quand même entraînés, plus tard. Pour rire.

Je n’ai disputé qu’une mi-temps contre l’Italie. Quelques minutes avant le repos, on m’a eu dans un duel. Un coup de genou dans la figure. J’étais groggy et je suis resté au vestiaire, par prudence. René en a attrapé un. Antognoni. Il a dû quitter le terrain aussi. A l’époque, on s’en tirait bien. En finale, il a converti le penalty.

Nous maîtrisions tous les systèmes : le hors-jeu, le contre, le catenaccio. Nous nous corrigions nous-mêmes. L’entraîneur faisait la composition puis c’était fini. Il y avait de l’ambiance, ce n’était pas comme au Mexique en 1970. Jean-Marie Pfaff ne pensait qu’à ses performances alors que pendant un tournoi, il faut pouvoir prendre un verre avec les autres. René buvait toujours du coca. Avec un sourire en coin. Notre franc a fini par tomber : il y avait quelque chose dans le coca. Ambiance ! Après la finale, nous avons picolé toute la nuit au bar de l’hôtel. Preud’homme a brusquement décidé d’apprendre le néerlandais, fatigué de devoir attendre qu’on lui traduise ce que nous racontions…

Hrubesch a été l’homme de la finale. Son premier but était superbe. Nous avons égalisé, nous dirigeant vers les prolongations et ça peut sembler bizarre mais je pense que nous étions meilleurs mais juste avant le coup de sifflet, Jean-Marie est sorti mais Hrubesch a été plus prompt. L’enfoiré a signé au Standard après. Mais bon, nous étions contents d’avoir atteint ce stade. Si j’ai échangé mon maillot ? (Sec.) Non, je n’aime pas trop les Allemands.  »

1984 – TÉMOIN : JAN CEULEMANS

JAN CEULEMANS :  » J’ai débarqué en 1977. Sans exagérer, jusqu’en 1980, on a fait appel à 60 joueurs. C’était la génération des doutes puis tout s’est mis en place. Un bon gardien, une défense capable de jouer en bloc et de tendre le piège du hors-jeu, sous les ordres de Walter Meeus. Des hommes raisonnables, chevronnés dans l’entrejeu et devant, des gars capables de marquer. Erwin était meilleur buteur d’Europe avec 39 réalisations, j’ai marqué 29 buts cette saison-là et Swat marquait aisément aussi. Van Moer complétait l’ensemble. Ce n’était pas un facile mais c’est le seul footballeur que j’ai admiré. Nous avions neuf à dix titulaires attitrés, comme maintenant. 1980 a été mon meilleur tournoi. Nous, les petits poucets, affrontions les grands d’Europe. J’avais 23 ans et tout cet intérêt me faisait rêver.

L’affaire Bellemans a éclaté peu avant l’Euro 84. L’enquête a dévoilé un scandale de corruption et d’argent noir. Plusieurs internationaux du Standard ont été suspendus. Si nous avions pu aligner notre équipe au complet, nous aurions été loin. En 1980, nous avions été la surprise. Quatre ans plus tard, cet effet s’était dissipé. Nous avions 27 ou 28 ans, nous étions au sommet de notre carrière. Les suspensions ont décapité notre défense, qui était notre point fort, et démantelé notre organisation.

Le jeune Grün s’est posté à droite, Clijsters et De Greef dans l’axe, De Wolf à gauche. Lambrichts a dû jouer contre la France, Lei s’étant blessé. Entre guillemets, nous devions aligner notre troisième choix. C’étaient de bons défenseurs mais pas à ce niveau. C’est un peu comme la discussion actuelle au sujet de Depoitre en Kums. Ils peuvent être repris dans les 25 mais qui vont-ils remplacer dans cette équipe ? Nous n’avions joué que deux matches amicaux avant d’affronter la France de Platini, Giresse, Tigana. La grandissime favorite. Nous avons pris des claques. Je l’ai souvent dit : les Standardmen se sont fait bêtement avoir et nous ont fait perdre beaucoup d’argent.

La victoire contre la Yougoslavie était méritée, avec un Enzo tout jeune. Le talent à venir. Comme nous avions des problèmes, l’entraîneur lui a accordé sa chance plus vite. Nous devions gagner ce match contre le Danemark. Nous menions par deux buts d’écart. Notre élimination a été une déception mais personnellement, je l’avais déjà ressentie avant le début du tournoi. Je me disais que ça allait aller mais au fond de moi, je savais que non.  »

2000 – TÉMOIN : JOOS VALGAEREN

JOOS VALGAEREN :  » La grande différence par rapport aux autres participants, c’est que nous étions qualifiés d’office. C’était peut-être un handicap : nous n’avons pas été affûtés par des matches à enjeu. Je jouais à Roda JC. Je pense que Robert Waseige envisageait de faire appel à Bob Peeters. C’est pour ça que lui ou ses scouts étaient régulièrement dans nos tribunes. Je jouais très bien contre les grandes équipes, mon timing était parfait. J’ai accompagné l’équipe en Italie, à Lecce, sans jouer. J’ai fait mon entrée contre le Portugal, à Charleroi. Contre Luis Figo. Ça s’est bien passé. J’ai dû jouer un rien plus vite et plus haut avec les Diables Rouges.

J’étais en défense avec Staelens, qui avait déjà 36 ans. Nous n’étions pas amis mais ça n’était pas nécessaire. J’étais jeune, il était un des plus âgés, d’une autre génération. Il était davantage footballeur, doté de vista et moi, j’avais l’énergie de la jeunesse. J’ai fait partie du noyau, sans plus. Je restais tranquillement dans mon coin, à mon habitude. Wilmots était un des leaders, le bras droit de Waseige. Je soupçonne qu’il déterminait déjà la tactique avec l’entraîneur. Gert aussi. Je n’ai pas de preuves, ce n’est qu’un sentiment. Et pourquoi pas, au fond ?

Nous logions à Lichtaart. Un endroit isolé. Ce n’était pas malin de la part de la fédé. J’y habite maintenant car pour une famille, c’est le paradis mais il aurait mieux valu nous loger dans une ville, pour que nous puissions aller manger un bout ou rencontrer des gens au lobby. Ça n’a pas dû être marrant pour les vedettes. Là, je suis peut-être naïf. Il est possible que ça ne se fasse pas durant un tournoi mais au Celtic, nous travaillions comme ça. Nous allions manger un bout, à sept ou huit. L’équipe nationale était trop renfermée. Ce n’était pas marrant. Heureusement qu’il y avait Joke Vande Velde (la petite amie d’Emile Mpenza, ndlr). Super pour la presse et une distraction pour nous. Les Flamands s’entendaient bien entre eux mais j’avais moins de contacts avec les autres comme Philippe Léonard qui arrivait en Ferrari. Après-coup, je trouve que nous n’avons pas mal joué mais nous avons commis quelques erreurs individuelles qui ont été fatales. On gagne le match d’ouverture, on joue bien contre l’Italie mais on se laisse piéger par plus malin. Nous étions nettement meilleurs que les Turcs mais je me souviens que, de l’arrière, j’ai dit : – Oh, les gars, un nul est bon ! Mais ils étaient lancés.

Filip De Wilde n’a pas disputé son meilleur tournoi. Une erreur dans le premier match, en voulant s’emparer d’un ballon du pied, qui s’est coincé. Ça fait mal à un gardien. Le duel de la tête contre Sükür… Un timing catastrophique. J’ai rarement vu Filip boire une bière, peut-être même jamais mais il en avait besoin après notre élimination contre la Turquie. Après son exclusion, Deflandre a pris place dans le but. De la comédie, hein !

L’équipe était très puissante. De Bilde n’a quasiment pas eu sa chance. Nilis pas beaucoup plus et Strupar n’en avait rien à foutre. Je pense qu’il n’était pas vraiment en pleine possession de ses moyens. De Bilde aurait peut-être pu créer la surprise. Nous étions forts physiquement mais pas sur le plan footballistique. Nous étions tous de bons joueurs, sur lesquels on pouvait compter, mais nous n’avions pas les éclairs de Hazard et Cie.  »

PAR PETER T’KINT – PHOTOS BELGAIMAGE

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