L’équation à multiples inconnues

Titi ne fait plus l’unanimité. Après une saison médiocre sous les couleurs barcelonaises, se pose même la question de sa titularisation en équipe de France. Option pourtant longtemps taboue.

Le 17 octobre dernier, Thierry Henry place les Bleus dans une position favorable pour accéder à l’Euro. Face à la Lituanie, il signe un doublé et devient le meilleur buteur de tous les temps de l’Equipe de France. Un record couvert sans réserve par une presse française unanime. Henry avec ses 43 buts au coup de sifflet final dépassait les 41 réalisations de MichelPlatini et rentrait dans la légende. Loin du lustre de la postérité, il s’offrait aussi un bon bol d’air après un début de saison poussif avec le Barça.

Une attitude controversée

En Catalogne, l’arrivée d’Henry fut saluée comme celle d’une star par les socios. Malgré les réserves émises par quelques techniciens sceptiques devant l’association des quatre Fantasticos (Henry, Samuel Eto’o, Ronaldinho, LionelMessi) et les conséquences de leur alignement sur l’équilibre de l’équipe, c’est bien l’enthousiasme qui prédominait devant la réunion de tels prodiges. Après quelques semaines de compétition et autant de contre-performances, le projet de dream team du président JoanLaporta prenait l’eau. Le Français focalisait alors les critiques sur son nom. En cause, son inefficacité et son attitude perçue comme arrogante. En France, la personnalité du natif des Ulis faisait déjà débat, mais seulement dans la population, loin des institutions de la presse. Seul Le Journal du Dimanche avait publié en décembre 2006 un article intitulé Ce qu’ils reprochent à Henry, une compilation de témoignages à charge, mais anonymes, de membres des Bleus et du staff. Morceaux choisis :  » Il a un melon énorme, on ne peut rien lui dire… Il est intelligent et brillant mais peut se montrer irascible. Quand on le lui fait remarquer il prétend qu’il a été éduqué comme ça « .

En France comme en Espagne, l’impassibilité du Français lors de ses célébrations de buts et ses reproches adressés à ses partenaires sur le terrain irritent, comme sa capacité à s’auto-promouvoir. Au terme d’un match de Ligue des Champions, quand un journaliste lui posa la question de son absence au palmarès du Ballon d’Or, Henry trouva une réponse plutôt flatteuse pour son ego, en rétorquant qu’un grand joueur comme Paolo Maldini non plus ne l’avait pas eu. Mais cette saison, par un jeu de ricochet, les critiques émises par la presse espagnole commençaient à parvenir, certes au compte-gouttes, dans des médias français encore soucieux de ne pas froisser l’icône nationale. Patrick Jauneau, détecteur de talents du Stade Rennais en Ile-de-France connaît Henry depuis ses treize ans :  » Pour moi, toutes ces critiques relèvent de la jalousie mal placée. Il est resté tel quel et n’a pas oublié d’où il vient. Henry est quelqu’un de profondément humble « .

Anelka et Benzema plutôt qu’Henry

A quelques semaines de l’Euro, les résultats d’une consultation organisée par RTL et L’Equipe tombent. Rayon attaquants des Bleus, KarimBenzema et NicolasAnelka devancent Henry. Au jeu des préférences, qui mesure au final plus la cote de popularité des joueurs que leurs qualités techniques – les 60 millions de sélectionneurs français n’étant pas plus spécialistes que les millions de supporters espagnols ou anglais – Henry se retrouve relégué sur le banc. L’attaquant n°1 des Bleus ne l’est plus aux yeux de la population. Résultat sans doute surprenant vu de l’étranger (sauf d’Espagne), où l’exattaquant d’Arsenal apparaît depuis la retraite de ZinédineZidane, comme le grand joueur français. Un constat : la cote de popularité de Henry a toujours été largement en-deçà de celle d’un Zidane, ou d’un FranckRibéry, nouvelle coqueluche des supporters bleus. Benzema et Anelka devant Henry, ce fut aussi le verdict du dernier match auquel prit part le Barcelonais sous le paletot au coq doré.

Le 6 février 2008, l’Espagne accueille la France, et l’ex- Gunner offre sa prestation la plus pathétique sous le maillot Bleu. Jamais dans le rythme, manquant de percussion, pourtant sa grande force, le fantôme d’Henry se traîne sur le terrain. A ses côtés Anelka virevolte et se donne des allures d’élément indispensable. Henry jouera les 90 minutes, Anelka sortira à l’heure de jeu remplacé par Benzema. Un Benzema particulièrement incisif. Sur ses rares ballons exploitables, le n°9 lyonnais fait tanguer violemment la défense espagnole à défaut d’inscrire un but égalisateur. L’Espagne l’emporte 1-0, le grand perdant du match se nomme Henry. Son mal-être barcelonais est profond, et même ses parenthèses bleues, lors desquelles il s’était toujours montré efficace à défaut d’être brillant, laissent désormais sceptique. De là à mettre sur la touche celui qui occupe les devants en sélection depuis 2002… Patrick Jauneau, pourtant grand admirateur d’Henry, franchit le pas :  » Aujourd’hui, des joueurs lui sont supérieurs. Mais c’est toujours un attaquant aux gestes de classe mondiale, et je suis convaincu qu’il pourrait beaucoup apporter sur 25-30 minutes « . Henry réduit au rang de super joker ?

L’homme de Domenech

Depuis ses années passées à coacher les Espoirs, Raymond Domenech a toujours apprécié Henry, le joueur et l’homme. Il l’admire, ne s’en cache pas, et le protège de toutes les attaques.  » Même si nous ne sommes pas dans le secret des Bleus, il existe indéniablement des affinités entre Henry et Domenech  » décrypte Frédéric Hantz, ex-entraîneur de Sochaux et du Mans.  » Ils ont confiance l’un en l’autre « .

Sous ce jour, l’hypothèse de voir le sélectionneur se passer du Barcelonais dans son onze paraît comme hautement improbable.  » Un sélectionneur se base sur la forme du moment mais aussi sur l’impact du joueur sur le groupe. Et en Bleu, Henry a prouvé qu’il savait répondre présent au moment voulu « , appuie Hantz. Avec l’équipe de France, l’ex- Gunner occupe son poste de prédilection, attaquant axial, et reçoit les ballons comme il les aime, dans la profondeur, où ses jambes véloces et puissantes font la différence.

Qu’il joue seul devant ou avec un binôme, jamais Domenech ne le cantonne sur un côté comme FrankRijkaard à Barcelone. Ce positionnement latéral a d’abord été la première explication avancée aux malheurs de Titi en Catalogne. Par les techniciens, et par l’intéressé lui-même, qui précisait en bon professionnel respecter le choix de son entraîneur et ne penser qu’à servir son équipe. Mais Henry abhorre ce rôle. A Arsenal il est devenu l’un des meilleurs attaquants du monde en tant que pointe unique, et quand il se retrouve en position d’ailier ou de deuxième attaquant qui l’avait révélé à Monaco, Henry semble perdu. A moins qu’il ne s’agisse de mauvaise volonté.

Jean Petit, membre historique du staff monégasque, l’a connu à ses débuts professionnels :  » A Arsenal il n’a jamais vraiment joué dans la position d’un avant-centre classique, même s’il jouait seul en pointe. Thierry partait du côté gauche pour repiquer dans l’axe « . Et placer ses fameuses frappes enroulées. En clair, comme le chante le rappeur Rohff, l’idole de Benzema,  » Je me suis fait tout seul… Je me fais la passe et marque tout seul « .

L’adjoint de Ricardo précise :  » Thierry peut jouer avec un autre attaquant, mais il doit lui ressembler, jouer comme lui dans la profondeur. A 19 ans, il combinait parfaitement avec David Trezeguet qui occupait la place de n°9, ce qui n’était plus le cas en Bleu ces dernières années. Quand les joueurs prennent de l’âge, les égos s’affirment. Si Eto’o, Ronaldinho, Deco, Henry avaient 19 ans, Rijkaard aurait sans doute passé une meilleure année. Henry a fait un mauvais choix en partant là-bas. A Arsenal, il y avait lui et les autres, à Barcelone il n’était qu’un parmi d’autres. Il devait servir BojanKrkic ou Eto’o, quand il jouait… Il a dû se sentir comme un bouche-trou et prendre un gros coup sur la tête « .

Henry en a plein le dos

La relative impasse barcelonaise – il a tout de même inscrit 12 buts – s’expliquerait donc autant par les choix stratégiques de Rijkaard, que par le manque de flexibilité tactique du Français. Mais Henry, lui-même, finit par avancer une autre explication à ses déboires. L’éloignement d’avec sa fille, élevée par son ex-femme en Angleterre, qui lui ferait perdre sa sérénité jusque sur le terrain.

 » Depuis que je suis arrivé à Barcelone, je ne vois quasiment plus ma fille… Depuis un petit moment, je suis sur les nerfs. Je fais des trucs que je n’ai pas l’habitude de faire « , déclarait-il à l’Equipe à la mi-mars. Confession d’ordre privée qui suivait sa sortie controversée du terrain face à Villarreal. Remplacé, Henry n’avait pas attendu la fin du match pour quitter le Camp Nou. Pour les media espagnols, se justifier sur le dos de ses ennuis familiaux fut assimilé à un manque d’élégance, voire à une stratégie de communication à la ficelle un peu trop grosse. Des deux côtés des Pyrénées, la personnalité du Français divise.

Plus inquiétant, à quelques jours de rejoindre les Bleus à Tignes, Henry déclarait qu’il songeait à faire ses adieux après l’Euro, en sous-entendant que son corps l’empêcherait peut-être de mener de pair carrière internationale et vie en club. La saison dernière à Arsenal, son corps avait donné les premiers signes d’usure. Victime d’une hernie discale en décembre 2006, et gêné par sa sciatique, il avait abrégé l’exercice 2006-2007 début mars. En décembre, il avait rechuté à Barcelone. Le mal le tiraillerait-il encore aujourd’hui ?

 » Pour moi tout part de là « , estime Jauneau.  » C’est un mal qui a l’air d’être récurrent et Thierry s’est toujours appuyé sur un gros travail de musculation au niveau des dorsaux « .

 » Quand un joueur n’est pas bien dans sa tête, physiquement ça ne va pas non plus « , balaie pour sa part Petit.

La France sceptique

Devant les interrogations que suscite l’état de forme d’Henry, Hantz se veut rassurant :  » En équipe de France, il a ses repères, joue à un poste qu’il apprécie « . A nouveau dans le rôle du n°1, de sauveur, Henry retrouverait tout son allant. L’équipe de France comme bain de jouvence, en somme.

Petit, dans le rôle du contradicteur :  » On est bien en sélection quand on est bien dans son club « . Comme Jauneau, le Monégasque verrait bien l’ex-protégé d’ Arsène Wenger donner la pleine mesure de son expérience et de ses qualités de percussion sur une petite demi-heure. Une option néanmoins pas sans risque selon lui :  » Pour accepter de bon c£ur de ne pas jouer quand on a son statut, il faut être costaud mentalement et en ce moment il est fragile. David Trezeguet, lui, aurait eu le mental pour ça…  »

Mais Domenech envisage t-il un seul instant se passer d’Henry ? Publiquement, il n’a jamais exprimé le moindre doute à propos de son leader d’attaque, quand il multipliait les déclarations byzantines à propos de Trezeguet. Aux yeux du sélectionneur, Henry semble avoir un statut de vache sacrée, comme LilianThuram, Patrick Vieira ou ClaudeMakélélé, avec qui il forme la colonne vertébrale des Bleus. Henry a pour lui la légitimité de son record de buts en Bleus et ses 174 buts en 254 matches en Premier League. Des statistiques qui ne se discutent pas mais qui n’empêchent pas d’être discutées.

En mars, le magazine français So Foot lançait le débat en faisant sa une sur Le problème Henry ? La mayonnaise prenait et l’institution L’Equipe consacrait quelques pages à un sujet longtemps tabou. Aujourd’hui c’est toute la France qui se pose la question..

par Thomas Goubin

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