« L’ÉPOQUE OÙ LE FOOTBALL ÉTAIT AU-DESSUS DES LOIS EST RÉVOLUE « 

Il ne veut pas encore s’exprimer sur son éventuelle candidature au poste de président de la FIFA. Mais le président français de l’UEFA a une vision :  » Nous devons veiller à ce que les meilleurs joueurs ne se retrouvent pas tous dans les mêmes clubs.  »

Le 28 août, tous les regards seront tournés vers Monaco, où se tiendra le tirage au sort des poules de la Ligue des Champions. Ce soir-là, sera aussi élu le meilleur joueur d’Europe de la saison. Parmi les dix nominés, un Belge : Eden Hazard. Ses concurrents sont : Buffon, Pogba, Pirlo, Vidal et Tévez (tous à la Juventus la saison dernière), Ronaldo du Real Madrid et les attaquants du Barça : Neymar, Messi et Suárez. Le successeur de Ronaldo se trouve probablement parmi les vainqueurs de la Ligue des Champions.

N’en avez-vous pas marre, de décerner sans cesse les trophées à des clubs espagnols ou à des joueurs évoluant dans ces clubs ?

Michel Platini :  » Non. La Ligue des Champions est une compétition très difficile, qu’aucun club n’a encore réussi à gagner deux années d’affilée. Avant, avec la Coupe d’Europe des Clubs Champions, c’était arrivé plusieurs fois : souvenez-vous de l’Ajax, du Bayern et de Liverpool. Je respecte toutes les équipes qui gagnent, car elles s’imposent au terme d’une saison très éprouvante. A mon époque, les choses sérieuses commençaient en quart de finale sur la scène européenne. Cinq matches plus tard, on connaissait le vainqueur. Aujourd’hui, on entre déjà dans le vif du sujet en septembre. Bien sûr, les équipes les plus costaudes atteignent toujours la phase à élimination directe, mais je n’ai encore jamais décerné le trophée à une équipe qui ne le méritait pas.  »

Vous voyez une différence entre le Barça de Guardiola et celui de Luis Enrique ?

Platini :  » Une énorme différence. Qui était l’attaquant de pointe, dans l’équipe de Pep Guardiola ? Lorsque le Barça a battu Santos 4-0 en finale intercontinentale à Tokyo, il n’y en avait pas. Messi et Fábregas étaient sur le terrain, il y avait beaucoup de mouvements. Aujourd’hui, il y a trois attaquants : Neymar, Suárez et Messi. Comment Barcelone a-t-il gagné la dernière finale ? Sur contre-attaque, à l’italienne. Cela n’arrivait pas, il y a quelques années. La Juventus a perdu la finale au moment où elle pensait pouvoir la gagner. Cela démontre qu’il faut adapter la tactique aux joueurs dont on dispose. Les joueurs évoluent et les entraîneurs ne sont pas stupides. Vous pensez qu’un coach peut dire : ‘Je joue de cette manière parce c’est mon intention ?’ Non, c’est parce qu’il dispose des joueurs nécessaires pour jouer de cette manière.  »

Le football est-t-il devenu plus rapide, ces dix dernières années ?

Platini :  » Pas les joueurs, en tout cas. Mais le football est mieux protégé. Grâce aux arbitres, mais aussi grâce aux ramasseurs de balles qui lancent directement un ballon de rechange, et aussi grâce à la règle de la passe en retrait vers le gardien… Les matches sont plus intenses. Peut-être les joueurs sont-ils mieux préparés, physiquement. Mais mon père disait toujours : ‘Michel, le ballon bougera toujours plus vite que toi.’ Je pense qu’aujourd’hui, on voit 20 minutes de football en plus à chaque match.  »

LA TIERCE-PROPRIÉTÉ : UN SCANDALE

Pourquoi trouve-t-on toujours les mêmes équipes au sommet ?

Platini :  » Les règles, en matière de transferts, ont changé. Dans les années 80, Hugo Sánchez jouait pour le Real Madrid. Durant sa meilleure saison, il a inscrit 38 buts, mais il n’avait pas, autour de lui, l’équipe qui existe aujourd’hui. À l’époque, en Espagne, le talent était réparti dans plusieurs équipes. Aujourd’hui, les meilleurs joueurs du monde se retrouvent dans un ou deux clubs. L’arrêt Bosman a bouleversé le paysage footballistique. Je pense qu’il est important de pouvoir corriger cela, à l’avenir. Si les meilleurs joueurs se retrouvent tous dans la même équipe, il n’y a plus de compétition. Il faut avoir une vision générale du football en Europe, pas se limiter à deux ou trois clubs. On ne peut pas lutter contre le principe de nationalité, je suis donc partisan de plus de joueurs home grown.  »

Le fair-play financier peut-il vous aider ?

Platini :  » Le principe fonctionne, en tout cas : les pertes globales des clubs européens sont passées de 1,7 milliard d’euros en 2011 à 400 millions d’euros en 2014. Aucun secteur ne résisterait à une perte de 1,7 milliard d’euros. L’époque où le football était au-dessus des lois est révolue. Les clubs doivent payer les joueurs et leurs impôts.  »

En Espagne, le président de la Ligue professionnelle est opposé à la suppression de la tierce-propriété. Selon lui, c’était le seul moyen, pour les petits clubs, de concurrencer les plus grands.

Platini :  » La FIFA a interdit la tierce-propriété et c’est une bonne chose. La tiercé-propriété transformait l’argent des clubs en argent pour des individus. L’argent du football était transféré vers des compagnies off-shore. Les clubs restaient pauvres, les individus s’enrichissaient. Les joueurs ne pouvaient plus rien décider eux-mêmes, ils devenaient un produit, des actions dans un fonds d’investissement. C’était scandaleux. Lorsque j’étais joueur, j’ai un jour fait la grève pour obtenir ma liberté à la fin de mon contrat. Pour ma part, ils peuvent aller au tribunal et celui-ci prendra la décision qu’il prendra, mais j’estime que, sur le plan moral, j’ai raison. La tierce-propriété met en cause l’intégrité des compétitions. Il y a un risque de conflit d’intérêt lorsque des individus ou des sociétés contrôlent différents joueurs dans différents clubs. Le manque de transparence peut aussi conduire à du blanchiment d’argent ou à d’autres situations criminelles.  »

Que pensez-vous du football féminin, avec deux pays européens en demi-finale du Championnat du Monde, et du récent Championnat d’Europe U21 ?

Platini :  » Le football féminin est en progression constante et l’UEFA continue à travailler à son développement. Le problème, c’est que le contexte financier est différent de celui du football masculin. Les femmes aimeraient avoir les mêmes compétitions, mais elles ne drainent pas autant d’argent. Longtemps, j’ai déclaré : ‘Ne me parlez pas de joueuses professionnelles, car il n’y a pas d’argent pour cela’. A moins de travailler avec les clubs professionnels qui existent déjà. On pourrait demander aux clubs de Premier League, de Serie A ou de Liga de créer une équipe féminine et d’y consacrer 10 % de leur budget. En ce qui concerne les U21, c’est bien d’avoir retrouvé des pays inédits en finale, avec le Portugal et la Suède. J’estime toutefois qu’à l’avenir, il faudra prendre des décisions. Car ce n’est pas un tournoi pour joueurs de moins de 21 ans : lorsque la compétition se termine, ils ont 23 ans. Ces compétitions de jeunes ont vu le jour parce qu’avant les joueurs se développaient grâce aux fédérations. Aujourd’hui, ils sont déjà affiliés à des clubs professionnels à 12 ou 13 ans.  »

Dernière question : le 26 février 2016, la FIFA élira son nouveau président…

Platini :  » Un peu de compréhension, s’il vous plaît. Je ne peux encore rien dire à ce sujet pour le moment.  »

PAR ESM-REPORTER ? PHOTO BELGAIMAGE

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