L’ennemi public

Le Standard a besoin de temps pour terminer sa mue mais son stade est impatient.

Il y a un an, le 22 août 2009, le Standard n’obtenait pas mieux qu’un match nul (1-1) contre les Zèbres du Pays de Charleroi. Sans utiliser de loupe, il suffit de jeter un regard sur la feuille de match de Standard-Courtrai de samedi passé (1-0) pour constater – si c’était encore nécessaire – à quel point l’effectif a profondément changé en douze mois.  » Nous avons besoin de temps et de patience « , avançait un Dominique D’Onofrio, froissé par l’attitude du public.  » Certains ne nous offrent rien de cela. Le club et les joueurs ont toujours respecté les supporters. Ici, les joueurs ont été déçus par le public. Ils ont choisi eux-mêmes de ne pas saluer la foule. Cela peut se comprendre…  »

Durant les vingt premières minutes de jeu, une partie du stade a hurlé sa colère, déployé des banderoles demandant ce que le club a fait de l’argent du succès.  » Le Standard a reculé de cinq ans « , affirment certains.  » Il y a douze ans, le Standard avait une ardoise de 20 millions d’euros « , réplique le T1 de Sclessin.  » Nous n’avons rien entendu à ce moment-là. Si on écoutait tous ces conseilleurs, on ne reculerait pas de cinq ans mais bien de douze ans. « 

Marcos, Mohammed Sarr, Cédric Collet, Wilfried Dalmat, Benjamin Nicaise, Igor de Camargo, Dieumerci Mbokani et Milan Jovanovic ne sont plus là. La saignée est énorme. Les plaies ne peuvent pas se cicatriser en un mois et les supporters ne l’admettent pas. Y a-t-il eu un manque de dialogue avec le public ?

Après la douche, on a entendu des supporters qui disaient :  » Mais qu’ils viennent donc discuter avec nous « . Sinan Bolat a conversé avec eux. Il fallait oser le faire. Les supporters en colère estiment que la haute direction a fait preuve d’un manque de vision à long terme. Ils ne sont pas contents de la campagne des transferts, pensent que leur club a acquis des joueurs blessés ou d’autres dont personne ne veut.

Luigi Pieroni est clairement visé, lui qui reste sur plusieurs échecs cuisants. Titularisé pour la première fois de la saison, il a répondu avec calme sur le terrain (un but) et maturité au moment des interviews :  » Je comprends la déception des supporters après un début de championnat en demi-teintes et un voyage catastrophique à Saint-Trond. C’est un grand club où la pression des résultats est très forte. Je ne la fuis pas, c’est même un moteur indispensable. Mais le public doit aussi comprendre que cette équipe est jeune. Elle relève un gros défi et je suis certain que cet effectif peut être digne de l’héritage et des souvenirs laissés par la précédente génération. Comme beaucoup de choses sont nouvelles, il faut un peu d’indulgence. Après une amorce de match difficile, nous avons progressivement pris le dessus sur Courtrai. Je ne dis pas que ce fut parfait mais tout le monde travaille et les choses se mettent en place. Pour ma part, je commence à connaître les mécanismes du collectif. Mes équipiers savent où et comment j’adore être servi. Et, plus globalement, la victoire importait plus que la manière. C’est un pas dans la bonne direction.  »

Insister avec les jeunes

Le calme de Pieroni aura-t-il un effet apaisant sur les supporters ? Leurs points de vue ne sont pas les mêmes que ceux du Standard où le staff prépare un nouveau cycle après un âge d’or révolu.  » C’est maintenant que nous avons besoin du soutien des vrais supporters, plus que quand tout va bien « , intervient DD.  » Nous nous lançons dans une aventure qui vient à peine de démarrer : on ne peut pas nous juger valablement après cinq matches quand même…  »

N’aurait-il pas été plus judicieux d’élaguer légèrement le vestiaire dès l’été 2009 pour éviter l’embourgeoisement (vite visible lors du défunt championnat) et les récents départs massifs ? C’est une des nombreuses questions posées par les supporters dans leur communiqué d’avant match. Ils ne comprennent pas les changements de caps brutaux. Pour eux, les fers de lance n’ont pas été remplacés. En août 2009, ils le savent, des offres intéressantes de clubs étrangers concernaient principalement les deux attaquants de pointe, Dieu et Jova. La tentation de les céder à Stuttgart, ou à un autre club, était grande. Bisou pouvait rapporter huit millions d’euros (libre, il est parti à Liverpool pour rien en fin 2009-2010). Mais n’aurait-on pas parlé de manque d’ambition si deux des héros des batailles de Liverpool et d’Everton s’étaient évadés vers d’autres horizons au lieu de découvrir la Ligue des Champions avec le Standard ? Oui, c’est sûr.

Un an plus tard, le Standard contemple un beau parcours européen dans le rétro mais cette gloire a fait exploser un vestiaire trop étriqué pour lutter sur les terrains belges et internationaux. L’esprit d’équipe a été secoué et usé par les intérêts individuels, les nervosités internes, le départ de Laszlo Bölöni remplacé par Dominique D’Onofrio et Jean-François de Sart, les tensions nées suite au drame Marcin WasilewskiAxelWitsel, etc. Le pari de Lucien D’Onofrio était simple : tourner la page, vendre Mbokani (désormais propriétaire d’une Bentley à Monaco) qui aurait perdu de la valeur si on l’avait obligé de rester au Standard, se défaire de joueurs auxquels il ne croyait plus (Marcos, Dalmat, Nicaise, Sarr…), insister avec les jeunes et tenter des coups comme il l’a toujours fait de Jova à Dieu en passant par Bolat, de Camargo, Steven Defour, etc.

On oublie que Jova et Dieu ont été acquis pour trois fois rien. Manchester City a dépensé sans compter mais ne figure pas en tête de la Premier League. Anderlecht a été écarté de la Ligue des Champions par le Partizan Belgrade qui a consacré 30.000 euros à sa politique des transferts, préférant louer des joueurs que de réaliser de gros achats.

Pour bien vivre sans plonger dans le rouge, le Standard est aussi obligé d’acheter avec prudence et de vendre régulièrement ses vedettes. Mais l’explique-t-on assez aux supporters ? Le message est-il passé à ce propos ? Il y a probablement eu incompréhension. Elle est en grande partie à la base du désamour actuel entre l’équipe et une partie de son public. La vente des bijoux de la couronne permettait déjà à Roger Petit de mettre du beurre dans les épinards. Et il en sera ainsi aussi quand Lucien D’Onofrio aura déposé la clef sous le paillasson. Ce dernier veut garder des noisettes pour les saisons difficiles, ne veut pas vivre à crédit et il faut tenir compte des échéances annuelles pour amortir l’Académie Robert Louis-Dreyfuss (coût : 16 millions d’euros, 5,5 millions à charge de la Région wallonne, 65 % étant assumé par le club). Enfin, il se chuchote qu’il faudra bien rembourser un jour les héritiers de RLD (20 millions d’euros sur un total de 33 millions investis au Standard ?) Tout cela représente beaucoup d’argent pour un club qui n’a pas autour de lui le même tissu économique qu’Anderlecht ou les grands clubs flamands.

Une autre rumeur non confirmée faisait état d’un découragement de LD, un peu déçu aussi du fait de ne pas pouvoir bâtir le stade de ses rêves sur un autre site que celui de Sclessin, etc. Cette nouvelle enceinte aurait été la cerise sur son gâteau. L’attitude des supporters ne doit pas le faire sourire. D’autre part, la guerre froide avec Anderlecht (surtout le duo Herman Van HolsbeeckPhilippe Collin) n’est-elle pas trop préoccupante ou lassante pour lui ? N’en a-t-il pas assez d’être décrit par d’autres comme l’élève le plus turbulent de la classe de D1 ?

Il est temps pour Defour et Witsel

A la manîuvre cet été, LD a estimé qu’il était temps que le duo Defour-Witsel assure totalement ses ambitions, devienne le nouveau centre vital du Standard. Pour eux, le moment de l’envol de la confirmation est arrivé mais seront-ils à la hauteur de leurs ambitions ? Ils ne peuvent plus s’appuyer sur Jovanovic, Mbokani ou de Camargo. Les deux Souliers d’Or restent sur une saison 2009-2010 hésitante pour diverses raisons : la suspension de Witsel, les blessures de Defour, etc. Il y aurait parfois eu du relâchement dans leur façon de vivre leur métier. LD les aurait prévenus : ils doivent prendre la direction des opérations. Leur avenir en dépend. S’ils n’assument pas, leur carrière ne sera pas aussi fastueuse qu’ils l’espéraient.

Leurs responsabilités sont décuplées. Ce sera lourd à porter. Parfois à la peine cette saison, Defour a beaucoup travaillé face à Courtrai. Et il a bien tendu le filet devant sa défense en fin de match. Même si ce n’est pas parfait, il y a progrès. En début de saison, Defour devait jouer plus haut. Cette ancienne position lui convient-elle encore ? Pas sûr car il aime décrocher et se placer devant un axe central défensif inexpérimenté. Eliaquim Mangala et Felipe sont terriblement imprécis à la relance et la stabilité de la défense en souffre. Ils ont besoin d’un relais technique devant eux, un joueur capable de les guider et de faire bon usage du ballon. A 19 ans, Mangala a un gros volume de jeu. Son enthousiasme lui joue encore de vilains tours. Sarr semblait plus capable que Felipe de lui apporter de la sérénité. Le public a chanté les mérites du Sénégalais parti en Espagne (Hercules Alicante). Même si Felipe ne rassure pas et multiplie les mauvaises passes, le Standard a opté pour la jeunesse. Les méchantes langues affirment que Sarr avait de… gros problèmes avec sa balance.

Excellent face à Courtrai, Laurent Ciman a trouvé ses marques à droite. Le Carolo apporte un démenti cinglant à ceux qui ne le croyaient pas taillé pour un club du top. A gauche, Sébastien Pocognoli était absent contre Courtrai en raison d’un surplus de cartes jaunes. Sous cape, il était question du spleen de l’arrière gauche. On affirme que la direction du Standard l’a toujours trouvé bon offensif mais moins dans son assiette sur le plan défensif. Tous les secteurs doivent progresser.

Toujours anti DD

L’homme le plus discuté par les supporters reste Dominique D’Onofrio. Une vieille tradition. Avant le match contre Courtrai, les frondeurs critiquaient son style de jeu trop vertical et affichaient son bilan en championnat depuis son retour aux affaires : 16 points sur 42. Avec 8 points sur 15 cette saison, il répond progressivement aux incrédules qui n’ont pas comptabilisé la bonne campagne européenne réalisée avec un effectif démobilisé en championnat. Or, la situation fut explosive dans le vestiaire. Succéder à Bölöni, même avec le soutien de Sergio Conceiçao après celui de Jean-François de Sart n’était pas un cadeau et reconstruire une nouvelle équipe ne l’est pas non plus. Conceiçao l’a soutenu deux fois la semaine passée face à la presse :  » Si Dominique part, je pars…  »

DD sera toujours discuté par le public et certains joueurs après leur départ de Sclessin. Son frère n’en a cure. La saison passée, si Bölöni était parti plus vite, ne dit-on pas que le Standard se serait intéressé à Frankie Vercauteren ? Les supporters auront toujours quelque chose à se mettre sous la dent au Standard. Rendez-vous contre le Cercle Bruges pour prouver que le retour dans le top 6 n’est pas provisoire… et voir si la vaisselle brisée n’était qu’une dispute d’amoureux.

par pierre bilil – photo: belga

Il se chuchote qu’il faudra bien rembourser un jour les héritiers de RLD

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