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 » L’ENJEU FONDAMENTAL, C’EST DE REGARDER AILLEURS QUE LE BALLON « 

Au complexe d’entraînement de Marcinelle, les travaux ne se font pas seulement à la pelleteuse. Dans les têtes aussi, la formation des jeunes Zèbres est en chantier. Les architectes du football carolo racontent leurs plans.

Dans un pays où tactique rime rarement avec aventure, le football à huit carolo sort des sentiers battus. Là où la formation des coaches à l’Union belge a répandu le  » double losange  » pour éduquer les jeunes footballeurs entre dix et treize ans, les Zèbres s’alignent avec un carré défensif, en 2-2-3.

Une originalité qui interpelle, et que raconte Alain Decuyper, directeur technique de l’école des jeunes de Charleroi depuis la fin de l’été 2015. L’homme reçoit dans son bureau, une imposante baie vitrée avec vue sur les installations d’un complexe de Marcinelle toujours en chantier, en compagnie d’Alex Teklak, arrivé l’hiver dernier pour distiller ses connaissances lors d’entraînements spécifiques.

À travers ce plan de jeu différent, la volonté est de former des joueurs plus intelligents, en ne les plaçant pas toujours dans des un-contre-un ?

ALAIN DECUYPER : C’est absolument notre intention. On la travaille avec une pré-éducation à la zone chez les petits. On cherche un équilibre entre la maîtrise technique et le raisonnement, en les mettant parfois dans des situations d’inconfort. Notre souci, c’est que ça se paie souvent lourdement dans des matches à huit contre huit, où tu as l’impression de faire un bon match mais sans l’avoir gagné.

ALEX TEKLAK : Mais ces matches-là, ils ne sont faits que de transitions.

Qu’est-ce qui rend l’exécution de ce système si difficile ?

DECUYPER : Le carré défensif doit gérer toute la largeur. Mais dans le foot à onze, ce n’est pas le cas. C’est pour ça qu’on a freiné les réticences de nos entraîneurs, parce que le problème n’existera plus une fois à onze. Et puis, 100 % des ballons qui partent sur un flanc finissent par arriver sur ton but. L’adversaire va gagner du terrain et prendre de la vitesse mais s’il se retrouve face à un bloc qui lui ferme le terrain, il va perdre cette vitesse, normalement devoir rejouer hors de ton bloc, donc tu peux remonter. Ce système est très riche, on y retrouve tous les principes du jeu en zone.

Parce qu’au final, avec la généralisation de la zone, tout le monde joue de la même façon et on se retrouve presque avec un retour à l’individuelle, non ?

TEKLAK : Oui, on se retrouve presque avec des marquages.

DECUYPER : C’est prévisible, constamment, et ça donne des matches ennuyeux. Donc on tente de leur inculquer la richesse du jeu en zone, offensivement. On essaie de leur faire prendre conscience que les zones sont des espaces dans lesquelles chacun peut passer à son tour. Il y a des formes de semi-polyvalence qu’il faut arriver à créer très tôt chez tes gamins, pour que le jeu soit plus attractif.

Où est-ce qu’on place la limite de cette polyvalence, alors que certains postes demandent des qualités bien spécifiques ?

DECUYPER : Je ne parlerais pas d’une polyvalence générale, mais plutôt ciblée. Tu as des postes voisins qui sont interchangeables. Ton ailier doit aussi être formé à être un joueur face au but, par exemple. Un numéro 9 qui serait trop prévisible, sauf s’il est surdéveloppé, il ne saura pas nécessairement toujours faire la différence.

TEKLAK : Il faut qu’il soit capable à un moment de participer à la progression du jeu, de faire des choses qui dépassent un peu ses fonctions de numéro 9. Et ce n’est pas facile quand un jeune est très typé, et qu’il marque des buts dans toutes ses catégories. Le fait qu’il fasse gagner des matches occulte d’autres problèmes dans sa formation.

Le développement physique trop précoce d’un jeune, c’est toujours le piège s’il se repose sur sa morphologie pour faire la différence…

DECUYPER : C’est un des problèmes majeurs de nos compétitions. Le gars contre lequel tu joues cette année-ci, ce sera encore le même l’année prochaine. Il faut essayer de ne pas attendre les espoirs pour qu’ils soient confrontés à autre chose. Et c’est pour ça que des initiatives où on mélange plusieurs catégories ensemble à l’entraînement, ça permet aussi de dire :  » Aujourd’hui tu vas jouer contre un défenseur qui a deux ans de plus que toi, ça va t’obliger à te dépasser.  »

Vous mélangez les catégories à l’entraînement ?

DECUYPER : Quand je suis arrivé ici la saison dernière, j’ai rapidement voulu lancer cette approche par décloisonnement. Deux équipes, voire trois qui s’entraînent en même temps, avec logiquement une augmentation du nombre d’entraîneurs. Il nous est donc arrivé d’avoir huit entraîneurs sur une surface de jeu où il y avait deux équipes. Cette saison, l’idée, c’est de développer l’individualisation, pour répondre à des besoins plus concrets et plus précis pour chaque enfant.

C’est indispensable d’en arriver à cette individualisation du travail ?

TEKLAK : On mène cette réflexion depuis longtemps. Le fait d’avoir beaucoup d’entraîneurs disponibles dans des groupes assez restreints influence beaucoup le comportement des enfants, l’implication qu’ils ont dans la répétition de l’exercice.

DECUYPER : Les gamins viennent plus longtemps le mercredi, ils travaillent en petites cellules avec un entraîneur, par modules, ce qui nous donne l’occasion de faire un travail un peu plus pointu. Grâce à ça, les gamins se sentent mieux accompagnés dans leurs besoins. Et certains accomplissent des progrès beaucoup plus vite que ce qu’on espérait.

TEKLAK : Là, tu perçois vraiment la raison pour laquelle le garçon n’arrive pas à le faire. Et ça, tu ne t’en rends pas forcément compte dans un match, où il y a beaucoup de choses qui se passent en même temps. Alors tu te dis :  » Oh il passe en dessous du ballon, son timing est mauvais.  » Oui, mais pourquoi il est mauvais ? Dans un exercice sur les trajectoires aériennes, tu sais vraiment voir pourquoi il manque ses interventions.

Ça vaut surtout pour les gestes défensifs, qui se voient moins ?

TEKLAK : Souvent, oui. En plus, ils se font massacrer pour ça. Parce que le geste défensif manqué, c’est tout de suite grave au niveau des conséquences.

DECUYPER : Mais au-delà du geste défensif, le fait de mettre un Toni Brogno au contact des attaquants par exemple… Ici on a des gros soucis de concrétisation. Et une répétition sous contrôle d’un gars qui te dit :  » Stop, passe-moi une balle « , il court et il te la met juste là où il faut. Le gamin regarde avec des yeux ébahis. Même s’il n’a jamais connu Toni Brogno, hein. Parce que quand je l’ai présenté aux garçons, des gamins de 11-12 ans, Toni Brogno…  » Ah oui, bon, il est aussi grand que nous  » (rires). Tu leur donnes son palmarès, ils sont toujours dubitatifs. Et puis, sur trois ballons, ils ont compris.

TEKLAK : Ce n’est pas seulement lié avec la carrière. Parce que je voyais notre coach technique la dernière fois, il fait des trucs dingues avec le ballon. J’ai du mal à dire s’il est gaucher ou droitier. Il leur montre un contrôle orienté, j’ai fait des yeux énormes. Les gamins ils voient ça, ils aiment bien. Savoir démontrer le geste, c’est super important au niveau de l’impact sur eux.

Cruijff disait qu’on apprend sur base de son propre corps. Quelle importance vous donnez au gabarit des joueurs dans votre recrutement ?

TEKLAK : Tu dois être dans le compromis, ce n’est pas facile. C’est la réalité de notre championnat. La spécificité du football belge fait que c’est comme ça.

DECUYPER : Quand tu vois comment ça joue en D1 belge, quand un Lokeren vient à Charleroi par exemple… Pour lutter contre ça, l’entraîneur de l’équipe première, il te dit qu’il lui faut du gabarit. Si tu mets un attaquant d’un mètre 65 contre une charnière centrale où les mecs font un mètre 90 et sont bâtis comme des murs, il faut déjà qu’il aille super vite et qu’il soit très mobile. Mais nous, on est dans cette conviction de ne pas rejeter nos petits gabarits, parce qu’il y a souvent du talent.

Comment vous choisissez ces talents ? Vous organisez des détections ?

DECUYPER : C’est un gros problème ici. Depuis un an, pour vous donner une idée, on a reçu 1.500 demandes de tests. On a fait une première volée de détections au mois de décembre. On essaie d’avoir, dans un premier temps, une grille d’analyse, un questionnaire que doit remplir le gamin pour voir un peu son background.

TEKLAK : C’est essentiel, je trouve. On ne va plus y échapper. Faire passer un entretien individuel, en tout cas. Parce que franchement, tu tombes parfois sur des tarés. Et je pense que c’est le lot de tous les clubs. Parfois, certains accordent des passe-droits à un joueur qui est exceptionnel. Mais quand en plus, tu as des mecs qui sont moyens en match et qui sont complètement tarés… Non.

DECUYPER : Sur le terrain, on va cibler un peu plus les postes où on a des besoins, mais on est évidemment ouvert au talent, on espère toujours voir arriver la petite pépite qui sort de nulle part.

En les observant dans un match à onze contre onze ?

DECUYPER : L’année passée, on avait fait des détections par vagues. D’abord des matches, avec une dizaine d’évaluateurs au bord du terrain et lors du débriefing, on sort quelques noms, qui rassemblent un maximum de jugements positifs. La deuxième fois, on les met en compétition avec des joueurs de chez nous. Ensuite, on les invite à un entraînement et on voit si ça fonctionne. On essaie d’avoir de filtres.

Ça n’empêche pas de rater des joueurs, parfois plus discrets ?

DECUYPER : Dans un match, il y a des fonctions qui sont plus discrètes par nature. Le bon arrière latéral, ce n’est pas toujours celui qui va mettre un bon centre, mais celui qui aura un bon positionnement, un coulissement intelligent quand le jeu est à l’opposé… C’est la rengaine du football, cette capacité à se décentrer du ballon. Pour moi, c’est un enjeu fondamental, dans la formation comme dans l’analyse : regarder ailleurs que le ballon. Il n’y a qu’un ballon pour 22. Quand tu as le ballon pendant deux minutes dans un match, tu es déjà exceptionnel. Ça veut dire que le reste du temps, tu n’as pas le ballon. Alors, tu joues un jeu d’occupation d’espace, d’intégration dans un bloc… C’est ça le foot.

C’est difficile de convaincre un parent de la complexité de cette formation, alors qu’eux ne regardent souvent que le résultat du week-end ?

DECUYPER : Nos entraînements sont à huis-clos, pour éviter le jugement des parents sur chacun des faits et gestes du formateur. L’analyse des contenus, de leur pertinence, de leur cohérence… C’est parfois mis au second plan parce que le résultat semble toujours être l’élément le plus significatif. Pour attirer un nouveau jeune, nous on met en avant le contenu par exemple. Mais la qualité de ce contenu, les gens de l’extérieur vont le juger par des résultats chiffrés, des classements. Nous, on est convaincu que ce plan va nous amener à une amélioration de la qualité de notre jeu, et donc de nos résultats. Mais ça prend du temps…

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Un coach qui sait montrer un geste, c’est super important au niveau de l’impact sur les jeunes.  » ALEX TEKLAK

 » D’ici deux ou trois ans, on devrait voir des jeunes du club en équipe première.  » ALAIN DE CUYPER

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