L’enfant du Brésil

Le triple vainqueur de Roland Garros est vraiment un tennisman atypique.

Déjà vainqueur dans la première moitié de la saison des tournois de Buenos Aires, Acapulco, Monte-Carlo et Roland Garros, Gustavo Kuerten a confirmé son incroyable talent durant un été où il s’est également imposé à Stuttgart et à Cincinnati.

Il est loin le temps où ce jeune homme aux cheveux bouclés et à la tenue jaune fluorescente faisait un malheur dans les allées de la Porte d’Auteuil. Généreux sur les courts, le Brésilien trône en tête des classements ATP. Ce qui n’empêche pas ce grand amateur de surf et de guitare de rester simple et sympathique.

En décembre dernier, vous avez remporté la Masters Cup à Lisbonne et êtes devenu le premier joueur sud-américain à terminer la saison à la première place mondiale.

Gustavo Kuerten: Un effet incroyable! Ma finale contre Agassi était la dernière rencontre de l’année. Je savais que je devrais puiser jusqu’au plus profond de mes ressources pour la gagner. Ma victoire en demi-finale contre Sampras m’a donné une motivation énorme. Je savais que je pouvais gagner le titre et battre Safin sur le fil.

Comment avez-vous vécu les derniers mois de la défunte saison? La lutte a été très serrée jusqu’au bout.

Je crois que ce fut l’une des saisons les plus palpitantes que l’ATP ait jamais connue. Trois mois avant l’épilogue, personne ne pouvait dire qui remporterait la palme. J’ai été longtemps n°1, puis il y a eu Agassi, Safin, Norman. Même Sampras était encore en course. Les demi-finales à Lisbonne furent disputées par les quatre vainqueurs en Grand Chelem. Le scénario parfait! Pour moi, ce que j’ai réalisé fut immense. Jamais je n’ai cru que je réaliserais une telle chose un jour. Si on m’avait dit au début du tournoi que pour être N°1, il me fallait battre Kafelnikov, Sampras et Agassi, j’aurais dit: -Je n’ai aucune chance! Franchement, je ne sais toujours pas comment j’y suis arrivé mais je l’ai fait.

Et c’est cela qui compte. Il m’a fallu du temps pour réaliser la portée de mon exploit. Il fut absolument fabuleux pour le Brésil. Si j’avais été journaliste, je crois que j’aurais pu écrire un journal entier sur le Masters! ( il rit) Les Brésiliens deviennent fous grâce à mes performances. Ils commencent à voyager et à me suivre sur le Tour. Quand ils me voient à l’oeuvre, ils oublient leurs problèmes. Je crois que je leur apporte du bonheur et cela me rend évidemment heureux.

« Les Brésiliens aiment fêter une grande victoire »

La célébration après Lisbonne n’a pas été triste.

C’est vrai mais nous autres Brésiliens aimons célébrer une grande victoire. De plus, il fallait faire la fête parce que nous n’avons rien au Brésil, pas un tournoi, pas un Grand Chelem, quelques challengers tout au plus. Notre fédération n’a rien à voir avec celles de certains pays d’Europe ou aux Etats-Unis. C’est pourquoi, à chaque fois que nous autres Brésiliens obtenions quelque chose, c’était d’office important. Ce que j’ai réalisé fut au-delà de toutes les espérances, même les plus folles.

Vous êtes en ce moment même N°1 mondial. Vous considérez-vous comme une star de votre sport ou comme le meilleur joueur du monde?

Si je commence à raisonner de la sorte, je vais me reposer sur mes lauriers et ne ferai plus tout ce qu’il faut pour rester au top. Pour moi, chaque jour est un nouveau défi.

Vous vous appuyez énormément sur le support du public…

Les spectateurs me procurent les plus grandes sensations, les plus belles vibrations. Ce sont des émotions que peu de joueurs ressentent mais pour moi, elles sont mon moteur. J’ai beaucoup de charisme et les gens me traitent avec beaucoup de sensibilité. La vie est remplie d’émotions. C’est pourquoi vous me voyez rire mais aussi pleurer. J’essaie de jouer en les ressentant au maximum.

Et à Roland Garros, vous avez dessiné un coeur à même le sol avec votre raquette. C’était votre manière de remercier les Français?

Oui parce que sans eux, je n’aurais jamais battu l’Américain Russell contre lequel j’ai dû écarter deux balles de match en huitième de finale. Il m’a soutenu dans les moments difficiles et je ne l’ai pas oublié.

« Je ne me compare pas aux autres »

Votre troisième victoire à la Porte d’Auteuil vous a placé dans un cercle très restreint de joueurs. Seuls Lendl et Borg y sont arrivés avant vous.

Je ne cherche pas à me comparer à d’autres joueurs. Je suis content, sans plus, parce que même dans mes rêves les plus fous, je ne me suis jamais vu gagner trois fois à Paris.

Ce sourire que vous affichez souvent en match, pensez-vous pouvoir l’exhiber encore longtemps?

Mais oui! Vous savez, j’aime beaucoup m’amuser et il se fait que le tennis m’amuse beaucoup. Ce n’est pas toujours le cas. Parfois, les choses ne tournent pas comme vous le souhaitez et vous êtes insatisfait. Mais dans l’ensemble, je n’ai à me plaindre de quoi que ce soit. Tout a été parfait, depuis le jour où j’ai commencé à jouer. Je dois juste apprécier tout ce que j’ai réalisé. La manière dont je vois les choses est, je crois, très importante. Ce que j’ai accompli jusqu’ici, je le considère comme un don du ciel.

Quand j’avais 8 ans, et même lorsque j’en avais 12 ou 13, je venais d’une d’une petite ville comme Florianopolis et j’étais maladroit…

Vos succès face à des joueurs comme Agassi et Sampras doivent avoir une valeur ajoutée, non?

Exact. Eux, ils ont été façonnés pour devenir des champions. Pas moi. Jeune, je n’ai pas pu disputer des tournois dans mon pays pour bâtir ma confiance. Il a fallu que je prenne mon baluchon à travers le monde et que je prenne des risques. Les choses ont heureusement commencé à bien tourner. J’estime être quelqu’un de chanceux mais je sais aussi qu’il m’a fallu être fort et avoir une très grande détermination pour y arriver.

Y a-t-il des joueurs qui vous ont inspiré lorsque vous étiez gamin?

Lorsque j’étais jeune, j’ai beaucoup admiré Borg. Il avait quelque chose de plus que tous les autres. McEnroe me plaisait également. Quand j’ai commencé à jouer un peu plus sérieusement, je me suis inspiré de Jaime Oncins, un Brésilien qui a été dans le Top 30 ou 40. Il y eut également le Lendl en fin de carrière. Le sérieux qu’il mettait dans son travail était épatant. Mais Sampras est incroyable. Je l’admire. Ma victoire face à lui au Masters a été un summum.

« Ma famille, ma mère, ma grand-mère »

Vous aimez vous entourer de vos amis les plus proches. On voit beaucoup les membres de votre famille dans les tribunes. C’est important?

Très important. Ils me procurent une motivation supplémentaire. Celle-ci provient essentiellement de ma mère. Comme toutes les mamans, elle ressent ce que je ressens sur le court. Et elle le vit aussi intensément que moi. J’essaie de partager mes émotions avec elle et elle essaie de m’aider à repousser toujours plus loin mes limites. Je suis aussi fier d’elle qu’elle ne l’est de moi. Et puis, il y a ma grand-mère. Elle a 82 ans. A Camboriu, mon village au Brésil, mon appartement est situé à côté du sien et ce n’est pas un hasard. Lorsqu’elle me rejoint en tournois, je l’envoie espionner mes futurs adversaires. Elle me donne ses avis ( il rit).

Vous parlez peu de votre père qui a disparu lorsque vous aviez 10 ans.

( il interrompt) Mes souvenirs de lui sont peu nombreux. Je me souviens qu’il est parti beaucoup trop tôt d’une crise cardiaque alors qu’il arbitrait un match de tennis. C’était une personne très importante dans ma vie. Je l’aimais beaucoup. Ce fut une période très difficile.

On vous voit souvent accompagné de votre guitare. Quand avez-vous commencé à jouer?

Il y a deux ans. Je joue tous les jours à raison d’une heure par jour. Mes amis aiment beaucoup m’entendre mais j’ai parfois des problèmes avec mes voisins à l’hôtel!

Parmi vos autres hobbies, il y a bien sûr le surf…

A chaque fois que je suis au Brésil! Ce qui veut dire, malheureusement, que je n’en fais pas souvent. J’aime le surf parce qu’il me permet d’oublier complètement le tennis. Quand je surfe sur une bonne vague, je ne pense à rien d’autre. Ma plage, c’est Praia Brava. J’aime les endroits reculés. J’aime être seul sur la plage. Quand je suis chez moi, j’y vais entre deux sessions d’entraînements, souvent sur le temps du midi. Si les vagues sont bonnes, je sors ma planche. Sinon, je reste allongé sur le sable.

« L’Amsud se réveille »

Sentez-vous un respect particulier à votre égard lorsque vous affrontez un Sud-américain?

Oui. Rios, Lapentti et moi-même avons montré la voie à suivre. Après nous, on a commencé à voir un changement dans nos régions. Je prévois un grand futur pour l’Amérique du Sud. Avec les jeunes qui arrivent, nous sommes parés pour les dix prochaines années. L’argent manque mais cela n’empêche pas les grands talents. Les Argentins, par exemple, sont des gens qui aiment les défis. Ce sont eux qui poussent en ce moment pour arriver au sommet. Et le circuit international tel qu’il est conçu ne nous aide pas. Sur les douze mois de l’année, il n’y en a que trois qui se déroulent sur terre battue. Les autres font la part belle aux surfaces rapides où nous avons moins de chances de triompher. C’est pourquoi notre réussite n’en est que plus remarquable.

On vous revoit à Roland Garros l’année de votre premier succès en 1997. Vous ne passiez pas inaperçu avec votre tenue et vos chaussures jaunes. A chaque conférence de presse, vous plaisantiez sur le fait que vous n’aviez aucune tenue de rechange parce que Diadora ne pensait jamais vous voir aller si loin dans le tournoi. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis.

Particulièrement ces deux dernières années. Je ne sais pas réellement pourquoi les choses ont commencé à merveilleusement fonctionner pour moi. J’ai fait ma place dans une ère dominée par Sampras et Agassi et je remercie tous les jours le ciel pour cela. En fait, j’estime que je reçois beaucoup plus que je ne devrais. Bien sûr je travaille beaucoup, j’essaie de m’amuser tout en offrant du plaisir au public et je veux donner à chaque fois le meilleur de moi-même. Je sais que cette euphorie ne durera pas éternellement et c’est la raison pour laquelle je veux savourer chaque instant de ma carrière.

« Il faut se reposer »

A quoi attribuez-vous votre incroyable réussite cet été?

Au break que j’ai observé pendant Wimbledon. Je me suis reposé pendant trois semaines et cela m’a fait le plus grand bien. Il le fallait parce que mon corps commençait à donner des signes de relâchement. La saison de terre battue étant très courte, je joue beaucoup pendant cette période parce que j’ai besoin de beaucoup de matches pour arriver en pleine forme à Paris.

Que faites-vous quand vous êtes en vacances?

Je fais du surf et je reste en famille, au calme en essayant d’oublier ma raquette. Le fait d’habiter sur une île comme Florianopolis me détend. J’y suis connu mais je peux me déplacer comme je le souhaite sans être bousculé.

Il vous arrive de porter des verres de contact. Quel est votre problème exactement?

Je suis à la fois astigmate et myope. Mais cela ne me pose aucun problème la journée. C’est plutôt lors des sessions nocturnes que je mets mes verres. Sans quoi, je ne verrais pas la balle.

A 24 ans, vous passez déjà pour un ancien. Aimez-vous toujours voyager?

Le problème pour moi est d’habiter au Brésil. Mon pays est loin de tout. Je ne peux pas me permettre de revenir me ressourcer chez moi entre deux tournois. C’est beaucoup trop loin! Un Américain ou un Européen peut très bien jouer pendant six mois sur son continent. Pour moi, le problème est simple: si je ne voyage pas, je ne joue pas au tennis. Oui, j’aime toujours beaucoup mon métier. Les satisfactions qu’il me procure sont nombreuses même si ce n’est pas facile tous les jours.

Après avoir été N°1 mondial, qu’est-ce qui vous motive encore?

Le moment présent. Chaque tournoi auquel je prends part est une motivation nouvelle. En ce mois d’août, c’est l’US Open qui me tient éveillé. Puis il y aura un autre rendez-vous où je voudrai bien faire.

Avez-vous le sentiment d’avoir dû sacrifier beaucoup de choses qui vous étaient chères pour arriver où vous êtes?

Franchement, non. Je crois faire au contraire beaucoup plus de choses différentes aujourd’hui qu’il y a dix ans. Et je les apprécie plus qu’avant.

Paolo Leonardi

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