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L’EMPIRE DU MILIEU

Le talent était là depuis toujours. Il manquait seulement un plan. Celui de René Weiler, pourtant loin des codes de la maison, a rendu les clés du championnat au milieu de terrain mauve. Voici comment Anderlecht règne sur la Terre du Milieu.

Débarqué à Bruxelles avec l’étiquette de joueur le plus cher de l’histoire du football belge, Nicolae Stanciu s’était confié quelques jours après son arrivée sur les atouts du groupe mauve. Le Roumain frappe en plein coeur :  » La qualité technique de ce groupe est grande, avec Dendoncker, Tielemans ou Hanni.  » Que des milieux de terrain. Stanciu raconte là l’histoire bien connue d’un club qui s’est écrite avec des pieds d’artistes, habitués à écoeurer la concurrence en lui confisquant le ballon.

Mais l’histoire n’est visiblement pas le domaine de prédilection de René Weiler. Le coach suisse, qui avait déclaré dans la salle de presse du Freethiel que  » la tradition ne marque pas de buts « , a décidé de réinventer le football mauve. La possession aristocratique, un peu trop estampillée XXe siècle à cause de son manque de rythme, est passée à la trappe au fil des mois.

En début de saison déjà, Weiler prévenait dans le Nieuwsblad :  » Avec le ballon, ces joueurs sont très forts. Ils doivent seulement encore comprendre que le concept de domination ne fonctionne pas seulement quand on a la balle. Presser haut, récupérer le ballon dès que possible pour pouvoir lancer un contre rapidement, ça manque encore dans ce onze.  »

Neuf mois plus tard, le nouveau football anderlechtois a été mis au monde. Le Sporting est en tête du championnat et a atteint les quarts de finale de l’Europa League avec 46,9 % de possession de balle (le pourcentage le plus bas des huit dernières équipes en lice) et 74,6 % de passes réussies. Tout a changé. Tout, ou presque.

Parce qu’après avoir été sauvée par les miracles de Lukasz Teodorczyk à la fin de l’année 2016, la bande mauve a rendu le pouvoir à son milieu de terrain si puissant. Youri Tielemans, incarnation du milieu à l’anderlechtoise, est directement impliqué dans 43 % des 28 buts inscrits par le Sporting depuis l’entrée en 2017, avec sept buts et cinq passes décisives. Et derrière lui, il faut encore passer sur les corps omniprésents de Sofiane Hanni (deux buts, cinq passes décisives) et de Nicolae Stanciu (quatre buts, trois assists) avant de retrouver la trace de l’artificier polonais (quatre buts, une passe décisive).

LE DEMI-TOUR DE TIELEMANS

La construction de ce qu’Ivan Leko a présenté dans nos pages comme  » le meilleur milieu de terrain du pays  » n’a pas été instantanée. Dans l’interview qu’il a concédée à Marc Degryse au mois de novembre, René Weiler pointait du doigt les problèmes rencontrés dans la construction de son football :  » Ce que nous avons maintenant, c’est une sélection qui peut battre tout le monde, mais seulement sur base du talent individuel. Parce qu’il n’y a pas d’équipe.  »

Le coach suisse désigne notamment les carences de son entrejeu, où  » tous les joueurs demandent le ballon dans les pieds : Dendoncker ne va jamais en profondeur, et Tielemans a toujours le visage tourné vers son but quand il reçoit le ballon.  »

La supériorité technique du milieu mauve est déjà évidente avant le Nouvel An, mais elle ne s’écrit pas sur le tableau d’affichage. Damien Marcq l’explique à sa manière, quand il confie à Sport/Foot Magazine que  » Tielemans devrait quasiment finir comme meilleur passeur du championnat « , alors que les chiffres du wonderboy de Neerpede restent relativement confidentiels en début de saison.

Le changement de cap se produit véritablement lors de la trêve hivernale. À La Manga, Anderlecht travaille vite. C’est David Sesa, adjoint de Weiler, qui l’explique à la RTBF :  » En championnat de Belgique, si tu ne joues pas rapidement, tu as des difficultés pour gagner des matches. On fait donc des exercices où les joueurs doivent penser et jouer plus vite.  »

La passe rapide et verticale devient alors le nouveau credo de saint-Guidon, et les chiffres de Tielemans s’en ressentent :  » seulement  » 74 % de passes réussies lors des deux premiers matches des play-offs, mais surtout deux occasions créées par mi-temps (3 tirs et 5 passes-clé au total). Les yeux de Youri sont désormais tournés vers le but adverse.

TREBEL AU PRESSING

Dans un football toujours plus fermé, René Weiler a ses idées à lui pour inventer de l’espace. Et elles ne passent pas par les pieds géniaux d’un numéro 10, comme le veut la tradition bruxelloise. D’ailleurs, ce nouvel Anderlecht joue sans 10. Parce que le Suisse est plutôt à ranger dans le camp des disciples de Jürgen Klopp, qui a un jour déclaré que son gegenpressing (contre-pressing, qui consiste à presser l’adversaire de façon très agressive dès la perte de balle) était le meilleur meneur de jeu du monde :

 » Si tu récupères le ballon haut sur le terrain, proche du but, tu es seulement à une passe d’une très bonne occasion, la plupart du temps. Aucun numéro 10 au monde ne peut être aussi bon qu’une bonne situation de gegenpressing.  » Weiler opine, lui qui confie que  » de temps en temps, on peut aussi laisser délibérément le ballon à l’adversaire.  »

Pour installer son système, Weiler a insisté au mois de janvier pour faire venir Adrien Trebel au Parc Astrid. Le Français, amené à incarner le rôle de pitbull dévolu à Steven Defour avant son départ pour l’Angleterre, a lui-même présenté les qualités qui avaient séduit son nouvel entraîneur suisse :  » René Weiler m’a dit qu’il cherchait un joueur comme moi, capable de produire beaucoup d’efforts et de ratisser des ballons.  »

Avec neuf ballons récupérés, deux tirs au but et trois occasions créées face à Zulte Waregem, Trebel a parfaitement incarné le rôle du milieu de terrain weilerien. Un peu plus haut sur le terrain avec le ballon, alors que sa position en perte de balle était identique à celle du Français dans le 4-1-4-1 anderlechtois, Tielemans a quitté la pelouse du stade Arc-en-ciel avec six récupérations, deux tirs (dont un but) et quatre occasions créées (dont une passe décisive).

Anderlecht ne presse pas toujours très haut, mais se montre très agressif dès que le milieu de terrain adverse reçoit le ballon. À Waregem, Teodorczyk a commis trois fautes dans le camp adverse dans la première demi-heure, souvent en chargeant dans les pieds de Soualiho Meïté.

L’ENTONNOIR DENDONCKER

Le pressing anderlechtois forme alors un entonnoir itinérant, au bout duquel se trouve systématiquement Leander Dendoncker. Impressionnant par son volume physique et son sens du placement, le jeune international belge ne laisse presque jamais le ballon atteindre sa ligne arrière. Depuis le début des play-offs, Leander facture 22 récupérations en 180 minutes, soit une toutes les huit minutes de jeu. Un chiffre qui trouve également écho sur la scène européenne, où ses 3,3 ballons récupérés par match en font l’un des spécialistes de l’Europa League en la matière.

 » Dendoncker, il est partout « , confie Meïté à la DH après le match inaugural des play-offs.  » Avec lui, les joueurs devant sont tranquilles.  » Le géant belge joue les machines à laver dans l’entrejeu et semble être le seul joueur du onze à avoir le droit d’assurer la continuité d’une phase de possession qu’il vient souvent d’entamer. Avec 93 % de passes réussies depuis le début des play-offs, Leander est l’assurance du système de jeu anderlechtois, et met à profit une formation-maison où les dégagements à l’emporte-pièce étaient interdits pour remettre inlassablement le football mauve dans le bon sens.

Chacune des passes vers l’avant de Dendoncker semble lancer un compte à rebours, au bout duquel un tir au but doit inévitablement survenir. Anderlecht a planté quinze buts en reconversion rapide cette saison, un record à l’échelle nationale. Parce qu’avec Weiler, la passe n’est plus le ciment du jeu anderlechtois. Aucun de ses joueurs n’a d’ailleurs réussi plus de trente passes contre Gand, et la moyenne des cinquante passes par match n’est atteinte par aucun mauve en Europa League (44,6 pour Dendoncker, 44,2 pour Tielemans), là où les rois de la passe ont placé le cruise-control bien plus haut : Ander Herrera, le milieu de terrain de Manchester United, trône ainsi à 96,8 passes par rencontre depuis le coup d’envoi de la compétition.

HANNI ET STANCIU POUR FINIR

Au Sporting, les décapsuleurs offensifs ne perdent pas de temps. Stanciu et Hanni foncent vers le but, pour conclure à leur manière. L’Algérien percute sans relâche, tentant généralement un dribble (11 réussis en Europa League) pour se rapprocher du but (16 tirs et 21 passes-clés en C2, soit une occasion tous les quarts d’heure).

Car Hanni  » joue pour être décisif « , comme il nous le déclarait en février dernier :  » Je préférerai toujours mettre un but ou donner un assist que faire trois petits ponts.  » Et le capitaine des Mauves est une infatigable machine à créer des occasions. La preuve avec les chiffres de ses débuts de play-offs, pourtant en demi-teinte : avec sept occasions créées en deux matches, il est le deuxième joueur dans le domaine en PO1, juste derrière Franck Berrier (8) qui, contrairement à lui, botte les phases arrêtées de son équipe. Le déchet est inévitable, car la prise de risques est maximale : en Coupe d’Europe, Hanni pointe seulement à 67 % de passes réussies.

Et Stanciu ? Il frappe. Partout, tout le temps. Comme s’il était sur un ring, avec des gants de boxe au bout des pieds. Le Roumain a déjà balancé 38 tirs vers les cages adverses en Europa League, record de la compétition. Plus buteur que passeur (neuf buts et six passes décisives depuis le début de saison), l’homme le plus cher de l’histoire du football belge a augmenté son rendement depuis janvier, en se retrouvant impliqué dans un quart des buts de l’artillerie mauve en 2017.

Des chiffres éclipsés par ceux de Youri Tielemans, mais qui prouvent une nouvelle fois que les milieux de terrain anderlechtois ont compris les consignes d’un René Weiler qui veut les voir arriver le plus souvent et le plus rapidement possible aux abords du rectangle adverse.

L’amour du ballon aurait-il disparu de la capitale ? Puisque René Weiler ne parle (presque) plus, c’est encore Jürgen Klopp qui répond à la question, à l’occasion de ses premiers mots comme coach de Liverpool :  » Tout le monde parle de possession, mais nous devons surtout avoir un plan quand on a le ballon et un plan quand on ne l’a pas.  »

Une doctrine épousée par le coach des Mauves. Un Suisse qui ne joue pas la montre, apôtre d’un football où tout va très vite, quitte à perdre en précision. Parce que finalement, un ballon perdu est souvent le début d’une occasion de but. Surtout quand les pieds les plus talentueux de Belgique se donnent rendez-vous autour du rond central du stade Constant Vanden Stock.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

Plus buteur que passeur, Nicolae Stanciu a augmenté son rendement depuis janvier en se retrouvant impliqué dans un quart des buts de l’artillerie mauve en 2017.

Avec René Weiler, la passe n’est plus le ciment du jeu anderlechtois.

Anderlecht ne presse pas toujours très haut, mais se montre très agressif dès que le milieu de terrain adverse reçoit le ballon.

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