L’élégante

L’ancien champion de tennis connaît fort bien la sprinteuse. Ils se sont entraînés ensemble!

Il y a quelques années, il m’arrivait de m’entraîner avec la nouvelle coqueluche de l’athlétisme belge à Louvain. Nous partagions également la salle de fitness réservée à la section sport-études. Pendant que je peaufinais ma condition physique, Kim Gevaert (24 ans depuis le 5 août dernier) squattait le tartan. Mon entraîneur et moi-même nous sommes souvent demandé combien de temps nous pourrions tenir la vitesse de course de l’athlète de Kampenhout. Moins d’un mètre, selon nos estimations! C’était formidable de voir Kim débouler sur la piste. Un mélange de technique couplée à l’élégance, la force, la souplesse, la grâce et l’intelligence: tout ça à la fois. Aujourd’hui, Kim est devenue malgré elle la figure de proue de l’athlétisme belge.

As-tu toujours rêvéde ce qui t’arrive aujourd’hui?

Kim Gevaert: Les résultats atteints performances sur 100m et 200m aux Championnats d’Europe de Munich dépassent les espoirs que je nourrissais au début de ma carrière sportive. Il y a trois ou quatre ans, j’ai commencé à sentir que je pouvais franchir une étape supplémentaire. Evidemment, c’est plus facile à dire qu’à réaliser. Maintenant que j’ai concrétisé cet espoir, je n’en suis que plus heureuse.

Tu passionnes les gens. Presque la moitié de la Belgique t’a accueillie à Zaventem. Tu es devenue une personnalité. Et du même coup, le petit monde de l’athlétisme respirait une bouffée d’air pur…

Oui, certainement. L’affaire Mourhit a jeté beaucoup de discrédit sur notre sport en Belgique. Dans ce contexte, mes perfs sont tombées à pic.

Pourtant, à peine une semaine après Munich, on retrouvait tes résultats du meeting de Linz à côté de la rubrique du tiercé…

(Elle rit) J’avais anticipé ce retour de manivelle de la part des médias. Tout compte fait, Linz n’est qu’un meeting de deuxième catégorie. Mais en football, on parle même des divisions provinciales! Il reste encore pas mal de chemin à parcourir pour promouvoir notre sport, même si on entrevoit des améliorations auprès du grand public. Prenez par exemple les chronos: personne ne peut réellement estimer ce que vaut un temps de 11 »15 sur 100m. Si je cours en 11 »30, la plupart des gens penseront que je ne suis pas très éloignée du chrono de référence. Mais en athlétisme, 15 centièmes de différence, c’est énorme. Les passionnés d’athlétisme suivent ce sport quotidiennement, comparent les temps, les performances, assimilent sans cesse de nouveaux noms…

Les attentes du public ne changent-elles pas?

Il ne faut pas oublier qu’à Munich, j’ai terminé deuxième mais au niveau européen, pas mondial. J’avais peur que les gens, par exemple au Mémorial Van Damme, pensent que je puisse désormais battre Marion Jones. Ce n’est évidemment pas le cas: Jones a tout simplement une classe de plus que moi. Certains me surestiment, mais ils comprendront avec le temps que l’on ne court pas vraiment dans la même catégorie.

On arrive à la fin de la saison des meetings. Es-tu encore motivée?

Oui parce qu’à chaque meeting je revois des athlètes que j’apprécie (elle rit). Ce qui me déplaît, ce sont les trajets en avion, faire et défaire mes bagages et ne pas dormir dans mon propre lit. Sinon, le circuit pro me manque assez rapidement. J’aime l’ambiance particulière des meetings. « Il y a une bonne entente entre les athlètes »

Apparemment, l’entente est bonne entre les athlètes, contrairement à l’idée qu’on se fait des disciplines individuelles?

Je ne ressens en tout cas pas d’individualisme. Bien sûr, il y a des filles avec lesquelles je n’ai absolument aucun contact, mais il y en a d’autres avec lesquelles je rigole jusqu’à un quart d’heure avant la course. La fin de saison est typique pour cela, l’ambiance plus relâchée même si bien sûr tout le monde vise encore les meilleures perfs.

Tu as tenu des propos très durs à l’égard de Thanou, la sprinteuse grecque qui a remporté le 100m aux Championnats de Munich…

Je n’ai pas commencé. Ils m’ont posé des questions et j’y ai répondu, c’est tout. J’ai dit que je trouvais antisportif de ne pas l’avoir vue à l’oeuvre au cours des meetings précédents. Je dis simplement que c’est étrange et que j’ai mes doutes. Mais après la finale de Munich, j’ai aussi déclaré: tant que rien n’est prouvé dans les faits, elle est clean pour moi. Maintenant, c’est comme si j’avais noirci sa prestation alors que je pense sincèrement qu’elle mérite sa médaille d’or et qu’elle a beaucoup travaillé pour l’obtenir.

Cela te viendrait-il à l’esprit d’utiliser des produits prohibés?

Je ne pense pas en avoir besoin (elle rit). Mais je peux comprendre que certains athlètes soient tentés de le faire. S’il te manque un dixième de seconde pour appartenir au top mondial, tu estimeras peut-être que franchir la limite n’est qu’un petit pas à faire. Mais moi-même je ne le ferai jamais. Ce n’est pas dans ma nature d’expérimenter avec des produits dopants. Beaucoup de ces substances sont d’ailleurs dangereuses pour le corps et moi, je privilégierai toujours ma santé.

Penses-tu qu’il soit impossible de bannir le dopage en athlétisme?

L’éradiquer totalement me paraît en effet peu probable. Mais je suis convaincue qu’on peut en limiter l’usage. Je pense que de nombreux produits, mis à part l’EPO, sont devenus très repérables et que de nombreux athlètes font attention. Ce constat est visible dans le monde du sprint. Je gagne une médaille d’argent aux CE en réalisant 22 »50 sur 200m alors qu’il y a quelque temps il fallait réaliser autour des 22 » pour faire partie des premières. Ces chronos ne seront plus atteints, même pas par Marion Jones. A mon sens, les produits les plus dopants ont disparu du circuit.

Je t’ai suivi plusieurs fois à l’entraînement à Louvain. Je trouvais ça très ennuyeux…

(elle rit) Evidemment, mais pour moi il y a beaucoup de variations dans une session. Trois fois par semaine je fais de la musculation, dont un entraînement spécifique de bonds. Le reste du travail s’effectue sur la piste, et là aussi cela varie. Parfois je cours des 300 ou 400m, parfois de la vitesse pure, des départs. « Il faut réfléchir à son entraînement »

Tu travailles depuis longtemps avec ton entraîneur, Rudi Diels. Comment arrive-t-il à ne pas tomber dans la routine?

Cela fait cinq ou six ans qu’il est mon entraîneur. Beaucoup de choses ont changé dans ses méthodes d’entraînement. Avant je buvais ses paroles sans broncher, je suivais son programme. Mais depuis lors, j’ai appris à mieux connaître mon corps et les exercices dont il a besoin. J’écoute donc davantage mon corps. Je rencontre aussi régulièrement d’autres entraîneurs, à Londres par exemple où je me suis rendue deux fois. Je récolte des nouveautés qui donnent un autre accent à ma préparation. Il faut de la variation dans ce que je fais et surtout bien réfléchir à ce que tu fais.

Ce qui m’a frappé c’est la patience des sprinters qui s’échauffent des heures durant pour courir 10 secondes!

C’est logique. Tu dois avoir tellement d’explosivité au départ de la course que le moindre relâchement, le manque d’échauffement ou de stretching, peut être fatal pour tes muscles. Il est donc essentiel de rester en mouvement pour ne pas se blesser.

As-tu un petit rituel pour être au mieux avant un sprint?

Je l’ignore. Souvent, il m’arrive de discuter avec les athlètes jusqu’à un quart d’heure du départ. Mais ensuite, je ne dis plus rien, je me concentre totalement sur la course. Et au moment de rentrer dans les starting blocks, ma seule pensée est de prendre le départ le plus rapide. J’essaie de chasser toutes les autres pensées de mon cerveau. Je m’accroche aux mots démarrer rapidement et je les répète en moi-même. Cela m’aide assez bien.

Utilises-tu un accompagnement psychologique?

Je rentre à l’occasion en contact avec un psychologue du sport via l’organisation Atletiek Vlaanderen, ce que je trouve intéressant. Il se tient à notre disposition, mais je dois bien avouer que je ne le consulte pas très souvent. Tout va encore trop bien pour moi et je n’en ressens pas encore le besoin. Je passerai sans doute par des moments plus difficiles dans ma carrière et alors je profiterai de cette option. Dans la vie quotidienne, j’essaie aussi de régler moi-même mes problèmes. C’est dans mon caractère de ne pas demander d’aide extérieure en première instance. Par contre, il ne faut pas sous-estimer le rôle du mental dans le sprint. Mon frère, également athlète, bat tous ses équipiers à l’entraînement mais en compétition il a un blocage. Certains coureurs oublient en course toute leur préparation et se mettent à sprinter d’une autre manière. Moi, j’ai besoin de la compétition pour être au maximum de mes capacités. Cette tension me stimule.

Peut-on réellement parler de tactique dans les épreuves de sprint?

Je dirais qu’il y a plusieurs manières de courir un 200m mais je ne pense pas qu’on puisse appeler cela de la tactique. On fait, simplement, physiquement ce qui est le mieux pour l’athlète. Tu réfléchis bien entendu à tout ce qui se passe à tes côtés en course, ce qui n’est pas spécialement positif, surtout pendant un 100 mètres. Sur 200m par exemple, j’ai toujours l’impression de démarrer trop lentement et que je vais devoir rattraper cette bourde. C’est un peu ma manière de courir le 200m même si ce n’est sans doute pas la meilleure manière! »La pression me bloque »

Ton but était de devenir une valeur sûre du sprint européen. A présent que c’est chose faite, que vises-tu?

Se maintenir dans le peloton de tête. L’an prochain sera difficile puisque les attentes seront plus élevées. L’étape suivante, en toute logique, consiste à se mêler au top mondial et, qui sait, de décrocher à ce niveau quelques médailles. Ce ne sera pas simple. L’an prochain, Paris accueillera les Championnats du Monde et j’espère y être. Ce qui signifie rester épargnée de toute blessure, ce qui n’est pas évident.

Te fixes-tu des objectifs à chaque début de saison?

J’essaie d’y penser le moins possible. Je préfère vivre ma carrière au jour le jour. Bien me soigner, bien m’entraîner. Pour moi-même, cela ne m’aidera pas beaucoup de me dire: -Je veux ceci ou – Je voudrais bien atteindre ce résultat-là. Certains athlètes ont par contre besoin de pression, comme mon copain Djeke Mambo par exemple. Cela lui réussit mieux quand il se fixe des objectifs. Moi, ça me bloque.

Cela fait un an que tu es réellement professionnelle. Comment s’est passée la transition entre le sport-études et ce professionnalisme?

Je pensais que j’éprouverais beaucoup de difficultés. Je songeais d’abord à une carrière pro à temps partiel mais je suis contente d’avoir opté pour le full time, avec les interviews et les actes de présence qui s’ajoutent à l’aspect purement sportif. Certains jours de repos, j’ai l’impression de perdre mon temps mais mon entraîneur me rappelle alors l’utilité de ces pauses. Donc la transition s’est globalement bien déroulée. J’essaie de voir mes amis lorsque j’en ai l’occasion. A vrai dire, je mène une vie plutôt agréable. Je suis déjà impatiente à l’idée de commencer la saison 2003.

En fin de carrière, opteras-tu pour la logopédie ou les médias?

Si on me le propose, ce seront les médias, sans hésiter. La VRT m’a déjà demandé de faire quelques essais. Si les gens estiment que je conviens bien à la fonction et que je me sens bien dans ce métier, pourquoi pas? Mais d’un autre côté, je souhaiterais aussi faire quelque chose de mon diplôme de logopède. J’espère encore me rappeler de tout ce que j’ai étudié d’ici cinq ans.

Filip Dewulf,

« Ce n’est pas dans ma nature d’expérimenter le dopage »

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