l’effet pervers

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Après avoir soutenu le sport d’élite de Charleroi à fond, la politique va-t-elle maintenant le menacer ?

Quelle est la différence entre un échevin de Charleroi et un joueur du Sporting ? Le sens des rayures sur le maillot…

Cette devinette circule depuis quelques semaines à Charleroi (l’ex-échevin Claude Despiegeleer est incarcéré à Jamioulx depuis le 30 septembre) mais n’y fait pas rire tout le monde. Le bourgmestre Jacques Van Gompel, par exemple, vit mal le séisme qui secoue sa ville depuis le déclenchement du scandale des logements sociaux, début septembre. Charleroi-la-Sportive a toujours la gueule de bois et la bonhomie de Despi ne fait plus partie du paysage.

Tous les Carolos sont d’accord sur un point : si leur ville compte au moins un club de première division dans autant de sports (football, futsal, basket, tennis de table, volley, gymnastique,…) et se fait régulièrement remarquer sur la scène belge, européenne voire mondiale, Claude Despiegeleer y est pour beaucoup. L’héritage qu’il laisse au nouvel échevin des Sports, l’anonyme Bernard Van Dyck, pèse des tonnes. Le sport à Charleroi a-t-il une chance de rester en parfaite santé ? Jacques Van Gompel veut y croire.

Comment appréhendez-vous le scandale politique qui frappe Charleroi ?

Jacques Van Gompel : J’en souffre énormément. Je vis des heures politiques sombres. Quelques semaines après ma désignation comme bourgmestre, en 1995, j’ai dû affronter l’affaire Dutroux. Aujourd’hui, c’est le scandale des logements sociaux, l’emprisonnement d’un ami de la première heure et la démission d’un autre homme auquel je suis fort lié, Jean-Claude Van Cauwenberghe. C’est dur, même si ça n’a évidemment rien à voir avec un choc comme l’affaire Dutroux.

Quel est le profil de Bernard Van Dyck ?

C’est un amoureux du sport, il a toujours vécu dans ce milieu. Il était d’ailleurs président du club de foot de Marcinelle mais il a décidé de quitter cette fonction dès sa nomination comme échevin des Sports, pour éviter tout amalgame. Il va d’abord dresser un état des lieux du sport à Charleroi, puis continuer l’£uvre de Claude Despiegeleer en y apportant une touche personnelle. Presque toutes les infrastructures nécessaires à la pratique du sport, que ce soit pour les élites ou la masse, sont terminées. C’est un fameux avantage dès le départ.

Tous les projets lancés par Despiegeleer seront-ils poursuivis ?

Ce n’est pas certain. Je me pose par exemple des questions sur la nécessité d’avoir une équipe cycliste professionnelle soutenue par Charleroi. On pourrait continuer à y penser si on recevait l’aide de partenaires wallons, mais notre ville ne peut pas porter seule ce dossier à bout de bras.

On raconte que vous-même et Van Cauwenberghe n’étiez déjà pas favorables à la création d’une équipe cycliste pro, il y a quelques années. Mais elle avait quand même vu le jour parce que Despi avait fait le forcing !

Nous nous étions faits à l’idée, c’est vrai.

Despi et les bonnes manettes

La succession de Despi va être très lourde ?

C’est clair qu’il était Monsieur Sport pas seulement à Charleroi, mais dans toute la Région wallonne. Il était unanimement considéré comme l’homme relais pour le sport en Wallonie. Pour nous, c’était un compliment, mais aussi une difficulté car Charleroi est sous plan d’assainissement et il y a des limites à ne pas dépasser dans les dépenses au bénéfice du sport.

Il n’était quand même pas seul pour décider des budgets alloués au sport ?

S’il n’avait eu que les moyens mis à sa disposition par le conseil communal et le collège échevinal, il n’aurait pas réussi tout ce qu’il a entrepris. Son avantage, c’est qu’il avait plusieurs manettes d’action, qu’il trouvait par exemple des synergies avec le privé pour recevoir des aides financières.

Ce système va-t-il rester en place ?

Il faut d’abord procéder à une analyse approfondie de la situation. Nous voudrions faire en sorte que les clubs de la région soient toujours aidés comme ils l’ont été au cours des dernières années, mais je ne peux rien garantir.

Despiegeleer nous a dit un jour que l’arrivée de Van Cauwenberghe à la présidence de la Région wallonne avait été du pain bénit pour Charleroi parce que Van Cau l’avait aidé à trouver des subsides pour la construction et la rénovation d’infrastructures sportives. Aujourd’hui, c’est Elio Di Rupo qui est à la tête de la Région wallonne : ne craignez-vous pas que ces subsides partent à Mons ?

On verra. Mais je répète que presque toutes les infrastructures qui devaient être aménagées chez nous, sont là : le Centre de Loisirs, le Stade du Pays de Charleroi, le Spiroudôme, le vélodrome de Gilly, une salle pour le sport féminin, des tribunes dans tous les clubs de foot de Provinciales, la piscine olympique qui va être rénovée, etc. Le bilan des années Despi est extraordinaire, mais je ne parlerais pas du bilan d’un homme : c’est celui d’une équipe. Avec une carte de visite phénoménale : des infrastructures de qualité et des organisations d’événements internationaux qui ne nous ont valu que des éloges, comme l’Euro 2000, des finales européennes en basket, des demi-finales de Coupe des Champions en futsal, etc.

Mouiller son maillot pour un patrimoine historique

On ne peut s’empêcher de penser que la Ville est parfois allée trop loin pour ses clubs. Comme quand elle a garanti un emprunt bancaire contracté par le Sporting.

Quand cela se fait en France, on rappelle qu’un grand club de football est une vitrine formidable… Il faut remettre les choses dans leur contexte. Le Sporting était au bord de la faillite. Le conseil communal a planché sur le problème et voté cette garantie presque à l’unanimité. Il n’y a donc pas que le Parti Socialiste qui était favorable à cette formule. Nous avons tous mouillé notre maillot parce que nous voulions conserver un grand club de football à Charleroi. L’entreprise d’Abbas Bayat s’est aussi portée garante et je signale que le Sporting a remboursé sans problème les intérêts prévus, jusqu’à présent. Aujourd’hui, je renégocie le taux de cet emprunt, je demande un geste commercial aux banques et je ne vois pas où est le problème.

La Ville n’accepterait quand même pas de couvrir un emprunt contracté par une entreprise privée ? Or, le Sporting peut être assimilé à une entreprise privée.

Il utilise nos infrastructures.

Mais ce stade, c’est finalement le seul lien entre le Sporting et la Ville !

Privez le club de son stade et vous verrez s’il pourra toujours jouer… En termes d’image, le Sporting est extrêmement important pour nous : ce club illustre le passé, le présent et l’avenir. Il fait partie de notre patrimoine historique.

La Ville avait fait barrage à l’arrivée de Milan Mandaric mais était-ce son rôle ?

Je crois toujours aujourd’hui que la solution Mandaric n’était pas la meilleure. Mais s’il avait vraiment voulu venir, il ne se serait pas préoccupé de nous. La Ville n’a jamais bloqué un investisseur potentiel. Nous avons été très heureux quand Abbas Bayat a débarqué avec un projet qui, par rapport aux plans de Mandaric, avait l’immense mérite de tenir la route.

Et quand la Ville a écarté Jean Pol Spaute de la présidence du Sporting ?

La Ville ne lui a jamais demandé de se retirer.

Despiegeleer l’avait pourtant avoué !

Entre ce que Despi disait et ce qu’on faisait, il y avait parfois une marge… La Ville n’a jamais eu d’ingérence dans des dossiers pareils.

Et la transformation du stade pour l’Euro 2000 ? Elle n’aurait pas été faite dans les règles et il y a toujours un dossier au Conseil d’Etat.

Vous voulez savoir combien de dossiers la Ville de Charleroi a au Conseil d’Etat ? Une dizaine ! Le problème, c’est qu’on vit dans un monde où plus personne n’est d’accord sur rien. Il y a des moments où il faut prendre des décisions. Mais bon, c’est clair que Claude Despiegeleer a commis des erreurs dans ce dossier. Il a trop foncé sans privilégier le dialogue. Le permis de bâtir est toujours contesté par les riverains. Ils nous reprochent notamment d’avoir construit sur la voirie. Mais la voirie, c’est le domaine public. Et ce domaine public, il nous appartient !

 » Despi en prison, c’est insupportable  »

Revenons à l’affaire des logements sociaux. Des fonds de la Carolo auraient eu des destinations suspectes. On parle du club de foot de Couillet, dont André Liesse est administrateur.

Je ne sais toujours pas ce qu’ils ont fait exactement à la Carolo. Alors, pas de commentaire.

Des joueurs de clubs sportifs de Charleroi hébergés dans des logements sociaux, est-ce normal ?

Aucun problème. Ils payent une location, plus élevée que la plupart des autres occupants. J’ai tous mes apaisements là-dessus.

Sur un plan purement humain, qu’a provoqué chez vous l’incarcération de Claude Despiegeleer ?

Pour moi, c’est insupportable. Le voir sortir d’un fourgon cellulaire, avec les menottes aux poignets, c’est très, très dur. Et c’est incompréhensible. Despi est traité plus sévèrement que certains bandits de grand chemin. Pendant qu’il passait ses premiers jours à Jamioulx, on relaxait un type qui avait agressé deux policiers. Claude Despiegeleer a commis des erreurs, il a été trop laxiste dans sa gestion de certains dossiers. Pour cela, il doit être puni. C’est déjà fait au niveau politique. Il reste à le faire au niveau judiciaire. Si l’enquête prouve qu’il a commis des actes répréhensibles, il faudra le sanctionner. Mais de là à le jeter directement en prison, à l’y laisser 20 jours sans être interrogé… La justice se pose des questions sur le politique, mais sachez que l’inverse est vrai aussi ! Je reste persuadé d’une chose : Despi n’a pas mis un euro dans sa poche. Il a simplement manqué d’éthique parce qu’il voulait sans doute que sa vision de certaines choses se réalise.

Etes-vous allé le voir en prison ?

Non, je n’en ai pas le droit. La visite est réservée à l’épouse et aux enfants du détenu. Bien entendu, j’ai des nouvelles tous les jours via son fils.

Imaginez-vous qu’il puisse revenir au PS carolo ?

Il faudra laisser du temps au temps. Tout dépendra des charges qui seront finalement retenues contre lui. Mais il faut être réaliste : je crois que Claude Despiegeleer est arrivé au bout de son chemin en politique.

Prévoyez-vous une sanction des électeurs aux communales de l’année prochaine ?

Nous allons faire en sorte de remonter le courant. Il y a du boulot : si on analyse les sondages les plus pessimistes, nous perdons 8 % de nos électeurs. Nous avons un an pour montrer que ce n’est pas parce que quelques personnes ont péché que tous les socialistes de Charleroi sont des malhonnêtes.

Les communales, ce sera avec Van Cau ?

Pas Jean-Claude, mais son fils, Philippe. Jean-Claude garde des ambitions plutôt au niveau wallon, voire fédéral.

Avec Dante Brogno ou Mogi Bayat, alors ? On les a déjà cités comme renforts possibles.

Ce n’est qu’une rumeur… mais il y a parfois des rumeurs qui se vérifient. Dante Brogno pourrait être un très bon candidat. Je ne le refuserais pas sur ma liste. Et pourquoi pas Mogi Bayat ? En tant que français, il ne pourrait toutefois être que conseiller, pas échevin. C’est dommage car il aurait pu faire un très bon échevin des Sports !

PIERRE DANVOYE

 » des fonds suspects vers des clubs ? je n’en sais rien, alors pas de commentaire « 

 » DESPI= MONSIEUR SPORT DANS TOUTE LA WALLONIE ? UN COMPLIMENT, MAIS AUSSI UNE DIFFICULTÉ « 

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