L’effet LUXEMBURGO et l’exil de DEL PIERO

La reprise est marquée par un choc de géants : la Maison Blanche contre la Vieille Dame. Le Real a bien changé à tel point que la conquête du titre et de la Ligue des Champions n’est plus utopique. La Juve, elle, fonctionne froidement sans son chef charismatique.

Le Real Madrid vit une saison contrastée. Au départ, le retour de JoséAntonioCamacho sur le petit banc avait suscité bien des espoirs. Mais son caractère entier n’a jamais pu s’accommoder des caprices de stars. Et, comme lors de sa première tentative au stade Santiago Bernabeu, il démissionna très rapidement, après trois journées de championnat déjà, au terme d’une défaite à l’Espanyol Barcelone. MarianoGarciaRemon, un ancien gardien de but du club, prit le relais. Mais, trop tendre, il n’est jamais parvenu à remettre le train sur les rails.

A la veille de Noël, le Real Madrid comptait 13 points de retard sur le FC Barcelone. C’est alors que les dirigeants madrilènes prirent la décision d’engager un nouveau directeur technique, Arrigo Sacchi et un nouvel entraîneur, WanderleyLuxemburgo, qui venait d’être champion du Brésil avec le FC Santos. En désespoir de cause, pensait-on, car personne ne voyait ce qu’un nouveau changement d’entraîneur pouvait encore apporter, tant l’écart avec le grand rival catalan paraissait insurmontable. Certains pensaient même que c’était uniquement un coup destiné à faciliter l’engagement de Robinho, l’attaquant du FC Santos que Luxemburgo avait eu sous ses ordres et que le Real convoitait !

Ils courent, ils courent, les Madrilènes

Luxemburgo débuta lors de ce fameux match de six minutes contre la Real Sociedad. Six minutes qui ont suffi à inscrire un but et à donner la victoire aux Merengues. Depuis lors, les succès se sont enchaînés. Voici dix jours, lors du match retour contre l’Espanyol Barcelone (l’adversaire qui avait été fatal à Camacho), l’entraîneur brésilien a conquis sa sixième victoire d’affilée avec le Real. Une victoire probante, sur le score de 4-0. Et l’écart avec le FC Barcelone, qui était encore de 13 unités il y a un mois et demi, a été réduit à 4 points.

De toute évidence, ce n’est plus le même Real qu’avant la trêve. La conquête du titre n’est plus une utopie. La conquête de la Ligue des Champions non plus. Car, dans cette épreuve, les Madrilènes avaient assuré l’essentiel avant la trêve : se qualifier pour les huitièmes de finale. Aujourd’hui, avec le système de l’élimination directe, une autre compétition commence. Tout le monde repart à zéro. La Juventus n’a qu’à bien se tenir.

Qu’y a-t-il de changé ? DavidBeckham souligne l’amélioration de la condition physique. Il n’a pas tort. Avec l’entraîneur brésilien, les sessions d’entraînement sont plus longues et plus intenses. Les joueurs courent beaucoup : parfois plus de trois kilomètres avant de toucher le ballon. Les journées à deux entraînements ont été remises à l’agenda. Il y en a au moins une chaque semaine. Camacho avait aussi demandé à pouvoir en organiser, mais ce privilège lui avait été refusé. Si les joueurs acceptent ce nouveau régime sans rechigner, c’est que Luxemburgo a trouvé les mots justes pour les convaincre. Camacho était trop dictatorial. Trop rude, trop direct dans ses discours. A force de hausser la voix et de sanctionner les récalcitrants, il a perdu toute emprise sur le groupe. Il s’était mis en tête de faire enfiler un bleu de travail à toutes les stars galactiques, mais le choc fut trop rude et les réticences trop vives. Avec Mariano Garcia Remon, c’était l’inverse. Il manquait trop de personnalité pour imposer ses vues. A la limite, il avait peur de contrarier ses vedettes et, donc, les laissait faire.

Luxemburgo a trouvé le juste milieu. Il a réussi à imposer ses méthodes sans avoir l’air d’y toucher. Il a progressivement modifié les horaires de travail sans trop brusquer les habitudes. Les stars ne l’impressionnent pas et il n’hésite pas à les remettre à leur place. Il a réussi à faire comprendre aux vedettes madrilènes que personne n’était à l’abri d’une mise à l’écart. Alors, les joueurs du Real Madrid, habitués à des séances plutôt décontractées, se sont mis à travailler sérieusement. Certes, cela ne plaît pas encore à tout le monde. Lorsqu’un confrère du magazine DonBalón a interviewé Ronaldo, récemment, il lui avait demandé comment s’était passé l’entraînement. L’attaquant brésilien avait répondu :  » C’était ennuyeux. On n’a pas beaucoup touché le ballon, on a surtout fait du physique. Un footballeur s’amuse lorsqu’il peut jouer. Lorsqu’il doit courir, c’est moins gai. Mais c’est nécessaire « .

Alors, Ronaldo, comme les autres, s’est plié de bonne grâce. Et le résultat ne s’est pas fait attendre : on ne constate plus de baisse de régime spectaculaire après une heure de jeu.

40 jours pour séduire

Le comble, c’est que le renouveau du Real Madrid avait été programmé. Lorsqu’il a été engagé, le 31 décembre 2004, Luxemburgo avait demandé 40 jours de patience. C’était le temps qui lui semblait nécessaire pour marquer l’équipe de son empreinte. Ces 40 jours correspondaient au match contre l’Espanyol Barcelone. Et ce soir-là, comme l’entraîneur brésilien l’avait promis, sa griffe était visible. On a retrouvé un Real Madrid conquérant, composé de joueurs heureux d’évoluer ensemble. Loin de l’équipe trop nerveuse qu’elle était à l’époque de Camacho, loin de l’équipe trop désemparée à l’époque de Garcia Remon.

Evidemment, le mercato l’a aidé. Chacun se plaisait à souligner le déséquilibre auquel le Real Madrid était confronté depuis le départ de ClaudeMakelele. En engageant le Danois ThomasGravesen, le Real Madrid n’a, pour une fois, pas enrôlé une star supplémentaire, mais un joueur besogneux, dont l’abattage se révèle fort utile, et qui réinstaure un équilibre entre créateurs et récupérateurs. En plus, il marque : contre l’Espanyol, l’ancien sociétaire d’Everton a trouvé pour la première fois le chemin des filets sous ses nouvelles couleurs.

Raul, le capitaine emblématique du Real Madrid, a lui aussi retrouvé le chemin des filets. En 2004, il avait longtemps couru derrière sa meilleure forme. Il commençait même à faire l’objet de critiques. Interrogé à son sujet, Luxemburgo avait répondu que personne n’était indispensable. Mais, alors qu’on pensait qu’il allait l’écarter, l’entraîneur brésilien a au contraire imaginé un système de jeu qui le mettrait davantage en évidence, en le faisant jouer plus près du but. Là aussi, le résultat ne s’est pas fait attendre.

 » Je ne suis pas un magicien « , a déclaré Luxemburgo à son arrivée en Espagne. Mais il est sûrement un grand technicien. Ses résultats plaident pour lui. A 52 ans, l’ancien joueur de Flamengo, Porto Alegre et Botafogo peut s’enorgueillir de posséder le plus beau palmarès du football brésilien. Champion avec Palmeiras (1993 et 1994), Corinthians (1998), Cruzeiro (2003) et Santos (2004), il a dirigé (de 1998 à 2000) l’équipe nationale brésilienne avec laquelle il remporta la Copa America.  » J’exige simplement de la discipline, de la collégialité, du professionnalisme et du travail « , affirme-t-il.

Capello n’a pas confiance en Alex

Alessandro Del Piero joue peu avec la Juventus et toute l’Italie en parle… Depuis le début de la saison, Fabio Capello a décidé de ne pas faire totalement confiance à Alex, Il lui reproche de ne plus être capable de passer un homme et de ne pas avoir un bon rendement en phase de récupération. Détail d’une très grande importance quand on sait que Capello est du genre à vouloir l’emporter par 1-0 plutôt que par 3-2. Au premier tour de la Ligue des Champions, la Juventus a remporté cinq de ses six matches par le plus petit écart et que la seule exception (1-1) est tombée lors de la dernière rencontre qui comptait pour du beurre contre le Maccabi Tel-Aviv.

En 24 journées de championnat, Del Piero n’a disputé qu’un match entier lors de la… 22e journée (défaite contre la Sampdoria 0-1). Il a été remplacé onze fois au repos, dix fois entre la 53e et la 82e, il est monté au jeu à deux reprises (61e et 71e minutes) et a assisté à huit rencontres en spectateur.

Les statistiques en Ligue des Champions ne sont guère meilleures : Del Piero a également disputé un match entier au Bayern (il a inscrit le but de la victoire), a été remplacé à cinq reprises et deux fois spectateur.

Les supporters de la Juventus n’apprécient guère le traitement accordé à leur chouchou. Au fil des semaines, le mécontentement a grandi, les tifosi prenant parti pour le joueur. Logique : Del Piero en est à sa douzième saison sous le maillot bianconero. Pis : les fans de la Juventus ne voulaient pas de Capello comme entraîneur. Ils ne lui ont pas pardonné les déclarations, pas piquées des vers assenées contre la Juventus lorsqu’il entraînait Milan et surtout Rome.

Le dimanche 23 janvier, la Juventus reçoit Brescia. Une nouvelle fois, Del Piero est sur le banc. Lorsqu’à la 72e minute Pavel Nedved se blesse et que le tableau lumineux annonce que Capello va faire monter Kapo au jeu, le public scande le nom de Del Piero et sur la curva Scirea apparaît une banderole sur laquelle on peut lire : -Alex non si discute, si ama (Alex ne se discute pas, on l’aime). Ce n’était qu’un amuse-gueule. Del Piero qui, jusque-là, passait son temps à mâcher des chewing-gums, ne pouvait rien faire d’autre que de lever le bras en signe de remerciement. A la fin de la rencontre, malgré la victoire (2-0) et une avance sur Milan qui passe à cinq points, la curva Scirea déclenche un véritable tonnerre de coups de sifflets et de cris contre Capello. Bref, le stade était paralysé par la déception.

 » A la Juventus, il faut sans cesse confirmer  »

L’entraîneur a répliqué sèchement et avec malice à la contestation. Les mots qu’il a utilisés et son détachement ne laissaient planer aucun doute sur le peu de cas qu’il faisait de l’incident et sur sa détermination à poursuivre dans cette voie :  » Ils peuvent encenser qui ils veulent. Cela m’indiffère. Je travaille et je suis payé pour faire les choix que j’estime les meilleurs. Je comprends l’affection que le public éprouve à l’égard de Del Piero, qui a été un grand acteur de l’histoire récente de la Juventus : il a tant donné. Il est juste qu’il soit remercié mais maintenant c’est à moi qu’incombent les choix. Je suis habitué à travailler dans la difficulté. Partout où je suis passé, il en est allé de la même manière mais je dois faire mon travail et je le fais. Et il est même possible que l’âge m’ait rendu plus diplomate… Quand j’envoie un joueur sur le terrain, je ne le fais pas par sympathie ou antipathie mais parce que j’estime que l’équipe a besoin de lui. J’espère devoir toujours faire face à des problèmes d’abondance et pouvoir effectuer mes choix dans un noyau au complet. A la Juventus, tous peuvent jouer et tous sont importants, pas seulement Del Piero. Tous les joueurs peuvent être utiles, même AlessandroBirindelli « .

Jusqu’à la direction qui est montée au créneau. Le lundi, l’administrateur délégué AntonioGiraudo est le premier à prendre la parole :  » Quand on joue à la Juventus, on ne doit pas se contenter de vivre avec le passé. Il faut sans cesse confirmer. Del Piero est un champion et nous sommes sûrs qu’il retrouvera le niveau qui en a fait un footballeur de niveau mondial. Capello est un entraîneur extraordinaire qui possède de grandes qualités techniques mais également morales et humaines. C’est un technicien compétent, un grand professionnel et nous sommes très contents de lui « .

Ces paroles sont lourdes de conséquence : ce bonze de la Juventus ne s’immisce jamais dans les affaires techniques et si, pour une fois, il le fait cela signifie que, pour Del Piero, le vent a tourné.

Le mardi, RobertoBettega, le vice-président, enchaîne. Pour lui, l’affaire Del Piero n’est qu’un petit problème interne :  » Les coups de sifflet sont injustes. Nous avons eu droit à une contestation un peu étrange. Del Piero est un porte-drapeau et, en cela, je peux comprendre la réaction passionnelle des supporters. Mais ils ne doivent pas oublier que Del Piero est un joueur de la Juventus, qui compte un noyau de 24 joueurs tous très forts « .

Affaire nationale

Les personnalités de tous les milieux donnent leur avis, même le cardinal de Turin, un supporter de la Juventus, a fait part de sa tristesse de voir le joueur sur le banc. Le pays est divisé : pour les uns, Del Piero reste un talent unique, un joueur qui invente, qui dribble, qui marque, qui illumine l’équipe, qui emmène dans son sillage le peuple bianconero. Pour les autres, Del Piero est un joueur fini qui, depuis 1998, n’a plus été décisif dans les grandes occasions tant avec la Juve qu’en équipe nationale. D’ailleurs, certains se sont plu à souligner que si Gianni Agnelli l’avait surnommé Pinturicchio, du nom d’un peintre du Moyen-Age, c’est à mettre en rapport avec une autre des comparaisons du célèbre dirigeant. Lequel avait déclaré que Roberto Baggio était le Léonard de Vinci de la Juventus. Question popularité, il n’y a pas de comparaison entre Pinturicchio et l’auteur de la Joconde….

Le dimanche 30 janvier avant le match contre l’Atalanta, Capello se dirige vers les journalistes et leur lance perfidement :  » Vous devriez m’offrir des bouquets de fleurs car je vous ai donné de quoi écrire. La polémique avec Del Piero, vous en avez fait une affaire nationale alors que cela n’en valait pas la peine « .

Entre-temps, les managers du joueur avaient fait courir le bruit que de nombreux clubs étaient prêts à débourser les millions d’euros que réclameraient la Juventus pour se séparer de Del Piero. Sur la liste auraient figuré entre autres Yokohama, Real Madrid, Chelsea, Manchester United et Palerme. Cette dernière destination n’a pas laissé insensible un journal allemand du dimanche, Bild am Sonntag, qui a titré :  » Del Piero fuit vers l’île de la mafia. La fin d’une star mondiale « . Pas mal comme cliché ! Pour calmer les esprits, des tas de personnalités du monde politique et sportif ont déclaré que de tels propos étaient honteux et Rüdi Völler a carrément présenté ses excuses en insistant que la Sicile était splendide et que chaque fois qu’il y était allé, il s’y était bien plu. On est bien loin du football…

Impossible de patienter jusqu’en 2008

Contre l’Atalanta, Del Piero est monté au jeu en seconde période et a inscrit sur penalty le but de la victoire (2-1). Alors que jusque-là, il avait observé le silence le plus strict, y compris sur son site, Pinturicchio sort de réserve :  » Il est avant tout de mon devoir de remercier tous ceux qui m’ont supporté au stade et ceux qui m’ont encouragé par lettre et via email. Une chaleur incroyable, merci à tous « .

Un message simple à l’image de l’attitude adoptée par le joueur qui n’a jamais esquissé le moindre geste désapprobateur chaque fois qu’il a été sorti du jeu avant la fin de la rencontre.

Le mercredi 2 février, contre la Sampdoria, Del Piero disputait son premier match entier de la saison qui se soldait par une défaite. Le samedi suivant, à Palerme, il était à nouveau sur le banc : Capello avait préféré reconduire son duo d’attaque composé par David Trezeguet et Zlatan Ibrahimovic. Depuis qu’il est revenu de blessure, le Français a toujours été titularisé et il a entre-temps égalé le nombre de buts inscrits en championnat par Michel Platini (68). Quant au Suédois, il s’est rapidement intégré et les dirigeants turinois ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils avaient été bien inspirés de débourser 15 millions pour lui. En Sicile, la Juventus a de nouveau perdu par le plus petit écart et, alors que son équipe était menée, Capello a préféré faire monter Zalayeta au lieu de Del Piero. Il a en plus conservé RubenOlivera, inexistant et de surcroît maladroit dès qu’il s’agit de tirer un corner.

Froide avant ce déplacement en Sicile, la relation entre la Juventus et Del Piero est carrément devenue glaciale. D’autant que Del Piero apprenait qu’il n’était pas repris en équipe nationale en vue du match amical contre la Russie d’il y a une semaine. Il faudra bien trouver une issue car il n’est pas pensable que les deux parties continuent à vivre de la sorte jusqu’à l’échéance du contrat en juin 2008. Le club ne peut continuer à verser 4,7 millions d’euros de salaire à un réserviste et le joueur ne peut accepter de se sentir persécuté par son entraîneur.

Daniel Devos et Nicolas Ribaudo

 » J’EXIGE SIMPLEMENT de la discipline, de la collégialité, du professionnalisme et du travail  » (Wanderley Luxemburgo)

 » Quand on joue ici, on ne doit PAS SE CONTENTER DE VIVRE AVEC LE PASSé  » (l’administrateur délégué de la Juve)

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