L’effet Cyriac

Le long et difficile parcours du jeune avant ivoirien.

A l’occasion de ses retrouvailles avec ses anciens coéquipiers anderlechtois, c’est évidemment Mémé Tchité, auteur de deux buts coup sur coup avant l’heure, qui a crevé l’écran. Jusqu’à ce moment-là, toutefois, c’est son compère Cyriac Zoro Gohi Bi qui s’était illustré. Le jeune avant ivoirien, qui disputait son premier Clasico comme titulaire, se révéla effectivement un véritable poison pour la défense anderlechtoise en faisant joujou, notamment, avec Olivier Deschacht.

 » Je m’étais déjà signalé à Westerlo, la semaine passée, mais contre Anderlecht la satisfaction est encore plus grande même si je n’ai pas marqué « , dit-il.  » Ce match, je ne suis pas près de l’oublier. J’avais déjà connu des derbies enfiévrés entre mon ex-club, l’ASEC et son rival, l’Africa Sports, mais un Standard-Anderlecht, c’est 100 fois plus intense. J’ai dû patienter près de deux ans pour vivre cet événement sur le terrain. J’espère qu’il en appellera d’autres. « 

Au propre comme au figuré, Cyriac vient de très loin. Il a même dû accomplir un véritable parcours du combattant pour se faire une place au soleil, tant au sein du club de ses débuts en Côte d’Ivoire qu’à Sclessin. Ce qui fait dire à Benoît You, l’un de ses entraîneurs à l’Académie Mimosifcom, que Zoro est arrivé sans se presser.

Recalé à cinq reprises

 » Chaque année, nous mettons sur pied des journées de recrutement « , rappelle You.  » Des centaines de jeunes y participent mais, au final, une poignée à peine sont retenus. Zoro a dû s’y reprendre à… six fois avant de faire enfin partie des heureux élus. Il lui manquait toujours un petit quelque chose par rapport aux autres. C’est rien, je reviendrai, disait-il après coup. Et on le revoyait lors des screenings ultérieurs. Un peu meilleur, certes, mais pas encore assez fort par rapport à ses compagnons d’âge. Finalement, ce n’est pas comme attaquant qu’il s’est vu décerner une chance mais comme arrière droit. Certains gamins sont à ce point désireux de jouir d’un écolage dans notre structure qu’ils feraient n’importe quoi pour être reçus. Le cas le plus célèbre que nous ayons connu était celui d’un autre joueur que vous connaissez bien en Belgique : Boubacar Barry Copa. Le gardien de Lokeren officiait encore comme médian quand il fut appelé à faire montre de ses qualités chez nous, mais il n’était pas suffisamment doué, balle au pied, pour être admis. Dans la mesure où il manquait un portier, il s’était proposé en ce sens, arguant qu’il se débrouillait pas mal à ce poste. Et, ma foi, il pouvait faire l’affaire dans ce rôle. Ce fut le début d’une extraordinaire carrière pour lui.  »

 » Comme beaucoup de garçons de mon âge, j’ai débuté dans un club de quartier « , raconte Cyriac.  » Pour moi, c’était le FC Fusion, à Koumassi. Mais à l’image de tous les jeunes de la capitale, je n’avais qu’une idée en tête : rejoindre au plus tôt l’école des jeunes de l’ASEC. Ce n’est pas évident car il y avait tellement de candidats. J’ai été recalé à cinq reprises avant de toucher au but. Dans mon club, on me disait que ça ne servait à rien d’insister, que je n’y arriverais pas. Mais moi, j’avais envie de prouver exactement le contraire. Je ne voulais absolument pas m’avouer vaincu et je me suis acharné. Après cinq essais infructueux comme avant, je me suis fait la réflexion que j’avais peut-être plus de chance dans un autre rôle. Et je me suis présenté comme défenseur. Les recruteurs avaient deviné très vite le subterfuge mais j’ai bel et bien l’impression que ma ténacité leur a plu. En tant qu’attaquant reconverti en défenseur, je savais à quoi m’attendre, à peu près, de celui que j’allais avoir en face de moi. Et le test fut concluant. J’ai alors commencé comme arrière latéral mais, après quelques matches à peine, on m’a fait monter d’un cran parce que je me comportais davantage comme un milieu de terrain que comme un arrière. Et j’ai fini par aboutir à l’attaque, pour ne plus jamais quitter ce secteur. « 

Monsieur 50 %

Avant d’en arriver là, toutefois, la carrière de Cyriac ne s’assimila pas à un long fleuve tranquille, loin s’en faut. Après quelques semaines à peine dans son nouvel entourage, il fut question d’un retour dans son club d’origine. Mais à nouveau, le jeune apprenti fit preuve de persévérance, réalisant finalement la jonction avec les A de l’ASEC.

 » Il était content d’être là « , se souvient Patrick Théault, responsable de l’Académie au beau milieu des années 2000.  » Il avait le sentiment d’être parvenu à ses fins en intégrant le centre de formation et vivait un peu sur ses acquis. Au bout de deux mois, je l’ai menacé que s’il continuait à se reposer sur ses lauriers, il retournerait à la case départ. Si au début le message n’est guère passé, il a fini par comprendre et il n’a plus jamais fallu le recadrer par la suite « .

 » Il est exact que je me suis laissé vivre au tout début « , admet l’intéressé.  » J’avais conscience d’être un privilégié et cela suffisait à mon bonheur. Jusqu’au jour où tous mes partenaires furent retenus en vue du réputé tournoi pour jeunes de Montaigu sauf moi. Ce fut un choc. J’ai réalisé que je devais faire quelque chose et j’ai mis les bouchées doubles à partir de ce moment. Ma récompense, ce fut une imbrication dans le noyau pro de l’ASEC en 2007. J’étais l’un des rares à jouir de cette faveur, au même titre que mon pote Serge Debléavec qui j’avais été associé à la pointe de l’attaque. Il fut le premier à s’exiler en 2008, en passant dans les rangs de Charlton Athletic, avec qui l’ASEC avait conclu un accord de coopération. Depuis lors, il a été prêté au FC Nantes. Moi-même, je l’ai imité la saison suivante en rejoignant le Standard.  »

 » Pour ses débuts au plus haut niveau, Cyriac avait fait très fort en prenant à son compte pas moins de 21 des 46 buts de son équipe « , souligne Hamidou Fomba, chef de la rubrique sportive du quotidien abidjanais Fraternité Matin.  » De quoi lui valoir le surnom de Monsieur 50 %. Il fallait remonter au temps d’ Abdoulaye Traoré, au cours des années 90, pour retrouver trace d’un tel artificier. Pourtant, l’ASEC a toujours pu compter sur de solides gâchettes, tels Youssouf Fofana ou Aruna Dindane. Mais lui, c’était autre chose. Il n’avait pas besoin, comme les autres, de franchir la ligne fatidique pour marquer. Il trouvait l’ouverture de n’importe quelle position dans les 16 mètres et faisait même mouche de plus loin sans problème. Dans la foulée, il fut d’ailleurs sacré meilleur jeune de l’année. Et au referendum récompensant le joueur pro de la saison, il termina troisième derrière Baky Koné de Marseille et Yaya Touré du Barça, tout en devançant un certain Didier Drogba.  »

Repéré en même temps que Meteb

 » Je ne sais pas pourquoi mais je me suis d’emblée senti à l’aise à ce niveau « , avance le joueur.  » J’avais évidemment la chance de connaître sur le bout des doigts mon pote Deblé. Et je retrouvais là d’autres têtes que j’avais connues précédemment chez les Académiciens, comme Yao Kouassi ou Hugues Zagbayou. J’ai terminé en tête du classement des meilleurs réalisateurs mais, pour être honnête, j’ai bénéficié d’un brin de chance en inscrivant deux quadruplés face aux deux futurs relégués, le Sporting de Gagnoa et le Réveil de Douala. Tout aurait été parfait si, dans la foulée, nous avions pu conquérir le titre. Mais à l’instar de ce qui s’était passé en 2007, nous avions dû nous incliner de justesse face au frère ennemi de l’Africa Sport. Un point nous séparait au décompte final : 52 contre 51. Le malheur aura voulu que dans le derby, nous n’ayons pu faire mieux que des nuls : 0-0 et 2-2. Mais il y aura quand même eu une belle consolation pour moi, dans la mesure où Dominique D’Onofrio était présent à ce match et que je fis bonne impression. Avec les conséquences que l’on devine.  »

 » Je l’ai vu à l’£uvre à deux occasions différentes « , souligne le coach des Rouches.  » D’abord lors du mano a mano entre les deux grands du football abidjanais, puis en phase de poule de la Ligue des Champions d’Afrique face aux Egyptiens d’Al Ahly. Sur l’ensemble des deux rencontres, un seul autre attaquant pouvait soutenir la comparaison avec lui : Emad Meteb. On sait ce qu’il en est advenu entre-temps.  »

 » En arrivant à Sclessin en janvier 2009, je savais que j’allais devoir patienter avant de pouvoir étaler mes qualités « , rappelle Cyriac.  » J’avais affaire à très forte concurrence avec Milan Jovanovic, Dieumerci Mbokani et Igor de Camargo. Il fallait que je m’acclimate aussi et que je m’habitue à de nouvelles charges de travail à l’entraînement. J’ai été freiné par une pubalgie ainsi que par des ennuis à la hanche mais tout ça appartient au passé. Je me sens en tout cas beaucoup plus fort, à présent, pour affronter les Tchité, Mbaye Leye et Aloys Nong, sans oublier Luigi Pieroni. J’ai accompli un pas dans la bonne direction en bénéficiant d’un statut de titulaire lors des deux derniers matches. Je veux mettre tout en oeuvre pour m’y accrocher. Mon but consiste à faire mon trou cette saison. Mais, par-dessus tout, je rêve du titre. Et au vu du match que nous venons de livrer contre Anderlecht et de notre belle série de 15 sur 18, je suis sûr que nous pouvons y parvenir.  »

par bruno govers – photos: reporters/ gouverneur

« Après notre 15 sur 18, je rêve du titre. »

« Il n’a été accepté au centre de formation de Guillou qu’à son sixième test ! »

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