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L’école du passé

C’était le futur. Puis, l’Académie Robert-Louis Dreyfus a fini par subir les affres du temps et concéder un bilan mitigé. Celle qui célèbre ses dix ans est aujourd’hui dépassée par ses principaux concurrents. Enquête aux origines du mal.

L’institution souffle sur sa première décennie. Comme une gamine capricieuse, elle réclame les plus beaux des joyaux, auxquels elle s’est faussement habituée. Pour sa famille, le champ des possibles a fortement réduit depuis sa naissance. Le 2 mai 2007, l’Académie Robert-Louis Dreyfus sort de terre sur les hauteurs liégeoises. Un tout nouvel apparat pour le Standard, fruit de 15 millions d’euros d’investissement, destiné à ringardiser la concurrence en matière de politique de jeunes.

 » Le Standard a dix ans d’avance sur la concurrence « , disent les titres de l’époque, plutôt pompeux. Les Rouches viennent de fêter leur deuxième titre de rang au coup de sifflet final de l’exercice 2008-2009. De façon un peu hâtive, les réussites des AxelWitsel, MarouaneFellaini, MehdiCarcela ou EliaquimMangala sont associées à cette Académie devenue une curiosité et une attraction pour de nombreux clubs locaux et étrangers. Moins de dix ans plus tard, les bijoux maison se font attendre.

Le 13 avril dernier, Bruno Venanzi reçoit dans ses bureaux, trois jours avant de licencier Aleksandar Jankovic. Son club est en crise, mais le patron de Sclessin tente d’appliquer de la pommade sur des plaies ouvertes.  » Aujourd’hui, on voit vers où l’on va, et on dépense pas mal d’argent dans les jeunes de l’Académie. Il y a environ 90 % des top talents qui vont rester au club et il y a une grosse restructuration […] qui est en train de s’opérer. Mais tout ça a un coût.  »

Pour viser le top 3 à nouveau avec les pros, Venanzi veut investir chez les jeunes et repenser l’organisation  » car chacun décidait dans son coin. Et ça donnait lieu à des situations complètement loufoques « . Quelques semaines plus tard, il ressort la même carte de sa manche au Cercle de Wallonie :  » En 2020, 35 % des joueurs du noyau pro devront être directement issus de l’Académie, pour 21 % aujourd’hui. Et 50 % de l’effectif pro devra rassembler des éléments ayant passé deux ans à l’Académie.  » L’ambition est louable, le discours alléchant, mais est-ce pour autant crédible ?

Un marché aux puces

 » Le Standard est toujours le premier club formateur belge et le 23e en Europe, sur base du nombre de joueurs pros formés par les clubs et actifs dans les championnats de première division. C’est donc la preuve qu’on sort de bons joueurs et que notre formation est de qualité « , plaide récemment Ingrid Vanherle, responsable administrative de l’Académie, dans Sudpresse. Si l’ancienne joueuse du Standard Femina a raison sur les chiffres (qui sont ceux du CIES), elle surfe aussi sur des succès passés, construits par des joueurs en activité depuis un moment désormais.

Son outil de travail reste performant mais ses résultats piquent sensiblement du nez. Aucune catégorie de jeunes n’a terminé championne cette saison.  » Le club n’a plus le même poids « , regrette un agent, habitué des lieux.  » Quand les jeunes jouent contre Genk, Bruges ou Anderlecht, il y a une vraie différence, un vrai écart de niveau. C’est interpellant. Ce qui me frustre, c’est le football produit. On est loin des clubs du top.  » La concurrence s’est renforcée et le Standard perd du terrain.

La faute notamment à une absence de ligne de conduite et de stabilité, comme le reconnaît Bruno Venanzi.  » Comment voulez-vous créer une identité si l’on change sans arrêt de directeur de la formation et de coaches « , s’interroge Alexandre Chteline, qui s’occupait des U21 mais qui a été prié de plier bagages. La direction du Standard veut, une nouvelle fois, remettre un grand coup de balai dans la pépinière.

Pas moins de 24 éducateurs encadreront les 18 équipes (des U8 aux U21) dès la saison prochaine. Certaines catégories bénéficieront donc de deux coaches, à l’instar de ce que met en place l’Ajax. Le centre de formation va également enfin faire appel à un analyste vidéo pour filmer les rencontres des jeunes.

Mais les retouches de façade ne masquent pas pour autant les problèmes au niveau des fondations. Les résultats dramatiques du noyau pro, où les talents du cru s’expriment peu, produisent un effet négatif.  » Le discours général au Standard, c’est  » faut se barrer ! « . Ce climat négatif est entretenu du noyau pro aux catégories d’âge « , raconte un agent.

Les parents contactent les agents afin qu’ils trouvent une porte de sortie pour leur fils.  » Avant, les parents faisaient beaucoup d’enfants et désormais, ce sont les enfants qui ont beaucoup de parents « , lance Christophe Dessy, ex-directeur technique des lieux, réfugié à Guingamp.

 » Se déplacer à l’Académie, c’est comme aller au marché aux puces « , abonde un agent qui compte plusieurs jeunes au Standard.  » Il y a 45.000 agents à chaque match et ce sont eux qui font la loi, avec les parents. Ce n’est plus la direction, qui est plus dans la réaction que dans l’action.  »

Gand, Bruges, Genk et Anderlecht se révèlent aujourd’hui bien plus attractifs sportivement, d’autant que ces clubs n’hésitent pas à mettre la main au portefeuille. Gand se signale par une politique agressive, mais le Standard n’est pas en reste puisqu’il va piocher dans le réservoir de plus petits clubs comme Tubize, Eupen ou Charleroi. Venanzi ne veut plus connaître l’exode d’il y a deux ans, symbolisé par la fuite des cerveaux de la fameuse génération 99 : Zinho Vanheusden (Inter Milan), Adrien Bongiovanni (AS Monaco) et Thibaud Verlinden (Stoke City).

Une stratégie du porte-fort

Alors, c’est simple, le cofondateur de Lampiris rappelle régulièrement la manne financière que ces joueurs auraient pu rapporter et délie davantage les cordons de la bourse. Les contrats des futures pépites atteignent parfois les 10.000 euros brut. Venanzi n’hésite pas non plus à opter pour la stratégie du porte-fort au profit des parents (voir encadré), afin de s’assurer la signature de leur fils dès leurs seize ans (âge légal). Une pratique qui s’accentue à Sclessin tandis qu’à l’inverse, Arnaud Bodart, troisième gardien dans la hiérarchie, s’est vu offrir un contrat à seulement 2.000 euros brut par mois.

 » En un mot, c’est la catastrophe. Le niveau des joueurs à complètement baissé, mais ils obtiennent plus facilement des contrats et touchent plus facilement de l’argent. Il suffit de faire un ou deux bons matches, d’être appelé une ou deux fois en équipe nationale et on a un contrat « , poursuit le dernier agent cité.  » La direction voulait tellement freiner l’exode que si tu lui avais demandé un avion, elle te l’aurait filé.  » Le contrat de base pour un jeune de seize ans revient à 880 euros brut. À ceci, une prime à la signature de 10.000 euros et des frais pour l’essence peuvent s’ajouter.

Le Standard n’offre pas de voitures de société, ce qui est devenu courant à Anderlecht, Bruges et Gand mais est capable de prendre la famille d’un jeune en charge et d’offir des frais pour le leasing d’un véhicule. Le club veut à tout prix éviter un cas similaire à celui de Landry Dimata (symbole du manque de politique sportive du Standard envers ses jeunes). Les frères Mmaee (Ryan, 19 ans et Samy, 20 ans), dont le Standard souhaitait se débarrasser cet hiver, sont de retour en grâce après avoir été éjectés du noyau A puis de celui des Espoirs.

Le plus bankable des deux, Ryan, avait été proposé à Gand pour 500.000 euros et 50 % du joueur sur la revente. Il n’est plus question de le céder, malgré l’intérêt d’Ostende, de Bruges ou de Malines, où Yannick Ferrera, qui l’a lancé en D1, lui fait les yeux doux.

Mais le fossé entre la première et les U21 se creuse de plus en plus, quand la communication auprès des plus jeunes souffre d’interférences. Ils sont plusieurs à ne pas vraiment savoir pourquoi ils se retrouvent aux entraînements des pros.  » Il faut améliorer l’accompagnement de nos talents vers le noyau pro « , admet encore Bruno Venanzi. Ceux qui vivent dans les villas à moins de 100 mètres de l’Académie ne reçoivent quasiment aucun encadrement et sont presque livrés à eux-mêmes. À l’intérieur de ces villas, ils se débrouillent avec le strict minimum : quelques chaises, une table, pas de TV, un lit miniscule et un frigo quasiment vide.

Souvent seuls, les joueurs qui l’occupent tentent de tuer le temps, dans l’attente de leur séance de dix-sept heures. Pour corriger le tir, Venanzi dit avoir investi trois millions d’euros dans la construction de quinze nouveaux studios. Il veut reloger les jeunes qui habitent ces villas, où le suivi reste pour le moment désastreux.

Un duo Verjans-Jeunechamps ?

Son intérim terminé, la poigne de José Jeunechamps doit remettre de l’ordre dans un groupe des U21 en totale déliquescence. Une bonne partie de l’effectif méprise Alexandre Chteline, dont la mission arrive à son terme. Chteline avoue sans détour avoir  » perdu un an de sa vie. L’outil que possède le Standard est merveilleux. Vous avez également des formateurs très compétents. Malheureusement, il y a aussi de nombreux dysfonctionnements. Je devais être le seul coach professionnel à temps plein. Je ne parle pas de rémunération mais les autres formateurs ont un autre emploi à côté, ce qui rend leur tâche très compliquée « .

Le mal s’avère même plus profond. La direction se félicite d’avoir freiné l’exode de ses talents, mais encore faut-il qu’il en reste suffisamment et qu’ils soient mis dans des conditions optimales.  » La direction se réjouit de peu de chose. Dans les autres clubs, c’est la stabilité qui prône. Ici, ça change tous les six mois « , déplore un agent qui gravite autour de l’Académie RLD.  » On devait d’abord voir avec Thierry (Verjans), puis avec Ingrid (Vanherle) et maintenant, on va aussi devoir s’adresser à Jeunechamps. J’espère pour lui qu’il a déjà fait l’état des lieux parce qu’il y a du nettoyage à faire.  »

Les maux qui frappent la pépinière se veulent également d’ordre structurel. Chteline a dû composer avec un noyau pléthorique. Cette saison, ils sont 58 à transiter chez les U21, entre les surclassés et surtout les pros en quête de temps de jeu.  » Je m’occupais de ce qu’on appelle l’équipe Espoirs mais comment leur en donner si je n’avais le droit d’aligner que quatre à cinq jeunes par rencontre ?  »

S’agissait-il alors d’une mauvaise gestion de l’Académie ?  » Je ne pense pas. Ce sont plutôt des dommages collatéraux suite aux nombreux transferts de l’ancien président. Mais quand des jeunes goûtent au noyau pro et sont relégués chez les U21 sans aucune justification, vous n’êtes plus écouté. Ils me détestaient, j’étais un clown pour eux.  »

Thierry Verjans a également été choisi pour refaire jaillir la lumière. Il quitte les pros pour se concentrer sur l’Académie, dont il devient le coordinateur sportif, même s’il devrait aussi accompagner Marc Wilmots dans son expérience ivoirienne. Connu pour ses qualités de communicant et de diplomate, que ce soit avec les parents ou les agents, il ne souhaite pas imposer de système de jeu identique à toutes les équipes d’âges, à l’instar de ce qui se fait à l’Ajax ou à Anderlecht (3-4-3 puis 4-3-3). Verjans opte pour la polyvalence et préfère que les jeunes qu’il forme soient capables d’évoluer à plusieurs positions.

Son nouveau poste fait de lui l’  » Olivier Renard  » de l’Académie. Seulement, va-t-il devoir s’accorder avec José Jeunechamps ? Bruno Venanzi veut transformer ce dernier en  » coach des coaches « , c’est-à-dire en une sorte de superviseur de tous les formateurs, soit le garant de la philosophie  » Standard « . Jeunechamps doit insuffler cette ligne de conduite et cette cohérence entre les catégories qui fait cruellement défaut à l’heure actuelle.

Sauf s’il poursuit la saison prochaine en tant qu’adjoint du futur T1 liégeois, avec précisément pour objectif d’intégrer et d’accompagner les jeunes chez les pros, Jeunechamps devrait donc s’installer au sommet d’une direction bicéphale, au côté de Thierry Verjans. Verjans-Jeunechamps, une association qui rappelle celle malheureuse entre Daniel Van Buyten et Olivier Renard. Avec les relations tumultueuses et l’efficacité famélique qu’on lui connaît.

par Thomas Bricmont et Nicolas Taiana – photos Belgaimage

 » Comment voulez-vous créer une identité si l’on change sans arrêt de directeur de la formation et de coaches.  » Alexandre Chteline

Cette saison, aucune catégorie de jeunes du Standard n’a terminé championne.

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