L’autre Suarez

Entre le jeune Brésilien et l’Argentin, les points communs abondent.

Jeudi, lendemain de la veille. Le centre d’entraînement de Neerpede est en effervescence suite au Soulier d’Or attribué à Matias Suarez et l’événement est fêté comme il se doit. L’Argentin a tenu à y associer tous ses coéquipiers. Fernando Canesin, l’une des révélations du premier tour, est heureux pour lui. Il tient toutefois à rester modeste et à faire preuve d’humilité.

Fernando, on ne peut pas commencer cette interview sans rendre hommage à Matias Suarez…

FernandoCanesin : Il a amplement mérité son Soulier d’Or. Mati est un footballeur magnifique. Il a démontré qu’il était actuellement le meilleur joueur du championnat de Belgique.

Qu’a-t-il de spécial ?

Techniquement, il est au-dessus du lot. Sa vitesse, ballon au pied, lui permet de faire la différence. Il a franchi un cap en s’étant lui-même persuadé qu’il avait les capacités pour réussir et en constatant qu’il bénéficie de la confiance de tout le monde. Aujourd’hui, il parvient à reproduire en match les gestes qu’il ne réussissait avant qu’à l’entraînement. Parfois, on se regarde tous en se demandant : – Comment est-ce possible ? C’est un maestro.

C’est un exemple à suivre pour vous ?

Je le regarde beaucoup et j’essaie de m’en inspirer. La manière dont il contrôle le ballon, par exemple. Ou dont il parvient à le conserver. Je discute beaucoup avec lui. Il me donne de précieux conseils et essaye de me mettre en confiance. J’apprécie beaucoup son comportement à mon égard.

Etonnant, ce que vous dites : car Mati est réputé pour sa timidité et a lui-même manqué de confiance…

Cette réputation est née lors de son arrivée à Anderlecht. Je n’étais pas encore là, à ce moment-là. Depuis lors, il a sans doute changé, car je le côtoie depuis deux ans et je n’ai pas constaté ces défauts qu’on lui attribue régulièrement.

Avez-vous envie de suivre ses traces ?

Pourquoi pas ? Je n’ai encore que 19 ans, quatre de moins que lui. Si je me hissais à son niveau à 23 ans, ce serait fantastique. Cela signifierait que j’ai réussi. Je sais que le chemin est encore long.

Entre Mati et vous, il y a pas mal de points communs. A commencer par la position que vous occupez sur le terrain…

Il est donc, quelque part, un concurrent. Je considère comme un honneur d’être le concurrent du Soulier d’Or.

Son départ éventuel, en juin, pourrait-il libérer la place pour vous ?

Je ne raisonne pas de cette manière. Je souhaite à Mati de réaliser le transfert dont il rêve et qu’il mériterait. Mais je n’espère pas son départ d’un point de vue purement égoïste, en me disant que cela pourrait faire mes affaires. La concurrence fait partie intégrante du football. Si ce n’est plus Mati, ce sera quelqu’un d’autre.

 » Chaque fois que j’ai commencé un match sur le banc, je suis rentré en cours de jeu  »

Il y a un autre point commun, plus triste celui-là : vous avez également perdu votre père, à peu près au même âge…

J’avais 15 ans. Je n’aime pas trop en parler, c’est un souvenir douloureux. Lorsque notre concierge José Lago est décédé, en décembre, des images me sont revenues en mémoire. José, c’était un peu mon deuxième père. Je le voyais tous les jours. Il était aux petits soins pour moi. Comme pour tous les joueurs, d’ailleurs. J’ai été très affecté. Il a laissé un vide énorme. Je n’oublie ni José ni mon père, mais je dois m’efforcer de penser à autre chose. La vie continue. C’est en surmontant ces coups du sort que je me forgerai le caractère nécessaire à la réussite de ma carrière sportive.

On vous a découvert lors du dernier match des play-offs 2011 : un match sans enjeu où vous avez explosé…

C’était contre Lokeren. On savait déjà qu’on devrait se contenter de la troisième place et les Waeslandiens ne pouvaient plus prétendre à rien. Ariel Jacobs m’a donné ma chance et n’a jamais cessé de m’encourager. Grâce à Dieu, tout s’est bien passé.

Depuis lors, vous faites partie intégrante du noyau A. Vous avez été régulièrement titularisé et avez livré quelques très belles prestations. Etes-vous satisfait de vos six premiers mois de la saison ?

Je ne suis jamais satisfait. Je m’efforce toujours de placer la barre plus haut. Pas question de m’endormir sur mes lauriers. Je dois travailler, encore et encore. C’est le seul moyen de progresser. Je sais que je connaîtrai encore des baisses de régime et je devrai alors redoubler d’efforts pour les surmonter.

Vous avez déjà été relégué sur le banc : parce que c’est plus facile pour l’entraîneur de sacrifier un gamin de 19 ans qu’une vedette comme Milan Jovanovic, Dieumerci Mbokani ou Suarez ?

C’était précisément lorsque j’ai connu une baisse de régime. J’ai été blessé à la cheville gauche, aussi. L’entraîneur a eu raison de me reléguer sur le banc. Cela n’a rien à voir avec l’âge. Moi, en tout cas, je ne raisonne pas de la sorte : ce sont les qualités et le rendement qui comptent, pas les années. Chaque fois que j’ai commencé un match sur le banc, je suis rentré en cours de jeu. Cela signifie que le coach croit en moi et c’est très bien pour ma confiance.

Y a-t-il un match qui vous reste plus particulièrement à l’esprit ?

Celui face au Lokomotiv Moscou. Lorsque j’ai inscrit mon premier but. Je l’attendais depuis longtemps. J’avais déjà provoqué trois ou quatre penalties, j’avais touché le poteau à plusieurs reprises, mais ce ballon refusait d’entrer. Et là, dans un match que j’appréhendais, enfin…

 » Mon jeu a changé en deux ans « 

Cela vous a libéré d’un poids ?

Marquer n’était pas devenu une obsession. Le plus important reste la victoire de l’équipe. Mais tout de même, sur un plan personnel, cela m’a fait du bien. Le public, aussi, attendait ce premier but de ma part. Quand je l’ai enfin inscrit, j’ai vu des supporters pleurer. Cela m’a touché. Se sentir apprécié, c’est très valorisant. Et cela décuple ma motivation.

Votre jeu a-t-il changé en deux ans en Belgique ?

Oui, c’était indispensable. Au Brésil, j’avais plus d’espaces. J’avais le temps de contrôler le ballon, et même de le toucher à deux ou trois reprises, avant d’adresser une passe. J’ai été obligé d’accélérer mon jeu, de jouer davantage en un temps. Au Brésil, je pouvais aussi dribbler deux ou trois joueurs. En Belgique, c’est impensable : on peut dribbler un joueur, éventuellement un deuxième, mais dans ce cas-là le troisième vous projettera immanquablement au sol. Au Brésil, les matches sont très ouverts, on attaque constamment. En Belgique, on est régulièrement confronté à des équipes qui ferment la porte.

Quels sont, aujourd’hui, les points dont vous êtes satisfait dans votre jeu ?

J’ai progressé dans le domaine de la vitesse d’exécution, ballon au pied. J’ai aussi amélioré la qualité de mes passes. Tactiquement, je pense également avoir franchi un palier. Je me fonds mieux dans le collectif et je suis désormais en mesure d’aider le groupe.

Quels genres de conseils vous donne Jacobs ?

Il me demande d’encore accélérer le jeu, d’adresser mes passes plus rapidement.

Vous êtes d’accord avec lui ?

Tout à fait. Je dois aussi encore parfaire mon positionnement entre les lignes.

Les attaquants sont nombreux à Anderlecht. Si vous pouviez prendre une qualité chez chacun d’entre eux, laquelle serait-ce ? A tout seigneur, tout honneur : commençons par Suarez ?

Je prendrais tout chez lui.

Jovanovic ?

Son caractère. Son expérience, aussi. Et sa faculté à s’ouvrir le chemin des filets.

Mbokani ?

Sa facilité à conserver le ballon. Et aussi son sens du but.

Guillaume Gillet ?

Son feeling pour se trouver toujours au bon endroit. J’espère qu’il terminera meilleur buteur de la compétition.

Ronald Vargas ?

Sa technique et sa frappe. J’ai une pensée pour lui, je lui souhaite de retrouver son meilleur niveau. Devoir se farcir une nouvelle opération au genou, ce n’est pas évident. Il faut être fort. Courage, Ronald.

L’exception qui confirme la règle

A Anderlecht, vous êtes l’exception qui confirme la règle : les Argentins réussissent, les Brésiliens échouent. Durant la trêve, trois de vos compatriotes sont partis et Kanu semble sur le départ également. Avez-vous une explication à ce phénomène ?

Certains avancent des explications comme le climat, plus proche en Argentine de ce que l’on rencontre en Europe, ou encore les origines européennes de beaucoup d’Argentins. Je ne sais pas si l’on peut généraliser le phénomène. Cela dépend d’un individu à l’autre, des facultés d’adaptation, de la manière d’appréhender le métier. Chacun est différent.

Qu’a-t-il manqué à vos compatriotes pour réussir à Anderlecht ?

J’ai du mal à comprendre. Ce sont de très grands joueurs et j’espère qu’ils réussiront dans leur nouveau club. Au-delà du fait que le jeu en Belgique est très différent de celui pratiqué au Brésil, la malchance a peut-être joué un rôle également. Lorsqu’on se blesse au mauvais moment, le mental doit suivre. Diogo devrait rebondir dans un grand club brésilien. Samuel est parti à Braga. Le football portugais devrait mieux lui convenir et il sera entouré de nombreux compatriotes au sein de son équipe. La langue ne constituera plus un obstacle. Reynaldo a démontré, la saison dernière au Cercle Bruges, qu’il était capable de livrer des prestations exceptionnelles et je suis certain qu’il les rééditera à Westerlo. C’est un ami, je l’ai encore régulièrement au téléphone et j’essaie de l’encourager. Il sera toujours le bienvenu chez moi, comme dans ma famille.

On sait que le FC Barcelone est votre équipe préférée. Le Ballon d’Or de Lionel Messi et le titre d’entraîneur de l’année de Pep Guardiola ont dû vous réjouir, mais un Brésilien qui idolâtre un Argentin, c’est permis ?

Messi est le meilleur joueur du monde. On a l’impression que le ballon lui colle aux pieds. J’apprécie beaucoup Dani Alvés également, mais il n’évolue pas vraiment dans mon registre. Encore que… On le retrouve plus souvent dans la moitié de terrain adverse que dans son camp.

 » J’ai joué avec Neymar « 

Les plus anciens associent le football brésilien à Pelé, Zico ou Ronaldo. Pour un jeune footballeur de 19 ans comme vous, à qui l’associez-vous ?

Deux noms me viennent immédiatement à l’esprit : ceux de Neymar et de Ganso, du FC Santos. J’ai le même âge que Neymar et j’ai d’ailleurs joué brièvement avec lui, lorsque j’étais tout petit. Il n’était pas encore connu, cela va de soi, mais je m’en souviens.

Que lui conseilleriez-vous : opter pour le Real Madrid ou Barcelone ?

Cela dépend du moment où il choisira de quitter le FC Santos. Apparemment, il aurait décidé de rester au Brésil jusqu’en 2014. Il faudra voir où il se situera dans deux ans.

Vous comprenez sa décision de patienter avant de tenter l’aventure en Europe ?

Je la comprends parfaitement. La Coupe du Monde se disputera au Brésil en 2014. C’est un événement qu’aucun footballeur brésilien ne voudrait manquer. Au FC Santos, Neymar est certain de jouer et d’emmagasiner un maximum de confiance. Le risque existe qu’il ne s’habitue pas au jeu européen et qu’il se retrouve sur le banc au Real Madrid ou à Barcelone. Et alors, bye bye la Coupe du Monde. Personnellement, j’ai pris l’option de partir très jeune, mais chacun son choix.

Si, pour les Argentins de Belgique, les portes de l’équipe nationale s’ouvrent difficilement, on peut en dire autant pour les Brésiliens…

Revêtir le maillot de la Seleçao, c’est forcément aussi l’un de mes rêves. J’avais été convoqué lorsque j’avais 15 ou 16 ans et que je jouais toujours au pays, mais je me suis blessé au pied au mauvais moment et je n’ai jamais été en mesure de disputer un match. Aujourd’hui, je suis toujours en âge d’intégrer l’équipe U20. J’y courrais les yeux fermés.

Etes-vous rentré au Brésil durant la trêve ?

Pendant cinq jours. C’est court mais cela m’a fait du bien. Chez moi, c’est à Ribeiro Preto et c’est l’été là-bas. Il faisait forcément plus chaud qu’en Belgique mais il a plu sans discontinuer. Ce n’était pas l’essentiel : j’ai revu ma famille, mes amis. Et je suis reparti avec ma mère, ma s£ur et mon frère cadet. Pendant un mois et demi, ils me tiendront compagnie à Bruxelles. Cela aussi me fait un bien fou.

Loin de votre pays, la solitude vous pèse parfois ?

Je savais à quoi je m’exposais lorsque j’ai choisi de tenter ma chance sur le Vieux Continent. Je n’ai pas consenti un sacrifice, au contraire. Jouer en Europe, c’était un rêve et je suis en train de le réaliser. Je devrais donc plutôt parler de joie. Lorsque j’étais petit, j’avais constamment un ballon aux pieds. Ma famille m’a toujours encouragé dans cette voie. Je pense qu’aujourd’hui, elle est fière de moi. Pour elle, je joue chaque match comme si c’était mon dernier.

Votre objectif pour 2012 ?

Le titre. Il faudra démontrer à chaque match qu’on le mérite. Sur le plan personnel, j’espère confirmer mon premier tour et obtenir un maximum de titularisations.

PAR DANIEL DEVOS

 » Mon père et José Lago me manquent. Je dois puiser dans ces pertes du caractère pour réussir ma carrière « 

 » Je n’oublierai jamais le match contre le Lokomotiv Moscou. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire