L’autre Jacobs

Décryptage d’un personnage complexe et atypique en plein cour d’un milieu trop standardisé.

Regard dur, posture stricte, sourire rare, de prime à bord, Ariël Jacobs ne donne pas envie de passer ses vacances avec lui. Le bonhomme est à mille lieux des techniques de com’ tape sur l’épaule et sourire pepsodent, version GeorgesLeekens ou des rires gras façon JanBoskamp. Dans un sport qui tente de rester populaire, Jacobs n’est pas bon vendeur. Une attitude austère, un look de prof de catéchisme, ce n’est pas bon pour l’esbroufe. Jacobs détonne, amuse souvent (voir Parlez-vous le Jacobs ?), même si cela ne fait pas toujours l’unanimité dans un milieu très premier degré.

 » Jacobs n’est pas fait pour le foot business  » (Jos Vaessen)

Quelques jours après le Clasico de la honte du début de saison, Jacobs avait accordé à Sport/Foot Magazine une interview empreinte de dégoût, où il évoquait sa proche fin de carrière. Morceaux choisis :  » Tout le monde parle de respect, mais nul n’en témoigne(…) Notre foot est pourri et ça ne changera pas (…) Dans le foot, il se passe des choses criminelles dont le public ignore tout.  »

Le coach d’Anderlecht en avait gros sur la patate, avant de… prolonger son contrat en mauve quelques semaines plus tard. Comment comprendre un tel revirement ? A-t-il tiré volontairement sur la corde du tous pourris ou le ras-le-bol était-il sincère?

 » L’histoire de Wasyl a fait réfléchir tout le monde « , nous dit Herman Van Holsbeeck.  » Ariel a, lui, réagi à sa façon :- Avec quoi on est occupé là. Il pensait vraiment s’éclipser. Il a fallu 15 jours, trois semaines pour qu’il retrouve toute son envie.  »

L’ex-président de Genk, Jos Vaessen, a côtoyé Jacobs au quotidien de 2004 à 2006 quand ce dernier occupait le poste de directeur technique du Racing. Il garde beaucoup d’affection pour l’homme et ne remet certainement pas en doute sa franchise :  » A l’époque de Genk, il était malheureux dans son costume de DT. Le milieu du foot business, des managers véreux, ce n’est pas pour lui. Je le sentais souvent irrité, énervé de baigner dans un tel contexte.  »

Van Holsbeeck connaît parfaitement Jacobs. La première rencontre remonte à l’époque où le coach venait de faire son entrée à la Fédération ( voir bio) et qu’il évoluait encore comme attaquant de pointe à Diegem. Le manager le décrit avec une pointe de fierté dans la voix :  » C’est quelqu’un de loyal. S’il te serre la main, on sait qu’il va respecter ses engagements. Et sa grande force, c’est cette faculté à prendre du recul. J’ai vu l’homme évoluer sur ce point. Même si on le sent très concerné par les événements, il n’oublie pas que ce n’est que du foot.  »

Vaessen corrobore :  » Il a toujours placé le foot comme un sujet secondaire, par rapport à de vrais sujets de société. Ariël est quelqu’un de cultivé, tout mon contraire ( il rit). Il relativise la gloire, c’est un don chez lui. C’est pourquoi je le vois réussir une grande carrière de coach.  »

Le journaliste TV Marc Delire a vécu près d’un mois avec l’entraîneur bruxellois. C’était en 1997 lors du championnat du monde des -20 ans disputé en Malaisie auquel la Belgique participait avec Jacobs comme coach :  » J’avais proposé à la RTBF de suivre nos Diablotins dans leur intimité et j’en ai ramené un 52 minutes, du type Yeux dans les Bleus avant l’heure, avec un résultat sportif un tantinet différent ( il rit). Ariël m’avait laissé une énorme liberté. Il était même l’unique voix off de ce document. Il s’était totalement investi dans ce travail. De Malaisie, j’ai gardé l’image d’un homme de parole. D’un type extrêmement cultivé ; je me souviens de discussions sur la situation du pays, de l’exploitation du travail des enfants. On voit très vite qu’on n’a pas affaire à un con. C’est un type peut-être un peu torturé, quelqu’un qui se pose 100.000 questions. Mais quelqu’un de juste. En tout cas, c’est comme ça que je l’avais perçu à l’époque puisque nos relations sont aujourd’hui uniquement professionnelles. Et même si d’autres le voient totalement différemment…  »

 » Pince-sans-rire doublé d’un charmeur « 

Le Jacobs est souvent insondable. L’expression (ou plutôt son absence) sur son visage laisse la place à pas mal d’interprétations.  » Par moments, il hésite à montrer ses émotions, on ne sait jamais très bien ce qu’il ressent. Et médiatiquement ça peut peut-être être un désavantage « , nous dit Alan Haydock qui est issu du même patelin (Diegem, en banlieue bruxelloise) que Jacobs et qu’il a connu comme coach, en Espoirs, au RWDM et à La Louvière.

Van Holsbeeck :  » Lors des sorties médiatiques, il est souvent pince-sans-rire. Dans l’allure, dans l’humour, c’est le plus pur style britannique. « 

 » Ce cynisme est sa manière à lui de relativiser les choses « , explique l’un de ses deux fils, Pieter.

 » C’est un pince-sans-rire doublé d’un charmeur « , poursuit Haydock.  » Il est continuellement dans un jeu de séduction, tout en restant très timide. Faut pas se fier à son image : c’est quelqu’un qui a énormément d’humour. Aux entraînements, c’est même un show-man. Combien de fois, je ne l’ai pas vu se mettre à genoux et crier Jésus Christ en anglais après une mauvaise passe. Ou répéter – Simple dans toutes les langues quand on se compliquait la tâche…  »

Delire :  » La fonction a dû le changer et sans doute que ce n’est plus la même personne que j’avais connue chez les Diablotins. Il s’est créé un personnage, une personnalité différente des autres, avec un humour bien à lui. « 

 » You’ll never walk alone  » pour galvaniser

Si le Diegemois remporte son premier titre de champion, il a un long vécu de coach. Certains l’oublient peut-être mais Jacobs était l’adjoint de Guy Thys lors de la Coupe du Monde 90 après avoir fait son entrée à l’Union belge en 1982. Philippe Albert, encore jeune, était du voyage en Italie :  » Il était très disponible pour nous, son savoir était déjà exemplaire. Il m’a donné l’impression d’être un type honnête, posé, très pro et intelligent.  »

Vaessen est même dithyrambique le concernant :  » C’est quelqu’un d’extrêmement compétent, d’extrêmement correct, d’extrêmement intelligent. Je sais que ça peut paraître excessif mais je le pense sincèrement. Son départ fut une énorme perte, la plus importante de l’histoire du Racing. Pour le garder au club, j’ai voulu qu’il prenne la succession de RenéVandereycken, il était notre choix numéro un, mais il ne voulait pas avoir l’étiquette de celui qui scie la chaise de quelqu’un. D’un point de vue humain, les deux années avec Ariël furent exceptionnelles. A mille lieues du monde du foot. De toute façon, il est trop sérieux pour ce monde.  »

Longtemps Jacobs dut se défaire de l’étiquette d’entraîneur de jeunes. A Anderlecht, la presse souligna son manque de charisme, d’autres pointèrent son absence de carrière comme joueur, oubliant les RafaelBenitez, José Mourinho ou ArrigoSacchi.

 » Il n’a pas connu le haut niveau dans sa carrière de footballeur mais les joueurs qu’il entraîne voient directement qu’ils ont affaire à quelqu’un qui s’y connaît parfaitement « , tempère Haydock.  » Et c’est un motivateur hors pair : quand on est parti en mise au vert avant la finale de la Coupe de Belgique, il s’était arrangé pour déposer sur chacun des lits une photo de la Coupe et à côté I have a dream. Une heure avant la finale. Il nous alors passé des titres du style You’ll never walk alone afin de nous galvaniser. Et ça a marché à merveille. Je ne crois pas qu’il utilise les mêmes méthodes aujourd’hui à Anderlecht car les joueurs sont tous des compétiteurs, habitués aux gros matches, mais pour des gars d’une équipe comme La Louvière, ça nous a mis un kick.  »

 » C’est un gentleman, pas un type qui gueule, et les joueurs apprécient cela « , poursuit Willy Verhoost, directeur sportif à Lokeren, où Jacobs travailla de juin 2006 à octobre 2006, date de son licenciement.

 » C’est quelqu’un de fier  » (sa fille, Katrien)

Le gouffre abyssal entre Anderlecht et le reste de la meute fait taire aujourd’hui toutes les critiques qui s’étaient lourdement abattues sur ces épaules en fin de saison dernière ou après le couac Bate Borisov.

 » Ariël va très vite prendre du recul par rapport à ce sacre et aux compliments « , assure Van Holsbeeck.  » Ce n’est pas quand tout va bien qu’il faut s’asseoir là-dessus. Et ça, il l’a parfaitement compris. « 

 » Il n’est pas du genre à se mettre sur le devant de la scène, ni à s’attribuer les louanges « , poursuit son fils, Pieter. De fait, au micro de Bertrand Crasson dès la fin du match à Bruges, Jacobs n’a jamais voulu s’attribuer une once de mérite, mais a parlé du succès du club et de rien d’autre. Il donnait même l’impression de ne plus être à sa place dès le coup de sifflet final. Porté par Jelle Van Damme et puis par le reste du groupe, l’entraîneur champion semblait presque mal à l’aise, tout comme devant les flashes des photographes.

 » Cela ne m’étonne pas qu’il n’ait pas fait le fanfaron « , sourit Haydock.  » Quand on a gagné la Coupe avec La Louvière, c’était la même chose. Tout le groupe a explosé de joie, lui est resté très réservé. Une fois le travail accompli, il s’éclipse… Il veut vivre son métier le plus simplement possible, ce n’est pas un homme à polémique. Il ne se prend pas au sérieux, la fonction ne change rien chez lui. « 

Katrien, sa fille, précise :  » Il n’est pas du genre à le montrer, mais c’est quelqu’un de fier…  »

par thomas bricmont

« Son cynisme est sa manière à lui de relativiser les choses. (son fils, Pieter)  »

« Son départ fut une énorme perte, la plus importante de l’histoire de Genk. (Jos Vaessen) »

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