L’autre Belge

Formé au Standard, ce Liégeois copain de Witsel évoluait encore en D2 hollandaise il y a quatre mois. Le voici en Champions League.

Bienvenue à Enschede (avec l’accent, prononcez Entscheideiii), ville néerlandaise à la frontière allemande. Petit à petit, on commence à mieux la connaître, cette cité qui accueille en ses murs Michel Preud’homme et Bryan Ruiz, vedettes du FC Twente local. A ces noms illustres du championnat de Belgique, il va falloir y apposer celui de Nacer Chadli, un Liégeois pur jus de 21 ans, parti chercher gloire et reconnaissance de l’autre côté de la frontière.

Il a finalement abouti dans cette ville sans charme, tombée en désuétude dans les années 70 après la délocalisation des entreprises de textile et qui dut se réinventer et reconstruire son identité autour d’une vie culturelle riche, un centre devenu piétonnier et commercial, et une bière très connue (la Grolsch). Aujourd’hui, cette ville qui s’enorgueillit du titre d’ Amsterdam de l’est, propose un centre sans attrait touristique mais vivant et animé.

Chadli vit, lui, dans un appartement à quelques mètres à peine du centre-ville. On ne sait rien de cette découverte belge. Il y a quatre mois, Chadli jouait encore en D2 néerlandaise, à Apeldoorn, dans un club dont le nom sonne comme une compagnie d’assurance (AGOVV). Aujourd’hui, il est titulaire en Ligue des Champions, au sein de la formation championne des Pays-Bas.  » Si on m’avait dit cela il y a un an, je ne l’aurais pas cru « , sourit-il, très accueillant.

Chadli est un miraculé du football de haut niveau. Il s’en est fallu de peu qu’il soit jugé trop court. Après une formation au Standard de Liège, aux côtés d’un Axel Witsel, avec lequel il part encore en vacances, et d’un Mehdi Carcela, il est écarté à 16 ans par Christophe Dessy, alors à la tête de l’école des jeunes :  » Il a annoncé à mon entraîneur que je n’avais pas le niveau pour passer en Juniors. Je m’y attendais un peu car j’avais été écarté à la Noël et j’ai alors demandé ses raisons. Il m’a expliqué que j’étais techniquement habile mais que je n’avais pas la mentalité pour devenir pro.  »

Le rêve de devenir pro dans le club de sa région s’évanouissait :  » J’avais envie de jouer dans ce stade dans lequel j’allais comme supporter.  » La faute également à une croissance tardive :  » Beaucoup de mes camarades étaient plus développés que moi et je trouve dommage qu’en Belgique, on juge un joueur de 15-16 ans sur le physique. « 

Jeté du Standard, repêché en Hollande

Quinze jours après son éviction, il passait la frontière pour un test au MVV Maastricht.  » Après deux jours, on m’a pris. L’entraîneur se demandait pourquoi on m’avait jeté du Standard et il a rigolé quand je lui ai dit que c’était parce que je n’avais pas le niveau. Il s’est quand même renseigné pour voir si je n’avais pas eu de problèmes disciplinaires ( il rit).  » Champion en Juniors, le voilà donc qui intègre l’équipe première de Maastricht. Du moins le croyait-il…

 » A Maastricht, j’ai eu l’impression qu’on me redonnait mon football. J’ai terminé meilleur buteur et meilleur passeur en tant que médian offensif. Mais je n’avais pas de contrat et on me disait d’attendre encore deux mois. J’avais presque 18 ans. Je n’avais pas le temps. Je devais me trouver une équipe pro. « 

Ses agents Daniel Evrard et l’ancien joueur Rubenilson lui dégottent un club de D2 hollandaise : AGOVV Apeldoorn.  » Ils cherchaient un numéro dix. J’ai été testé contre l’AEK Athènes en match amical et après la rencontre, on me proposait un contrat de quatre ans.  »

Le saut vers le professionnalisme se matérialisait enfin, plus d’un an après s’être vu congédier du Standard. A Apeldoorn, il fit la connaissance de plusieurs joueurs francophones et de Dries Mertens, le Belge qui flambe aujourd’hui à Utrecht avec qui il est devenu ami ( » Je ne comprends pas pourquoi il n’a pas été appelé en équipe nationale ! « ) et il travailla sous les ordres de l’ancien médian de l’Ajax (1993-1995), John Van Den Brom, secondé la deuxième année par Peter van Vossen, l’ancien joueur d’Anderlecht et du RWDM.

 » Van Vossen m’a appris à varier mon jeu et à me déplacer sur les flancs « , explique-t-il. Car à AGOVV, le médian offensif allait se muer en ailier de débordement.  » Van Den Brom m’a, lui, montré comment tourner autour des attaquants. Il m’a clairement fait comprendre qu’un numéro dix devait rester continuellement en mouvement et il m’a ensuite placé sur l’aile. « 

Pendant trois ans, Chadli va progresser. Trois buts et deux assists la première saison seulement ?  » Je devais assimiler le nombre d’entraînements « , se défend-il. Neuf buts et dix assists avec un statut de titulaire la deuxième année et 18 buts et 15 assists pour conclure. De quoi appâter les acheteurs potentiels.  » J’ai l’impression d’avoir grandi petit à petit et d’avoir commencé à soigner les détails, comme les coups francs, la saison passée. « 

Cologne se montre intéressé :  » Je me suis rendu plusieurs fois là-bas mais le club avait deux attaquants en trop et il devait d’abord alléger la masse salariale. Ils m’ont demandé d’attendre et j’ai repoussé les offres d’Utrecht et de l’AZ.  » Mais pas celle de Twente :  » Les dirigeants étaient sûrs d’eux et voulaient conclure le deal vite. J’ai rencontré des gens chaleureux et découvert des infrastructures excellentes. Twente venait d’être sacré champion des Pays-Bas et vu leur progression ces dernières saisons, je me suis dit qu’il s’agissait d’un grand club. De plus, j’ai plus de possibilités de jouer ici car je suis un peu connu aux Pays-Bas. Ce qui n’était pas du tout le cas en Allemagne. Il m’aurait fallu quelques mois d’adaptation en Bundesliga. « 

Opposé à Maicon

Chadli rejoint donc Preud’homme. Pourtant, cette arrivée n’est pas dictée par l’entraîneur liégeois. Mais comme les matches de D2 hollandaise ont lieu le vendredi, ils sont fortement suivis par les scouts de D1. Twente suivait donc Chadli depuis un certain temps et avait même tenté de l’attirer en janvier :  » Finalement, ils se sont tournés sur un attaquant kazakh. « 

Lorsque MPH a demandé des renforts, son adjoint lui a alors glissé le nom de Chadli. Preud’homme a visionné tous les DVD stockés sur le joueur de l’AGOVV et s’est renseigné. Convaincu !

 » Le fait que je joue à gauche en étant droitier lui a plu. Il ne possédait pas de joueur de ce type dans le noyau. Cela changeait d’ Emir Bajrami qui est un pur gaucher. On m’a dit que je rentrais en concurrence avec les autres ailiers et que je devais me battre pour avoir du temps de jeu. Mais dès le premier match, j’ai été retenu dans le groupe et j’ai pu rentrer 20 minutes contre Roda. Et cela s’est bien passé.  » Sur MHP, on n’apprendra rien de neuf. Il est resté le même en passant la frontière.  » Il est perfectionniste et remarque les petites choses qui font la différence.  »

Il a également fallu convaincre les supporters.  » Je les comprends. Ils se sont dit – On est champion et on se renforce avec un gars de D2 ! Pour jouer la Ligue des Champions, ce sera trop court. J’essaye donc de leur prouver le contraire.  »

Depuis le début de la saison, Chadli occupe donc une place de titulaire à Twente. Avec en point d’orgue une première en Ligue des Champions, face aux tenants du titre, l’Inter de Milan.  » J’étais encore cool à l’approche du match. Le foot reste un jeu. Cela ne sert à rien de se mettre la pression. Moi, j’utilise le stress à bon escient. Quand j’évolue devant beaucoup de monde, cela me stimule. A Twente, la composition de notre prochain adversaire est toujours affichée au-dessus de la porte. Contre Venlo, je connaissais deux personnes. Deux jours après, il y avait la composition de l’Inter. Là, je suis resté deux minutes à lire les noms. Je connaissais tout le monde ! Je me suis rendu compte de l’importance du match lorsque j’ai entendu l’hymne de la Ligue des Champions. J’ai surtout été impressionné par Samuel Eto’o. Il arrive même à faire quelque chose des balles difficiles. J’étais opposé à Maicon, élu meilleur défenseur du monde. A la théorie, on avait insisté sur la nécessité de bloquer Eto’o, Wesley Sneijder et Maicon. Je devais l’empêcher de monter.  »

Débuts réussis même si le plus dur reste à venir car Twente n’aura pas de répit dans un groupe de la mort.  » Il faut gratter le plus de points possibles à l’extérieur mais à domicile, on sait qu’on peut gagner contre le Werder de Brême et Tottenham. On joue toujours notre football même quand on rencontre une équipe bien organisée. On dispose également d’une très bonne défense. Par contre, on doit encore améliorer les automatismes. « 

Sa carrière a donc véritablement débuté à 21 ans.  » Dans ma tête, je suis pro depuis mes 18 ans. Même si c’est sûr, ça fait plus pro ici. Je gagne plus d’argent, les installations sont meilleures et le championnat également. « 

Voilà donc un recalé de la première heure qui, à force de détermination, a su lancer sa carrière.  » J’ai tourné la page Standard. Je joue dans le club champion des Pays-Bas et je m’y sens bien. Le football hollandais me va mieux. Je n’exclus pas un retour en Belgique mais mes ambitions ne se limitent plus au Standard. « 

Par Stéphane Vande Velde

Les supporters se sont dit – On est champion et on se renforce avec un gars de D2.

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