« L’audace paie toujours »

Le successeur d’Enzo Scifo chez les Hurlus nous a accordé une première interview avant d’entamer son travail le 27 juin.

Une fois encore, Philippe Dufermont a fait appel à ses relations. En matière de football, elles se concentrent dans la région de Valence, où il réside et où il a ses entreprises. Amedeo Carboni fut l’un des premiers contacts qu’il a établis lorsqu’il s’est décidé à s’aventurer dans le milieu du ballon rond qui lui était, à priori, inconnu. L’Italien était, à l’époque, le directeur technique du FC Valence. Des divergences de vues avec l’entraîneur Quique Sanchez Flores avaient débouché sur le départ des deux hommes.

Carboni est alors devenu agent FIFA, mais les liens d’amitié noués avec Dufermont sont restés solides.  » En mars déjà, lorsque je me suis rendu compte à quel point la situation de l’Excelsior était délicate, je me suis tourné vers lui en lui demandant s’il avait une solution à me proposer « , explique le mécène de Mouscron. Cette solution s’est officiellement concrétisée la semaine dernière : Carboni devient le directeur technique de l’Excel ! Un poste occupé jusqu’ici par Gil Vandenbrouck.

 » Gil restera dans le club, on lui confiera simplement un autre rôle « , assure Dufermont.  » Il faut reconnaître que le carnet d’adresses de Carboni est plus fourni, il a ses entrées dans de grands clubs européens et cela peut nous être utile. « 

Car Dufermont est convaincu que le seul moyen, pour l’Excelsior, de s’en sortir est de fairedubusiness. En d’autres termes : mettre des joueurs en vitrine pour les revendre avec bénéfice :  » Il faudra s’habituer à avoir des joueurs de passage. La région n’est, malheureusement, pas riche en gros sponsors qui pourraient nous permettre d’opter pour une autre politique.  »

Carboni a constitué son staff. Comme directeur technique adjoint, on trouvera un autre ancien joueur du FC Valence : Juan Sanchez, qui sera chargé de visionner des joueurs. Et comme entraîneur, il a appelé l’un de ses anciens coéquipiers, le Serbe Miroslav Djukic. De passage en Belgique, celui-ci nous a accordé une première interview.

 » Devenir entraîneur, c’était une vocation « 

Lorsque vous avez quitté l’Espagne, après une carrière de joueur longue de 13 années dans la Liga, vous saviez déjà que vous deviendriez entraîneur ?

MiroslavDjukic : Tout à fait. Comme joueur déjà, j’étais très intéressé par toutes les facettes de ce métier. Je posais fréquemment des questions sur l’aspect tactique, la gestion du groupe et des choses de ce genre. Je suis un homme studieux et je veux dominer les situations qui se présentent à moi. Ma voie était déjà tracée : je savais que je me dirigeais vers une carrière d’entraîneur. J’ai d’ailleurs, très tôt, fait le nécessaire pour obtenir mon diplôme : j’ai suivi les cours pendant deux années à La Corogne et j’ai terminé ma dernière année à Madrid. Je n’avais que 30 ans et j’étais encore un footballeur actif. Lorsque j’ai mis un terme à ma carrière de joueur, j’ai eu l’opportunité de prendre en charge l’équipe nationale serbe des -21 ans. Je l’ai hissée sur la deuxième marche du podium du Championnat d’Europe 2007. Après, j’ai été engagé par le Partizan Belgrade, une équipe avec laquelle j’ai été champion d’hiver. Le championnat serbe est un peu particulier, il se déroule en deux phases bien distinctes. Je n’ai pas terminé la deuxième partie du championnat, car j’ai été contacté par la fédération serbe pour m’occuper de l’équipe nationale A, mais de nombreux problèmes extra-sportifs m’ont contraint à abandonner cette mission.

La Serbie des -21 ans, c’est un mauvais souvenir pour Jean-François de Sart…

Nous avons, effectivement, battu la Belgique 2-0 en demi-finale à Arnhem. Les Diablotins avaient une belle équipe, mais nous avions de bons joueurs également et nous avions trouvé les solutions pour l’emporter. En finale, malheureusement, nous avons dû nous incliner contre le pays organisateur, les Pays-Bas.

Cette demi-finale de l’EURO 2007 des -21 ans, ce fut votre premier contact avec le football belge ?

Oui, on peut le voir de cette manière. J’avais visionné plusieurs vidéos de la Belgique et je m’attendais à une opposition très coriace, mais on a franchi l’écueil plus facilement que prévu.

Un an plus tard, cette équipe belge a toutefois atteint les demi-finales des JO alors que la Serbie n’y a fait que de la figuration…

On a éprouvé de grosses difficultés à former une équipe compétitive. Les clubs allemands ne voulaient pas lâcher leurs joueurs, les clubs français et néerlandais non plus. Personnellement, j’ai éprouvé des problèmes avec le président de la fédération serbe. Il voulait que je libère les joueurs du Partizan Belgrade, qui s’apprêtaient à disputer le tour préliminaire de la Ligue des Champions, ce à quoi je m’y suis opposé. Suite à cela, j’ai été destitué.

Cela nous rappelle les péripéties du même ordre auxquelles avaient été confronté de Sart et son staff…

Personnellement, je suis d’avis que l’équipe nationale est le sommet footballistique d’un pays et que ses intérêts doivent prévaloir sur ceux des clubs. Je n’aurais jamais accepté le départ de joueurs après un match, comme ce fut le cas de Vincent Kompany et Marouane Fellaini chez vous. Le Werder Brême, le FC Nantes et le FC Twente insistaient aussi pour que je libère leurs joueurs. J’ai refusé, j’ai voulu conserver l’intégralité de mon groupe. Je ne pouvais pas faire deux poids, deux mesures : si j’en libérais un, j’aurais dû libérer les autres également. Impensable. Cet entêtement m’a coûté mon poste, mais tant pis.

 » Je n’hésite jamais à offrir une chance à un jeune « 

Le fait que vous ayez débuté votre carrière d’entraîneur chez les -21 ans démontre votre intérêt pour les jeunes. Cela permet-il d’affirmer que vous avez le profil pour Mouscron, où l’on cherche depuis longtemps à établir un lien plus solide entre le Futurosport et l’équipe Première ?

Je m’intéresse beaucoup aux jeunes, c’est exact. Le Partizan Belgrade possède un très bon centre de formation et beaucoup de produits du cru évoluent en équipe Première. J’apprécie les jeunes qui démontrent leur envie d’apprendre, qui s’appliquent aux entraînements. Mais lorsqu’on les lance en équipe Première, il est indispensable de les entourer par des joueurs d’expérience, qui doivent les aider à supporter la pression. Les jeunes connaissent beaucoup de hauts et de bas. Ils n’atteignent un rendement maximal que lorsqu’ils peuvent s’appuyer sur des coéquipiers qui ont un vécu. Je n’ai pas peur de lancer des jeunes dans le grand bain. Je me considère comme un entraîneur audacieux. Si je constate que certains éléments du Futurosport présentent des qualités, je n’hésiterai pas à leur offrir une chance. J’ose prendre des risques, mais en contrepartie, les jeunes doivent démontrer qu’ils méritent cette chance. Par leur talent, mais aussi par leur travail. Je suis ouvert et exigeant tout à la fois. J’accepterai les erreurs qu’ils commettront, j’en endosserai même la responsabilité à condition qu’ils acceptent de travailler pour les corriger. Je serai là pour les guider.

D’un autre côté, on ne peut pas construire une équipe avec 11 jeunes…

Exactement. Les anciens doivent être les piliers de l’équipe. Ils doivent montrer l’exemple, être  » un miroir dans lequel les jeunes peuvent se regarder « . Les anciens doivent encore travailler plus dur que les jeunes, pour leur montrer la voie à suivre. Je recherche toujours avec assiduité ce profil de joueur : expérimenté, mais toujours doté du feu sacré et travailleur.

Dans les grandes lignes, quelle est votre philosophie comme entraîneur ? Plutôt offensive ou plutôt défensive ?

J’aime le beau football, et je serais plutôt de tendance offensive, mais l’essentiel est de trouver un équilibre. Pas question d’attaquer en laissant des boulevards derrière. Il faut soigner de la même manière les deux aspects du jeu. J’insiste beaucoup sur le travail défensif, car je sais qu’une bonne attaque part toujours d’une bonne défense.

A 43 ans, vous êtes encore un jeune entraîneur…

Jeune, audacieux, ambitieux : ce sont les caractéristiques qui peuvent m’être attribuées. J’ai envie de démontrer ma valeur et mes compétences. Je n’ai pas peur de prendre mes responsabilités.

Vous débarquez à Mouscron par amitié envers Carboni ou pour d’autres raisons ?

Pas par amitié, non. Je ne crois pas aux petits cadeaux entre amis. Je crois surtout aux vertus du travail. J’espère que les fruits de ce travail seront appréciés par les dirigeants, le public, les journalistes… Si Mouscron peut représenter un tremplin pour la suite de ma carrière, tant mieux. Chaque entraîneur rêve de coacher, un jour, le Real Madrid, l’AC Milan ou Manchester United. Comme pour les joueurs, c’est l’ambition qui permet d’avancer. Mais il faut procéder par étapes et Mouscron en est une dans ma carrière.

Apparemment, vous devez encore découvrir le football belge ?

J’ai visionné de nombreuses vidéos. Y compris des matches de Mouscron. Je devrai découvrir les spécificités des adversaires, mais je ne fais pas partie des entraîneurs qui s’adaptent exagérément à l’opposant. Je veux créer une mentalité qui soit propre à mon équipe. Mes joueurs doivent prendre conscience de leurs propres qualités, avoir confiance en eux. La réussite dépendra d’abord de nous.

 » Ce penalty raté fait partie de mon histoire « 

Comme joueur, vous étiez défenseur central…

Oui, mais un arrière très offensif. J’étais capable de bien jouer au ballon et même de tirer au but.

En tant que défenseur, on a tout le jeu devant soi. C’est un avantage lorsqu’on se destine à une carrière d’entraîneur ?

Oui, probablement. Les points forts que j’ai développés comme entraîneur sont, je pense : la communication, la clarté et l’aspect tactique.

A l’apogée de votre carrière, vous avez disputé deux finales de Ligue des Champions…

Toutes les deux perdues, malheureusement : contre le Bayern Munich en 2001 et le Real Madrid en 2002. Mais j’ai gagné le titre de champion avec le FC Valence en 2002 et deux Coupes du Roi : une avec le Deportivo en 1995 et une autre avec le FC Valence en 1999. Deux Supercoupes, également, en 1995 et en 1999. En revanche, contrairement à ce qu’on a écrit, je n’ai jamais remporté la Coupe de l’UEFA. J’avais déjà quitté Valence à ce moment-là.

Un palmarès enviable, donc. Mais, ce que beaucoup de gens retiennent de votre carrière, c’est ce fameux penalty loupé en 1994 qui aurait offert un premier titre au Deportivo…

C’est un fait de jeu qui me poursuivra toute ma vie. Le premier tireur qui avait été désigné était Donato, mais il avait quitté le terrain dix minutes plus tôt. J’étais le deuxième sur la liste et j’ai pris mes responsabilités. On sait ce qu’il en est advenu. C’est le football…

Avez-vous mis du temps à vous remettre de ce traumatisme ?

Cela n’a pas été facile, je le re-connais. Il faut être très fort mentalement pour relever la tête. J’ai pu compter sur le soutien des supporters de La Corogne, qui me connaissaient comme joueur et comme être humain. Grâce à eux, j’ai surmonté ce passage difficile. Heureusement, il y a eu une vie après cet échec.

Le Deportivo a fini par être champion en 2000. Vous aviez alors quitté La Corogne pour Valence, précisément le club face auquel vous aviez raté le penalty…

En effet. Mais c’est une pure coïncidence. Valence n’était plus dans la course en 1994 : le titre se jouait entre le FC Barcelone et le Deportivo. Après sept belles années à La Corogne, j’ai vécu six autres belles années à Valence, pour terminer ma carrière par une saison à Ténériffe, en D2. Au total, j’aurai joué 13 ans dans la Liga. Rien ne laissait présager une telle longévité : j’avais déjà 25 ans lorsque j’ai débarqué d’un petit club de Belgrade, Rad. J’ai joué jusqu’à 38 ans au plus haut niveau ! Je me suis toujours bien soigné, j’ai vécu en vrai pro et mon corps a tenu le coup.

par daniel devos – photos: reporters

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire