L’auberge espagnole

1. Le Betis Séville représente le mieux le football espagnol.

En Ligue des Champions, Anderlecht s’est mesuré à la formation qui exhibe le plus de qualités de la Liga profonde. Si le Real Madrid et le FC Barcelone ont subi, ou subissent encore, les influences souvent positives de leurs entraîneurs étrangers, le Betis Séville surfe beaucoup plus sur les vagues de la tradition. Des faits bien précis ont illustré cette évidence à Anderlecht : possession du ballon, occupation très large du terrain, capacité technique énorme dans le chef de tous les joueurs, technique de frappe haut de gamme notamment sur les coups francs. Quand tous ces atouts se combinent, comme ce fut le cas à Anderlecht, une équipe comme le Betis est difficile à arrêter.

Elle évolue alors dans son registre préféré. C’est sa tasse de thé. Pour l’égaler sur ce terrain-là, il faut être très fort techniquement. A mon avis, il ne faut pas chercher à l’égaler dans ce domaine et revoir sa philosophie. L’adversaire a intérêt à se contenter, si je puis dire, de faire déjouer cette équipe, de secouer ses modes d’expression habituels, de l’obliger à jouer mal. Si l’adversaire y parvient, le Betis est désorienté et a du mal à retrouver le fil de ses idées. Les Andalous gagnent le plus souvent quand on leur permet de bien jouer, de décortiquer ses mouvements calmement. Anderlecht le savait car le Betis joue toujours de cette façon-là.

La seule nouveauté résidait dans la présence régulière d’un homme derrière les deux attaquants. Le Betis a percuté cinq fois les bois de Silvio Proto et ce n’est forcément pas le fruit du hasard. Quelque chose n’a pas fonctionné dans la gestion de ce danger connu. Cette équipe a une pléiade d’artificiers, dont Marcos Assunção, qui est resté sur le banc jusqu’à la 90e minute, qui ne cessent de s’exercer à cet art. Face à de tels atouts, il faut exercer une pression constante sur le porteur du ballon. La défense doit aussi être soumise à une forte pression.

Je ne crois pas que le Betis ait été sous-estimé par Anderlecht. Mais le climat général entourant ce match a peut-être un peu faussé la réalité. Pour tout le monde, la presse en tête, c’était le match à gagner face à un adversaire à la portée des Mauves. Cette analyse-là n’était pas la bonne. Si le Betis cherche ses marques en championnat, sa prestation face à Liverpool en Ligue des Champions fut de bonne facture. A Bruxelles, tout le monde attendait un succès d’Anderlecht avec la manière en plus. Ce ne fut pas le cas. Cette défaite me semble moins intéressante que celle d’Anderlecht à Chelsea.

A Londres, Anderlecht n’a offert aucune chance à son adversaire, sauf l’erreur de son gardien. Le Betis, par contre, en a eu une foule. Les équipes belges n’ont pas les moyens de se passer de deux médians défensifs. Yves Vanderhaeghe était constamment assis entre deux chaises, pris entre les médians et les attaquants espagnols. Avec un peu d’aide à ses côtés, sa tâche aurait été bien plus aisée. Le Betis aurait été gêné aux entournures et l’entrejeu bruxellois n’aurait pas eu autant de problèmes.

2. Les incessants changements tactiques ne sont pas une bonne chose.

Bruges a des problèmes pour l’instant. C’est dû à de nombreux facteurs : blessures, nouveau noyau, autre concept tactique, etc. Le turnover fait couler pas mal d’encre pour le moment. Je ne comprends pas le débat. En 1982, Raymond Goethals et le Standard ont dominé la D1 et se sont qualifiés pour la finale de la Coupe des Coupes. Or, Raymond Goethals ne disposait que de 14 ou 15 joueurs. Mais, en près d’un quart de siècle, le football a totalement changé. Quand on revoit des matches de l’époque, on a l’impression de voir des joueurs évoluant au ralenti. Les organismes sont désormais soumis à d’autres charges de travail. Dès lors, les joueurs ne peuvent pas être présents tout le temps. Le noyau tourne, c’est logique. Si on dispose de plus de 30 joueurs, je ne vois pas pourquoi un coach devrait s’en plaindre ou se passer de l’un ou l’un ou l’autre. Cette nécessité grève cependant beaucoup trop le budget des clubs moins huppés, que ce soit à l’échelon européen ou tout simplement en Belgique. Les fédérations devraient réfléchir à ce problème.

Cela dit, il n’est pas normal qu’on assiste, en même temps, à la rotation des joueurs en même temps qu’à un turnover tactique au gré des événements. Là, cela peut provoquer des turbulences inutiles. Bruges et Anderlecht ont changé leur fusil d’épaule au Bayern et à Chelsea. J’imagine que tout serait plus simple pour tout le monde si le système était toujours le même. Quand on passe sans cesse du 4-4-2 au 3-4-3, 5-3-2, 4-3-3, 4-3-3-1, il y a de la recherche, je ne le nie pas, mais cela se fait au détriment des automatismes, de la culture tactique et des traditions d’un cercle. Avant, les clubs possédaient un label, une conduite tactique rigoureuse : cela faisait la richesse du football belge. Durant les années 70 et 80, c’était solide, on ne laissait rien passer et la reconversion fusait comme l’éclair. C’était notre marque de fabrique et tout le monde s’en méfiait.

Maintenant, il y a une quête tactique mais plus de philosophie tactique précise. A la place d’Anderlecht, je jouerais toujours dans le même concept qu’à Chelsea. Bruges a aussi intérêt à se fixer un cap. Trond Sollied jouait toujours de la même façon, que ce soit en Belgique ou face à des adversaires européens. Il ne bouleversait pas tout à la moindre blessure : chacun restait en place et connaissait son travail sur le bout des doigts. A Barcelone, Ronaldinho n’a pas pris part au festival sur les terres du Betis Seville (1-4) avant les rendez-vous de la Ligue des Champions. Deco était dans le même cas. Ronaldinho a répondu en Ligue des Champions. Ils n’ont peut-être pas apprécié le turnover mais si le retour de Ronaldinho a été aussi tonitruant, et brillant, c’est dû au fait que Frank Rijkaard a son système et s’y tient. En Angleterre, Chelsea vole de succès en succès : José Mourinho garde toujours la même occupation du terrain.l

PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE BILIC

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