L’Armoire à glace

L’ancien joueur de Beveren a déjà trouvé ses marques en Espagne.

Y aya Touré représente le rêve de tous les joueurs de Beveren. Après un passage au Freethiel, au Metalurh Donetsk, à l’Olympiacos et à Monaco, l’Ivoirien vient de déposer ses valises à Barcelone. A 24 ans, il arrive dans un club que beaucoup considèrent comme l’apogée d’une carrière. Un choix étonnant ? Pas tellement.  » Quand on était jeune, on jouait ensemble dans notre quartier « , explique Kolo Touré, son frère qui joue à Arsenal.  » J’ai toujours dit qu’il possédait plus de talent que moi. Les gens croyaient que je rigolais mais il détient vraiment d’énormes qualités. Au niveau du football, je n’ai rien à lui apprendre. Ce serait plutôt l’inverse « .

Quand il évoluait à Beveren, Yaya était souvent présent dans le top 10 des joueurs du week-end. Aux yeux des spécialistes, il passait pour un des meilleurs médians défensifs de notre compétition. Grand et élégant, il rassemblait deux qualités : la présence et la simplicité dans le geste au point que quand Timmy Simons rejoignit le PSV en 2005, Bruges s’intéressa à lui. Mais Beveren préféra le pousser vers la Russie pour être sûr d’empocher le pactole. Oublié par beaucoup, Yaya Touré a pourtant gravi les échelons et vient de passer celui qui le séparait du sommet.

Le transfert de Touré s’est fait plus discrètement que celui de ThierryHenry mais les éloges n’ont pas été moins importants.  » Il est fort, dur, difficile à bouger, il porte bien le ballon et a la qualité pour le distribuer « , a déclaré Txiki Begiristain, le directeur technique du Barça, lors de la présentation du joueur.  » Il a à peu près le même style que Patrick Vieira. Nous ne voulons pas lui mettre la pression en le comparant au Français mais Yaya a sans doute plus de qualités que lui « . Joan Laporta, le président barcelonais, en rajoute :  » Yaya Touré est le joueur dont toute équipe a besoin « . Il est logique que les dirigeants grossissent l’arrivée d’un joueur en le dotant de toutes les qualités du monde. L’arrivée du milieu ivoirien a provoqué des chamboulements dans l’effectif blaugrana. Frank Rijkaard ne veut pas se passer de lui. Touré ne s’est donc pas adapté à l’équipe mais c’est l’équipe qui s’est adaptée à lui. Il faut dire qu’il est là pour résoudre un problème qui tracasse le coach néerlandais depuis un certain temps déjà : le poste de médian défensif. Ni Edmilson, ni Rafael Marquez, ni ThiagoMotta n’ont convaincu à cette place.

Meilleur que Vieira et… Deco

Pour les dirigeants, Touré doit être le chaînon manquant, le contrepoids compensant l’abondance de forces offensives que représentent les Quatre Fantastiques : LionelMessi, SamuelEto’o, Ronaldinho et Henry. Il est même susceptible de pousser un titulaire comme Deco sur le banc. Jusque-là, Rijkaard utilisait le Portugais comme second pare-choc pour renforcer la récupération du ballon. L’entraîneur estime désormais que Touré est suffisamment bon pour assurer seul le rôle de médian défensif et cela lui permet de mieux quadriller le terrain en utilisant AndresIniesta ou Xavi dans des positions excentrées. C’est d’ailleurs avec le trio Touré-Iniesta-Xavi, renforcé par EricAbidal, que le Barça a débuté le championnat contre Santander. Touré sur le terrain et Henry sur le banc : qui aurait pu s’imaginer ça il y a quelques années ?

Les qualités de Yaya Touré ont toujours sauté aux yeux. De tous les Ivoiriens qui débarquèrent de l’Académie d’Abidjan à Beveren, c’était lui le plus doué.  » Quand les autres voyaient quatre ou cinq possibilités de passe sur une action, lui en voyait une sixième « , explique Régis Laguesse, le bras droit de Jean-Marc Guillou.  » Il était également celui qui savait le mieux cacher ses passes « .

Les deux ans et demi qu’il passe dans notre championnat lui font découvrir la réalité du football professionnel. Quand ses coéquipiers se signalent par leurs dribbles, leurs coups d’éclat, Touré se fait connaître par son intelligence et la maturité de son jeu. Il apprend à allier la fantaisie africaine à la rigueur européenne. Au terme de la saison 2003, il est considéré comme un des cinq meilleurs joueurs africains d’un championnat qui en compte beaucoup. Devenu une vitrine pour les Ivoiriens, Beveren cherche à le vendre. En tout cas, Touré aurait dû partir bien plus tôt dans un grand club vu qu’à l’époque, Arsène Wenger voulait l’amener à Arsenal. Yaya aurait été heureux de pouvoir retrouver son frère mais comme il n’a pas obtenu son permis de travail, le transfert ne s’est pas réalisé. Si Arsenal renonce alors à lui, Strasbourg, le PSG et Modène font le forcing. Peine perdue, ils ne peuvent rien contre la volonté de Guillou et des dirigeants de Beveren. Yaya Touré part donc à Donetsk dans de drôles de conditions.

Il éclate avec Trond Sollied

On l’annonce comme un renfort pour le Shakhtar mais c’est au Metalurh qu’il débarque. Un peu comme si on lui avait proposé le Club Bruges et qu’il arrivait au Cercle. Beveren se sucre sur son dos, récupère 2,1 millions d’euros qu’il est obligé de partager avec Guillou et une société anonyme. Certains pensent que Touré va s’enterrer là-bas et qu’on n’entendra plus jamais parler de lui.

En Ukraine, Touré joue mais ne s’amuse pas. Les premiers contacts avec l’entraîneur néerlandais du club, Ton Kaanen, se passent bien puis celui-ci est remplacé par Slavoljub Muslin. Le courant ne passe plus. Touré se laisse aller, perd pied physiquement et prend du poids. Fin 2005, alors que son club reprend les entraînements, il reste en Côte d’Ivoire.

La chance de Touré est de pouvoir compter sur Trond Sollied, qui le voulait déjà quand il entraînait Bruges. A l’Olympiacos, le Norvégien souhaite appliquer le 4-4-3 qui a toujours été sa marque de fabrique et il se met à la recherche d’un médian défensif solide. Et comme le club athénien a les moyens… En Grèce, Touré donne la pleine mesure de son talent. Il est titulaire, joue la majorité des matches et découvre aussi la Ligue des Champions. Après un match perdu 2-1 à Lyon où il fait une grosse impression, la liste de ses courtisans s’allonge. L’Europe découvre ce jeune joueur de 22 ans qui tient le moteur d’une cylindrée grec à lui tout seul. Même Jean-Michel Aulas, le président de Lyon, tombe amoureux de lui. Touré continue tranquillement son chemin et arrache un titre et une Coupe de Grèce en fin de saison, ses premiers trophées. Ces récompenses renforcent sa légitimité et sa valeur, comme l’équipe nationale, qu’il découvre cette saison-là.

Quand il était en Ukraine, il était difficile pour HenryMichel, le sélectionneur de l’époque, de savoir ce qu’il faisait et ce qu’il valait. L’exposition que lui offrent le championnat de Grèce et la Ligue des Champions lui fait rattraper le temps perdu. Touré devient titulaire au sein de la ligne médiane et participe à la Coupe du Monde en Allemagne. Même si elle se termine en demi-fiasco pour la Côte d’Ivoire, éliminée par les Pays-Bas et l’Argentine, elle lui assure une belle vitrine. A son retour, on l’attend dans un grand club. Manchester, Arsenal, Milan lui font les yeux doux. A Chelsea, Didier Drogba presse José Mourinho d’engager son compatriote. Mais le temps passe et rien ne se décide. La situation est rendue difficile par les conditions de transfert puisque le joueur est à moitié propriété du Metalurh et de l’Olympiacos. L’Ivoirien s’impatiente et, comme il l’avait fait à Donetsk, il refuse de reprendre les entraînements avec Athènes. Quand Touré a décidé quelque chose, il est difficile de lui faire changer d’avis.  » Avec lui, c’est tout blanc ou c’est tout noir « , dit Guillou.  » Il aime ou il n’aime pas. Quand il est aime, il est à 100 %. Sinon, il n’est pas bon « .

Six kilos de trop à Monaco

Après plusieurs semaines d’attente, un club dénoue la situation : Monaco où, contrairement à ce qui s’était passé en Ukraine et en Grèce, ses débuts sont chaotiques. Touré arrive avec 6 kilos en trop et un retard de préparation. LazloBoloni, l’entraîneur, ne l’apprécie pas et dit de lui qu’il est  » un demi joueur « . Si certains footballeurs savent encaisser les remarques d’un entraîneur sans broncher, Touré, lui, n’est pas comme ça.

La délivrance s’appelle Laurent Banide, l’entraîneur qui prend la succession de Boloni :  » Yaya a besoin d’être mis à l’aise. On a aussi besoin de le recadrer. Il pourrait puiser davantage au fond de lui pendant les entraînements « .

Malgré plusieurs blessures qui le freinent, Touré dispute 27 matches de championnat et marque 5 buts, son meilleur total en une saison. Il est surnommé l’Armoire à glace, un mélange de robustesse et de finesse technique.  » Il s’agit d’un footballeur rare, très complet « , complète Banide.

Journaliste à l’Equipe, Damien Degorre a suivi avec attention l’évolution de l’Ivoirien.  » Touré peut être considéré comme un des meilleurs médians que le championnat de France a connu la saison dernière. Il a toutes les qualités. Physiquement, il est large de nature, il est puissant et il ne perd pas beaucoup de duels. Il est grand mais sa technique est développée et il est capable d’éliminer un homme. A Barcelone, on l’a vite comparé à Vieira. Moi, je le vois plutôt comme l’équivalent de Mahamadou Diarra du Real Madrid « .

Mais comparaison n’est pas raison. Degorre estime que Touré a encore besoin de gommer certaines lacunes pour percer au plus niveau.  » A Monaco, il n’a pas tout le temps montré ses qualités. Lors de plusieurs matches, il n’a pas presté au niveau auquel on l’attendait. Quand il veut, il peut se montrer très irrégulier. Il a encore besoin de plus de maturité. Je ne pense pas que ce problème soit lié à la mentalité africaine. Cela dépend du contexte dans lequel il se trouve. A Barcelone, il a vite trouvé ses marques et a déjà intégré l’équipe « .

Ce côté nonchalant ne date pas d’hier. Il faisait déjà partie de lui lorsqu’il était à Beveren. Arsène Né, son équipier au Freethiel, en Côte d’Ivoire et en Ukraine, a d’ailleurs dit de lui :  » Yaya a besoin de coups de pied au derrière pour avancer. Il lui faut un entraîneur qui le comprenne. Après, s’il veut jouer, il joue. Car il a vraiment tout pour réussir « .

L’année dernière, lorsqu’il signa pour Monaco, Guillou avait cette prophétie.  » Après Monaco, il ira dans un grand club. Il a selon moi le jeu pour évoluer au Barça, notamment grâce à sa capacité à faire la différence seule. Il fait même partie des deux ou trois Académiciens capables de gagner un jour le Ballon d’Or « .

La première prédiction s’est réalisée. La seconde relève-t-elle de l’utopie ? Pour l’instant, Yaya Touré est en tout cas bien parti pour faire son trou à Barcelone.

par simon barzyczak

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