L’argent n’est pas tout

Davy Cooreman (La Louvière) est revenu d’Israël et Christophe Lauwers (Visé) a quitté l’Autriche.

Attentat contre un bus près de l’implantation juive Emmanuel, en Cisjordanie. Sept morts et au moins 14 blessés. Les terroristes ont fait exploser la bombe au moment où le bus israélien passait. Ensuite, les passagers qui ont pu s’échapper ont été pris sous le feu des armes. (Extrait d’un journal récent).

Davy Cooreman a vécu dans la peur. Après deux saisons à Hapoel Beer Sheva, le Gantois a tiré ses conclusions: il rejoue en Belgique, pour La Louvière.

« Oui, j’ai eu peur mais il est impossible de vivre en pensant à ces attentats. J’ai donc essayé de m’en distancier. La ville où j’habitais était relativement sûre. Tel-Aviv est plus exposée car plus de 60 routes mènent à la ville. Il est difficile de les contrôler toutes. Nous habitions environ à 50 kilomètres de la bande de Gaza. Nous n’avions pas d’attentats comme à Jérusalem ou Tel-Aviv mais après le 11 septembre, le climat a radicalement changé. Nous sentions la tension, les regards des gens, la peur… Ma femme et moi ne sommes plus allés en ville, à dater de ce jour.

La police n’inspecte pas chaque véhicule mais les contrôles sont nombreux. Tous les jours. Moi-même, je n’étais pas souvent inspecté: des cheveux blonds, des yeux bleus: je n’ai pas le profil d’un Palestinien. On comprend vite comment vivre: éviter les endroits où il y a foule, faire ses emplettes en quatrième vitesse et ne plus fréquenter les discothèques. Parfois, il m’est arrivé de regarder aux alentours, en me demandant : -Est-ce que quelqu’un? Mais je ne peux distinguer un Palestinien d’un Israélien, contrairement à eux.

J’ai bien gagné ma vie. En deux saisons, j’ai reçu autant d’argent qu’en cinq ou six ans en Belgique. Mais est-ce que ça en vaut la peine? Kenny Verhoene est revenu à la maison après le 11 septembre. Comme la plupart, je suis resté. Après l’entraînement, je rentrais chez moi. Nous allions parfois promener à la mer mais nous n’allions plus souvent au restaurant. J’ai renvoyé ma famille en Belgique, pendant un moment. Ma femme a accouché d’une petite fille et est restée deux mois ici. Elle n’est revenu en Israël que pour les trois dernières semaines du championnat.

La compétition était dure. Les joueurs manquent de technique mais jouent de tout leur coeur, sans trop réfléchir. Leur point faible, c’est la tactique. C’est pour ça qu’ils embauchent beaucoup d’étrangers, y compris des Arabes israéliens. Ils sont acceptés pour autant qu’ils ne soient pas Palestiniens. Il y a six équipes à Tel-Aviv, mais un seul grand club à Jérusalem, Beitar. Les déplacements s’effectuent en bus, sans escorte de la police. C’est notamment pour ça que j’ai arrêté. On ne sait jamais: on s’arrête au mauvais feu et une bombe explose ».

Pas de politique dans les vestiaires israéliens

« Dans le vestiaire, j’évitais de discuter politique: on ne sait jamais si des joueurs n’ont pas perdu un membre de leur famille. Eux-mêmes n’en discutaient jamais spontanément. Le 11 septembre, ils ont réagi autrement que nous: ils se sont sentis très forts. Du style: qu’ils viennent donc. Ils pensent être les meilleurs en toutes choses. Ils sont très sûrs d’eux, à la limite de l’arrogance. Le public est particulièrement fanatique. Dans notre ville, il y avait 50 journaux régionaux, qui réservaient tous des colonnes au football. Après son dernier match, notre international macédonien a dû quitter le terrain sous escorte de la police. Il a renoncé à son contrat et perdu au moins 50.000 euros. Voilà comment c’est, quand vous ne jouez pas bien. D’autre part, on est correctement payé, au franc près. Du moins pour ce qui est couché sur papier. Il en va autrement des accords verbaux…

Mon premier entraînement a été une course dans le désert. Le thermomètre affichait 45 degrés. J’ai perdu trois kilos. Mieux vaut s’y habituer car on joue souvent le vendredi après-midi, avant le début du sabbat. En août, la période la plus torride de l’année, ce n’était pas une sinécure. Le sabbat commence le vendredi au coucher du soleil et s’achève le samedi lorsque la lune apparaît. On ne travaille pas, on ne téléphone pas, magasins et restaurants sont fermés, à moins qu’ils ne soient tenus par des émigrants russes.

Je voudrais rectifier l’image qu’on a d’Israël, pays en état permanent de guerre. Malgré tout, c’est un beau pays. L’hiver, on peut skier et on n’est qu’à trois heures de la plage. Il y a Eilat, la vieille ville de Jérusalem, la Mer Morte… C’est unique. Mais quand Sharon est arrivé au pouvoir, j’ai compris que ça finirait mal. C’est un homme dur, alors que son adversaire était un homme de dialogue. Ce n’est pas un hasard s’ils construisent un mur. Comme en Allemagne avant. Quand on y pense… »

Débuts dramatiques en Autriche

Christophe Lauwers habite actuellement à Herzele. Il s’est inscrit à l’ONEM avant de signer pour Visé. Après trois saisons au SV Ried, en Autriche, il s’est retrouvé sans travail : « On m’a regardé de travers. J’ai dû montrer mon contrat autrichien. On a calculé mon indemnité d’après ce contrat mais j’espérais trouver une équipe. Je me plaisais en Autriche, sinon, je n’y serais pas resté aussi longtemps. J’habitais une superbe villa dans un joli village. Tout était paisible: mes voisins étaient des paysans tranquilles. Je pouvais faire de superbes promenades. Les adieux ont été pénibles, surtout pour ma femme. J’y retournerai. Pendant nos vacances en Belgique, nous étions déjà frappés d’être si heureux au moment de retourner en Autriche. Toulouse, où j’ai d’abord évolué une demi-saison, était aux antipodes de Ried. Nous habitions en plein milieu d’une ville bruyante et j’ai dû insister pour toucher mon argent.

Sportivement, ma première année en Autriche a été dramatique. J’étais mal préparé, j’ai mal joué et perdu ma place. Au second tour, j’ai été indisponible deux mois et demi. Lauwers était un mauvais transfert. Heureusement, l’entraîneur adjoint a repris l’équipe. Il croyait en moi. Heureusement, car je n’avais d’alternatives qu’en Grèce et en Turquie et comme ma femme était enceinte, ça ne me disait rien.

Le SV Ried était une équipe de bas de classement. Le championnat compte dix équipes qui s’affrontent quatre fois. Il y a 22 matches de juillet à décembre. Le reste se joue de mars à mai. Une seule équipe descend. Ried a terminé avant-dernier. Heureusement qu’Admira était vraiment très faible. Mon match en déplacement à Admira constitue un grand moment de ma carrière: nous avons joué devant 300 spectateurs! Il est quand même resté en D1 car Tirol, le champion, a été rétrogradé pour des motifs financiers. Le club avait réalisé des investissements en prévision de la Ligue des Champions mais le voilà en D3 avec une dette de 20 millions.

On voyait que Ried était une petite équipe à des tas de détails. Le niveau des entraîneurs, par exemple. Parfois, on vous alignait parce que vous aviez disputé un Bombermatch contre telle équipe la saison passée puis, la semaine suivante, vous étiez sur le banc, quel qu’ait été le résultat. Il fallait avant tout de l’engagement. Il prime le talent et les combinaisons. Je suis convaincu que l’influence de certains joueurs sur l’entraîneur m’a parfois coûté ma place. Je le remarquais lors des petits matches d’entraînement.

Nous n’avions pas de terrain d’entraînement. Nous nous exercions dans des installations de l’armée autrichienne. Il suffisait de se présenter à la porte de la caserne et les gardes l’ouvraient. éa a changé après le 11 septembre. Nous devions chaque fois présenter notre carte d’identité et nous inscrire. Dire qu’un peu plus loin, il y avait le complexe pour jeunes de Ried, avec cinq ou six terrains, dont un synthétique. Mais l’équipe A ne pouvait y mettre les pieds. Une fois, nous avons dû interrompre l’entraînement: un hélicoptère de l’armée devait atterrir…

Pour réaliser des économies, le club nous demandait souvent de nous rendre aux matches avec notre véhicule. Il fallait rouler deux heures et demie pour un match amical à Vienne. L’entraîneur ne trouvait pas ça grave. 250 kilomètres en voiture, sous une pluie battante, pour un match contre un club de 4e, puis 250 kilomètres pour rentrer… éa nous est aussi arrivé à l’occasion d’un tournoi de football en salle. Même le journal l’a relevé: toutes les équipes étaient venues en car, sauf le SV Ried. A ce niveau!

Mais j’étais payé ponctuellement. Qu’est-ce qui est le plus important: ça ou jouer au FC Tirol, parmi l’élite, dans un superbe stade, sans être payé? L’étranger, c’est bien, mais il faut réfléchir avant de s’y risquer ».

Peter T’Kint

« Mon premier entraînement? Une course dans le désert sous 45 degrés » (Davy Cooreman)

« On prenait sa voiture pour un match amical : 500 bornes! » (Christophe Lauwers)

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