L’ARGENT MAUVE

Jan Hauspie
Jan Hauspie Jan Hauspie is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

Selon cet économiste du sport, Anderlecht est une équipe de second plan international qui sera toujours vaincue par les représentants des grands marchés TV !

Roger Vanden Stock, le président des Mauves, a déjà proposé depuis longtemps de réduire la D1 à 14 équipes, mais les petits clubs sont contre, ce qui n’étonne guère Stefan Szymanski (professeur d’économie à l’Imperial College de Londres) :  » Les grands clubs drainent plus de supporters. Au nom de quoi les petits clubs pourraient-ils empêcher les grands d’organiser le championnat à leur guise ? Qui s’intéresse aux progrès des petits clubs ? Personne et ils se moquent que jouer contre eux coûte de l’argent à Anderlecht… Dans une économie de marché, ce sont les gens puissants qui prennent les décisions de toute façon. Comme en Angleterre en 1992 quand Manchester United, Arsenal, Liverpool, Everton et Tottenham ont fondé la PremierLeague pour pouvoir négocier eux-mêmes les droits de retransmission et garder l’argent pour eux. Ils ont convaincu 15 autres clubs de se joindre à eux et les clubs plus faibles n’ont pas eu d’autre choix. Suite à cette réforme, l’argent a plu sur la Premier League, y compris sur les 15 autres clubs. L’écart par rapport aux autres clubs a augmenté, et plus encore le fossé entre les différentes divisions.

Quel a été le catalyseur de la réforme ?

Stefan Szymanski : La dérégulation du marché audiovisuel. Avant, quelques chaînes nationales en avaient le monopole, y compris en Belgique. Maintenant, nous avons des satellites et des centaines de chaînes qui permettent de voir des matches du monde entier.

Que peut-on attendre d’un championnat de D1 réduit ?

Les enquêtes révèlent que l’équilibre ne s’améliorerait pas, que ça ne bonifierait pas le football belge et qu’Anderlecht ne serait pas plus compétitif au niveau européen. Il aurait des rentrées supplémentaires mais ne pourrait toujours pas concurrencer le marché anglais et ses 50 millions d’habitants.

Les exemples de l’Ecosse… et de la guerre

Y a-t-il un argument en faveur de 14 clubs ?

Non, ce qui ne veut pas dire qu’une formule à 18 soit meilleure. Cela ne fait sans doute aucune différence. Combien de fois l’Ecosse n’a-t-elle pas revu la formule de son championnat ? Cela n’a rien changé : le Celtic et les Rangers se partagent les lauriers mais ne gagneront jamais la Ligue des Champions. Cette dernière devient une superligue européenne. La domination des représentants des grands pays est manifeste, puisque tout est une question de chiffres. Comment la Première Guerre mondiale s’est-elle jouée ? Sur base de la démographie. Britanniques et Français ont dit : -Ensemble, nous sommes plus de 100 millions, les Allemands sont 60 millions, donc nous allons gagner. Le football est régi selon les mêmes lois. En Europe, les équipes de Londres, Manchester, Milan, Barcelone, Madrid triomphent. La Belgique est condamnée à rester un petit marché. Jamais Anderlecht ne pourra rivaliser avec Manchester United ou l’AC Milan.

Dans votre dernier livre, National Pastime, vous plaidez en faveur de compétitions paneuropéennes : des championnats régionaux transfrontaliers entre des clubs de différents pays au niveau similaire.

C’est une façon de faire jouer Anderlecht en D2 européenne avec des équipes issues d’autres petits marchés TV. Je suggère différents scénarios dans mon livre mais l’hypothèse reste la même dans tous les cas de figure : Anderlecht est une équipe de second rang en Europe. Réduire le championnat de Belgique à 14 équipes n’y changera rien.

Quelles sont les idées les plus révolutionnaires ?

Dans les années 80, les Italiens voulaient fonder une ligue paneuropéenne avec l’élite – une proposition de Silvio Berlusconi, président de l’AC Milan. Les clubs anglais s’y étaient opposés, trouvant leur marché trop important. Entre-temps, Manchester est la propriété d’un homme d’affaires américain, Malcolm Glazer, qui possède aussi les Tamba Bay Buccaneers, une équipe de football américain. Liverpool négocie aussi avec une équipe de NFL, les New England Patriots, qui veulent reprendre une partie du club. Deux équipes de NFL seraient propriétaires d’un grand club de la Premier League ! Voilà de quoi changer les tendances.

S’inspirer du tennis ?

Pensez-vous que les grands clubs européens quitteraient ainsi leur championnat au profit d’une compétition européenne ?

Si on la fondait aujourd’hui, ces équipes organiseraient sans doute une ligue à 15 ou 20 clubs qui joueraient en semaine tout en se consacrant à leur championnat domestique le week-end. C’était leur v£u en 1998 et ils l’ont déjà plus ou moins avec la LC, bien que le nombre de matches ne soit pas suffisant et qu’il y ait trop de joutes contre des équipes faibles comme le FC Thoune. Les grands clubs veulent se débarrasser de ce genre de matches, ils veulent plus de confrontations entre eux, à cause des rentrées de la TV. Or, en LC, Manchester United et le Real Madrid ne se sont affrontés que deux fois en cinq ans…

C’est ce que Roger Vanden Stock veut en Belgique : quatre chocs contre le Standard et le Club Bruges par saison.

Que veulent les supporters ? Un, que leur équipe gagne. Deux, voir des vedettes mondiales. Trois, des émotions. Pourquoi Man. United – Real surclasse-t-il United – Bolton ? Les supporters s’ennuient plus vite en suivant Anderlecht – St-Trond qu’Anderlecht – Standard.

Mettez-vous à la place de St-Trond, qui veut jouer contre Anderlecht et en a besoin !

Les clubs puissants feront ce qui les sert. Si c’est au détriment des petits clubs et de leurs supporters, ils s’excuseront mais feront quand même ce qu’ils veulent. Sur les plans nationaux et internationaux. Si vous estimez que les grands talents ont l’obligation de jouer contre de moins doués, vous produisez peu de spectacle. En tennis, on accepte que seuls les meilleurs jouent les uns contre les autres, sur base d’un ranking. Pourquoi pas en football ?

A quoi ressemblera le football européen en 2015 alors ?

Un championnat européen des clubs. On est en train de renouveler le contrat de la Ligue des Champions. Dans le passé, des moments ont toujours été propices aux changements de formule, sous la pression des grands clubs. Je sais que le G 14 exige des modifications profondes. La dernière fois, il a menacé de quitter les Coupes d’Europe et il a donc obtenu ce qu’il voulait – NDLA : voir cadre. Une Ligue européenne serait aussi un des programmes TV les plus attractifs en Asie. Les rentrées TV de Chine seraient à elles seules plus importantes que ce qu’on peut retirer de n’importe quel marché national…

JAN HAUSPIE

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