L’arbitrage en question

Ces dernières semaines, l’on a beaucoup parlé arbitrage dans le petit monde du football belge. Et votre hebdomadaire favori s’en est récemment fait l’écho. Du projet de la fédération de s’attacher les services d’arbitres professionnels aux déclarations fracassantes de joueurs ou entraîneurs s’estimant de plus en plus souvent « volés » par les hommes en noir, il n’est pas exagéré de dire que l’arbitrage belge est aujourd’hui en crise.

Et l’on peut parier que, d’ici peu (si ce n’est déjà fait), un arbitre se verra assigné naturellement devant un Tribunal civil, par des dirigeants de club ou même un joueur lui reprochant les conséquences financièrement dommageables que son erreur de jugement aura pu causées.

Les articles 1382 et 1383 du Code civil obligent toute personne ayant causé fautivement, par action ou par omission, un dommage à autrui à le réparer. En pratique, une personne sera civilement tenue de réparer un dommage lorsque la victime aura prouvé de manière certaine au juge l’existence d’un dommage l’affectant personnellement, d’une faute, et d’un lien de causalité (lien de cause à effet nécessaire) entre la faute et le dommage.

En l’espèce, le dommage invoqué par les joueurs ou dirigeants de clubs sera essentiellement de type matériel ou pécuniaire : une défaite peut en effet entraîner soit la perte de prime de victoire; soit la relégation d’un club en division inférieure, ou encore la perte de toute chance de devenir champion ou de se classer en ordre utile pour participer à une coupe d’Europe. A n’en point douter, de telles pertes financières constituent bien des dommages au sens du Code civil.

Cela étant, peut-on reprocher une quelconque faute au sens des articles 1382 et suivants du Code civil à un arbitre?

Dans le silence de la loi, la jurisprudence belge a, au fil des ans, précisé le concept de « faute civile ». Il s’agit :

-soit de la violation d’une norme légale imposant un comportement déterminé;

-soit de la violation, en dehors de tout texte légal, du comportement qui aurait dû être adopté en pareilles circonstances (de temps, de lieu,…) par une personne normalement prudente et diligente. Ici, la recherche de la faute procédera donc d’un test comparatif entre le geste de la personne en cause et l’attitude d’un bon père de famille abstrait placé dans les mêmes données factuelles.

Peut-on raisonnablement considérer une erreur d’arbitrage, fut-elle grossière et lourde mais commise dans le stress et la fatigue d’une joute sportive, comme une telle faute? Peut-on condamner l’erreur de jugement commise par un amateur, certes formé aux règles du jeu, mais pour qui diriger une rencontre de football est avant tout un hobby?

Poser ces questions est aussi implicitement y répondre. Lorsque nous serons confrontés à des véritables professionnels de l’arbitrage, peut-être ce débat sera-t-il et devra-t-il être plus nuancé. L’on doit en effet attendre d’un professionnel qu’il adopte en toutes circonstances et dans tous les gestes de son métier, un comportement qui tende le plus possible à la perfection.

Mais pour l’heure, si une responsabilité civile devait être recherchée, c’est plutôt du côté de la fédération belge de football que le regard pourrait se diriger. Il ne paraît en effet plus raisonnable de laisser des amateurs, certes de bonne foi et passionnés par leur hobby, décider du sort de rencontres aux enjeux financiers de plus en plus considérables.

L’inertie du Parlement belge à adopter une loi dite « de bon sens » a déjà été jugée fautive par nos Cours et Tribunaux. Le même raisonnement pourrait bien prévaloir à l’égard d’une fédération sportive, d’autant plus si celle-ci possède des moyens financiers de tout premier plan.

Luc Misson

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