L’APOCALYPSE

Le scandale qui s’abat sur la fédération italienne est en passe d’écraser tout et tous sur son passage.

Tout a commencé à cause du procès pour abus de produits dopants fait à la Juventus. Au cours de l’enquête contre RiccardoAgricola, le médecin, et AntonioGiraudo, l’administrateur délégué de la Vieille Dame, le juge Raffaele Guariniello allait découvrir que son enquête ne s’arrêterait pas là. Guariniello s’est en effet rendu compte que LucianoMoggi, le directeur général de la Juventus, dont les six téléphones (deux avec carte slovène) ont été mis sur écoute, avait des contacts avec le désignateur des arbitres, Pier Luigi Pairetto, et lui réclamait des directeurs de jeu favorables. Mieux : il va s’apercevoir que le vice-président de la fédération, Innocenzo Mazzini, le soutient dans ses démarches.

Débutait alors une seconde enquête axée sur l’hypothèse de la fraude sportive liée à un présumé conditionnement du secteur arbitral. Dans le cadre de cette recherche, dirigée par le procureur en chef de la République de Turin, Marcello Maddalena, de nombreuses écoutes téléphoniques allaient être effectuées en août et septembre 2004. Le procureur, conscient que ce qu’il avait récolté ne manquerait pas d’intéresser la justice sportive, décidait d’envoyer les actes à la fédération. Ce qu’il fera le 21 septembre 2005. Dans ses considérations finales, Maddalena précise  » qu’il est inquiétant qu’un dirigeant de club comme Luciano Moggi puisse, d’une part obtenir ponctuellement des autorités arbitrales qu’elles désignent des directeurs de jeu qui lui plaisent et, d’autre part, se vanter auprès des dirigeants de la fédération de pouvoir faire mettre à la porte un des deux désignateurs des arbitres qui s’oppose à la réintégration d’une employée de la fédération attachée à la commission des arbitres qui avait été engagée à sa demande … « .

Le dossier transmis par le procureur en chef de Turin comporte un millier de pages. Voici quelques extraits des enregistrements.

Moggi ordonne, Pairetto exécute

Le 11 août 2004 , le lendemain du match de Ligue des Champions contre Djugarden (2-2), Moggi téléphone à Pairetto, le désignateur des arbitres mais également membre de la commission des arbitres de l’UEFA.

-Moggi : » Oh, mais c’est quoi ce con d’arbitre que vous nous avez envoyé ? Maintenant, je compte sur toi pour le retour à Stockholm. Oh, à Messine envoye-moi Consolo et Battaglia. Avec Cassarà, hein ? ».

-Pairetto :  » C’est déjà fait « .

-Moggi :  » Et à Livourne, Rocchi… « .

-Pairetto :  » A Livourne Rocchi, sì « .

-Moggi :  » Et au Trophée Berlusconi, Pieri. J’y compte « .

-BILAN : Rocchi arbitrera bien à Livourne, Cassarà à Messine et Pieri au Trophée Berlusconi.

Le 1er septembre 2004, en vue de la rencontre de Ligue des Champions contre l’Ajax.

-Pairetto :  » J’ai placé un grand arbitre pour le match à Amsterdam : Majer « .

-Moggi :  » Grandiose ! « .

-Pairetto :  » Tu vois que je me souviens de toi, même si tu m’as oublié « .

Le 20 septembre 2004, jour des désignations arbitrales, Moggi apprend que PaoloDondarini arbitrera le match à la Sampdoria. Il demande à Pairetto de lui faire quelques recommandations. Le lendemain, quelques heures avant le début de la rencontre, il s’exécute.

-Pairetto :  » Salut Donda, je compte sur toi pour que tout ne saute pas « .

-Dondarini :  » Vous verrez, je ne vous décevrai pas « .

-BILAN : la Juve gagne 0-3 avec un premier goal sur un penalty douteux, puis avec un penalty accordé à la Sampdoria et rapidement changé en coup de coin.

Le 26 septembre, Giraudo et Moggi parlent de l’arbitre AntonioDattilo, qui dirigera l’Udinese, le prochain adversaire de la Juventus, contre Brescia.

-Giraudo :  » S’il est un peu réveillé, il va ratiboiser l’Udinese « .

-BILAN : il exclura injustement MarekJankulowski, sortira 8 cartons jaunes et obligera l’entraîneur à quitter la zone neutre.

Le championnat 2004-2005 faussé

Mais l’enquête ne s’arrête pas là. Les procureurs de Rome, Naples, Parme et Pérouse prennent le relais de celui de Turin qui, après les révélations concernant les paris de quatre joueurs de la Juventus, a repris ses investigations. Dans le cadre de son enquête sur la GEA, la société d’agents dirigée par le fils de Moggi, Alessandro, le procureur de Naples place aussi plusieurs personnes sur écoute. La GEA, qui gère les intérêts de plus de 200 joueurs, coaches et arbitres, est poursuivie pour concurrence illicite avec violence et menace. Apparaissent cinq arbitres qui auraient agi de manière à aider la Juventus et autres clubs chers à Moggi (la Fiorentina et la Lazio). Du coup, Moggi Junior, son père, FrancoCarraro, le président de la fédération, PaoloBergamo et Pairetto, les ex-désignateurs des arbitres, et MassimoDeSantis, l’arbitre, sont inculpés pour association délinquante visant la fraude sportive. En pratique, la GEA est accusée d’avoir contrôlé le marché et les résultats de certaines rencontres. Les magistrats ont défini le championnat 2004-2005 comme étant faussé. Selon eux, 29 journées sur 38 ont été falsifiées.

L’association délinquante visant à la fraude sportive a été retenue contre De Santis mais aussi contre d’autres arbi-tres ( PasqualeRodomonti, MarcoGabriele, Dondarini, PaoloBertini) et six assistants.

Ces interrogatoires sont repris dans un dossier de 2.400 pages auxquelles il faut ajouter 10.000 pages d’écoutes téléphoniques. Autant dire que les enquêteurs ont une idée assez précise de la planète Moggi.

Pour le procureur de Naples dix clubs de D1 et D2 (Juventus, Milan, Lazio, Fiorentina, Udinese, Sienne, Messine, Arezzo, Crotone et Avellino) ont justifié à titres divers leur mise sur écoute. Pour trois de ces clubs, la Juventus en tête, on parle ouvertement de fraude sportive. Pour les autres, preuve est faite que Luciano Moggi domine de manière absolue le marché des transferts. 41 avis à comparaître sont lancés.

De Santis, chef de gang

En 2004, Franco Dal Cin, un ex-dirigeant, évoquait le gang qui gouvernait le Calcio. Il avait parlé de gang romain et faisait allusion à un groupe d’arbitres. Ceux-ci ont été suivis pendant toute la saison et en particulier De Santis qui était le chef de file des directeurs de jeu romains. Dans le collimateur, il y avait également Marco Gabriele et LucaPalanca. De Santis aurait été le coordinateur du groupe. Au terme d’une saison entière d’écoutes téléphoniques, les pressions de l’arbitre international sur ses collègues auraient poussé les enquêteurs à l’ajouter à la liste des inculpés. En fait, l’emprise de Moggi sur les arbitres ne remonte pas à ces dernières années. Généralement, on considère que le premier cas flagrant de cette politique remonte au 26 avril 1998. Ce jour-là, à Turin, la Juventus reçoit l’Inter dans le match au sommet, MarkIuliano commet un penalty flagrant sur Ronaldo. Coup de réparation que l’arbitre MarioCeccarini ne sifflera pas.

Le fait que De Santis se retrouve mêlé à l’affaire n’est pas vraiment une surprise. En 2000, il avait déjà annulé un but tout à fait valable de FabioCannavaro, à l’époque à Parme, qui aurait pénalisé la Juventus dans sa course au titre face à la Lazio. Ce cas-là aussi avait fait beaucoup de bruit mais l’arbitre s’en était tiré avec une suspension de quelques mois. Et encore, il n’y avait pas de compétitions pendant une bonne partie de cette période.

Deux ans plus tard, en avril 2002, l’Inter se déplace à Chievo en leader et mène 2-1 quand un penalty flagrant est à nouveau commis sur Ronaldo. L’arbitre, pourtant très bien placé, accuse le Brésilien de simulation. Le match se termine sur un partage et l’Inter perd le titre à la dernière journée. Un détail, cet arbitre était De Santis. A l’époque des voix s’étaient élevées, dénonçant la manière dont les referees étaient désignés et l’étrange direction des rencontres des adversaires directs de la Juventus. On parlait d’un arbitrage chirurgical, les hommes en noir devant faire en sorte que les prochains adversaires de la Juventus se retrouvent amoindris. Bien qu’elle s’en défende, la fédération était au courant de tout cela. Mais elle a toujours préféré étouffer le scandale, notamment en 2001.

Cette année-là, éclatait le cas RiccardoPirrone, un arbitre qui allait démissionner après deux saisons parmi l’élite. L’homme dénonça le favoritisme, le lobby et émit d’autres considérations sur les fils et parents de certains dirigeants fédéraux. Manifestement il ne faisait pas partie de la famille et celle-ci fit tout pour le décourager. Officiellement, l’association des arbitres annonçait que Pirrone mettait un terme à sa carrière suite à une altercation avec un collègue. Chose que l’intéressé démentit. Pironne est récemment sorti de l’anonymat :  » Les plaintes des arbitres que j’ai entendues ces derniers temps me font bien rire. Ils s’accrochaient bec et ongles au système « .

La force de la TV

Dans la nébuleuse Luciano Moggi évoluent des journalistes, principalement de la télé, avec qui il a noué de solides contacts. Certains programmes avaient le devoir de vanter les mérites de la Juventus. Parmi, les personnes éclaboussées par le scandale, on retrouve notamment AldoBiscardi, à qui Moggi a notamment offert une montre de 20.000 euros. Son émission, Il processo del lunedì (le procès du lundi) en était à sa 26e année et même si elle ne faisait plus l’audience des débuts, elle restait un bon vecteur.

Parmi les invités, on y retrouvait généralement des personnes proches de la Juventus qui ne craignaient pas de nier l’évidence en cas de nécessité. La rubrique de la Moviola, celle où on passe les phases litigieuses au peigne fin, avait par ailleurs été attribuée à FabioBaldas, ex-arbitre international et désignateur des arbitres à l’époque de la fameuse affaire du penalty refusé à Ronaldo en 1998. L’homme avait donné sa démission et Moggi trouva le moyen de le recaser à la télé. Bien qu’il s’en défende, Baldas était redevable à Moggi. Les écoutes téléphoniques vont d’ailleurs démontrer que l’homme recevait des consignes du dirigeant de la Juventus et qu’il les respectait. Ainsi, il ne chargeait pas trop un arbitre qui avait favorisé la Vieille Dame, attirait l’attention sur l’erreur d’un autre directeur de jeu et, sur un plan technique, ralentissait ou accélérait la vitesse des images de façon à ce que la faute devienne plus ou moins flagrante selon qu’elle ait été sifflée à l’avantage ou en défaveur de la Juventus.

D’autres personnalités de la télévision ont été éclaboussées par l’affaire. Et certaines se réjouissent que l’on analyse de plus près des faits comme ceux qui avaient émaillés la rencontre Udinese-Brescia.

Moggi et le complot contre le président de la Fiorentina

En décembre 2004, la course à la présidence de la Ligue Pro est lancée. DiegoDellaValle, le patron de la Fiorentina, s’oppose à l’élection d’ AdrianoGalliani (Milan). Moggi et Mazzini, le vice-président de la fédération, montent une cabale pour écarter le Florentin et annoncent qu’il existe un dossier contre lui dans lequel est reprise toute une série de malversations immobilières. A la base de cette affaire, on retrouve Mazzini. Il annonce que deux de ses connaissances possèdent des documents prouvant que Della Valle a magouillé avec le maire de Florence dans le cadre d’opérations de vente d’immeubles. Ces personnes étaient prêtes à lâcher le dossier, en échange d’argent bien évidemment.

Moggi se montra très intéressé et demanda au vice-président de la fédération de travailler sur ce sujet. Le dossier compromettant n’apparaîtra jamais. Entre-temps, Moggi signale à son interlocuteur qu’à partir de ce moment-là, il changerait souvent de téléphone pour éviter qu’on le localise.

Moggi enferme un arbitre dans son vestiaire

Les erreurs arbitrales contre la Juventus, cela arrive rarement et quand c’est le cas, Moggi et Giraudo s’emportent. A la fin de la rencontre de championnat Reggina-Juventus, le 6 novembre 2004 (2-1), les deux dirigeants vont plonger comme des furies dans le vestiaire de l’arbitre, GianlucaPaparesta, qui n’avait pas accordé un penalty pour une faute de main commise par un arrière calabrais. Moggi pointe le doigt entre les yeux du juge de touche qui n’a pas signalé la faute et hurle :  » Tu es scandaleux comme est scandaleux le penalty que tu n’as pas signalé « . Il se tourne ensuite vers l’arbitre et lui lance :  » Avec toi, on n’a pas de chance « . Enfin, Moggi enferme l’arbitre dans son vestiaire et prend les clés avec lui.

PietroIngargiola, l’observateur de l’association italienne des arbitres, a assisté à la scène mais ne l’a pas mentionnée dans son rapport. TullioLanese, le président de l’association, était au courant des faits mais s’en est lavé les mains, prétextant qu’il n’était pas présent. Du coup les deux hommes ont reçu un avis à comparaître.

Quant à Moggi et Giraudo, ils sont poursuivis pour séquestration.

Les joueurs parieurs

Les procureurs de Turin et de Parme se sont également concentrés sur les mises élevées enregistrées sur certains matches. Les joueurs visés se seraient servis de prête-noms. Les premiers noms à avoir filtré sont ceux de Gigi Buffon et de trois ex-joueurs de la Juventus, Mark Iuliano, Antonio Chimenti et Enzo Maresca. Un des quatre aurait misé 1,6 million d’euros sur un an pour un montant total estimé à 3 millions d’euros. Cet argent était versé sur les comptes courants des sept prête-noms. Les quatre joueurs auraient parié sur deux matches de Coupe d’Italie entre la Juventus et l’Atalanta (défaite 2-0 à Bergame et 3-3 à Turin)

La liste des suspects s’est entre-temps allongée en un an de demi d’enquête. Le gardien réserve de Milan, ZeljkoKalac, a été ajouté à la liste. Et ce n’est pas tout. La semaine dernière, plusieurs perquisitions ont eu lieu. Une quarantaine de personnes sont concernées et parmi elles une vingtaine de footballeurs. Voici quelques mois, les noms de plusieurs joueurs ou ex-joueurs de l’Udinese avaient été cités. Parmi eux, Iaquinta et Pinzi (Udinese), Jankulovski (Milan), DiMichele (Palerme), Abeijon (Cagliari), ThomasManfredini (Rimini), Ferrante (Ascoli), Margiotta (Piacenza), Bia (ex Inter et Bologne), Sosa (Naples), Walem, Pierini et Pineda (ex- Udinese), Scarlato (Crotone). Selon les premières indiscrétions, les joueurs les plus mouillés seraient Di Michele et Margiotta. Ils auraient parié sur des matches alors que, depuis novembre 2005, les affiliés (dirigeants et joueurs) ne peuvent plus miser sur des matches de foot. Avant cette date, la loi permettait de jouer sur des rencontres hors frontières mais pas sur le Calcio. Les joueurs en activité risquent une suspension de 18 mois, qui peut être plus longue s’il s’agit d’un international.

NICOLAS RIBAUDO

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