« L’anti-racisme ne sert à rien »

Le médian néerlandais s’est mué en valeur sûre au sommet du foot européen et n’a pas que le ballon rond comme centre d’intérêt.

Ce n’est pas un poisson d’avril avant la lettre : Clarence Seedorf fêtera ses 32 printemps le… 1er avril prochain. Un jour de quarts de finale de la Ligue des Champions, mais sans un Milan éliminé par Arsenal. Le milieu de terrain hollandais connaît le bal des champions sur le bout des doigts. Il est le seul joueur à avoir remporté la coupe aux grandes oreilles avec trois clubs différents : l’Ajax, le Real Madrid et l’AC Milan. Le tout sur une carrière de 15 années au gré de laquelle il aura également porté le maillot de la Sampdoria et de l’Inter Milan. Impressionnant ! Il présente aussi de beaux états de service en équipe nationale des Pays-Bas, avec 86 sélections. Cette belle série a toutefois connu un coup d’arrêt puisqu’il n’a pas les faveurs de Marco van Basten, qui a pris en mains les Oranje avant la Coupe du Monde 2006. Pour compléter le portrait d’un homme qui gagne à être connu, ses centres d’intérêt vont bien au-delà du ballon rond.

Où avez-vous entamé votre chemin vers la gloire et le succès ?

Clarence Seedorf : Pendant mon enfance. Je jouais dehors avec les amis puis à l’école à Amsterdam jusqu’à mes 16 ans. Je m’amusais mais je réalise aujourd’hui que cela n’a pas dû être facile pour mes parents. Ils bossaient dur dans le secteur des soins de santé et nous n’avions pas un train de vie luxueux. Ma mère était infirmière et mon père était nutritionniste, spécialisé dans les nouveaux-nés. Le souci du social a toujours été présent dans ma vie. Nous avons aidé de nombreux membres de la famille qui avaient fait le pari de quitter le Surinam pour trouver une vie meilleure aux Pays-Bas. Ils passaient parfois six mois chez nous avant de trouver un domicile. Mon père fut le premier à faire le voyage. Je ne l’ai pas connu avant mes deux ans et demi parce qu’avant ma naissance, il était déjà en Hollande pour préparer notre arrivée. C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai toujours été content des petites choses de la vie. Mon éducation m’a appris à vivre sereinement, parce qu’à l’époque j’étais convaincu d’avoir tout ce dont j’avais besoin : mes amis, le rire, l’amour et ma famille.

Comment avez-vous réagi au succès, qui vous a très vite souri ?

Dès que vous devenez une personnalité connue, votre vie normale prend fin. Lorsque les gens savent tout de vous, cela s’arrête. Apprendre à vivre avec cela fut un processus obligé. On peut tenter de protéger sa vie privée, mais vous ne pouvez pas faire comme si vous vous fichiez de ce que les gens pensent de vous. Chacun de vos pas, de vos paroles, de vos mouvements est surveillé. Mais cela ne m’a jamais causé de problème. J’ai toujours essayé d’être conscient de la manière dont je vis ma vie. Je connais l’importance de mon rôle de modèle et je ne fais pas des choses que je ferais peut-être si je n’avais pas été connu ! En tous les cas, cela ne me stresse pas et je gère bien cette situation.

Période Ajax

Vous avez fait vos classes à l’école des jeunes de l’Ajax, réputée mondialement à l’époque. Est-ce toujours le top en matière de formation ?

Beaucoup de choses ont changé. Le club n’accorde plus autant d’attention et d’énergie dans la formation qu’à l’époque. De mon temps, nous avions des entraîneurs de très haute qualité qui faisaient la différence. Le principal objectif était d’amener les meilleurs talents vers l’équipe fanion, ce qui contribuait plus largement à toute la communauté sportive amstellodamoise. A présent, de nombreux jeunes optent pour d’autres clubs. J’y ai vécu de grands moments, particulièrement lorsque je repense aux opportunités offertes au jeune gamin que j’étais de pouvoir jouer en Belgique, en Allemagne, en France… C’était une fameuse expérience de vie, représenter son club au niveau international et par exemple vivre trois ou quatre jours dans une famille en Allemagne et apprendre l’allemand. Cela peut paraître dérisoire mais ces choses-là ne s’achètent pas. Une grande part de ce que je suis aujourd’hui, appelez-moi un citoyen du monde si vous voulez, provient de toutes ces situations auxquelles je fus confronté très tôt dans ma vie. Bien sûr, je ne suis resté que six ans au centre de formation puisque je fus très vite repris dans le noyau A. Reste que cette expérience fut excellente étant donné son intensité.

Période Sampdoria

Vous êtes passé à la Sampdoria mais seulement pour un an et avez même été en conflit avec le club avant votre transfert au Real. Un mauvais choix ?

Non, je dirais même le contraire. A Gênes, ce fut un apprentissage pour moi de devoir m’adapter, me débrouiller seul, sans bénéficier d’un entourage comme celui de l’Ajax. Je devais tout apprendre : une nouvelle culture, une nouvelle façon de jouer au football et un nouveau mode de vie. Cette donne m’a fait grandir dans ma vie personnelle et en tant que joueur, avant que Fabio Capello me convainque de l’accompagner à Madrid. Depuis ce jour-là, tout est allé de mieux en mieux pour moi. L’entraîneur de la Sampdoria était un certain Sven-Goran Eriksson, une personnalité très spéciale, mais qui m’a beaucoup aidé et fut un très bon coach de vie.

Période Real Madrid

En regardant dans le rétro, votre passage à Madrid c’était juste avant l’époque des Galacticos, non ?

Capello fut entraîneur pour une saison, cédant ensuite le relais à Jupp Heynkes et Vicente Del Bosque. Nous avons gagné presque tout ce qu’il y avait à gagner, après 32 ans de disette en Coupe des Champions pour le club madrilène. Avant l’arrivée de Capello, le Real avait vécu une très mauvaise saison et je suis arrivé parce j’étais abordable. Le Real ne disputait même pas une Coupe d’Europe lors de ma première saison. Notre arrivée correspondait à celle de beaucoup d’autres joueurs qui avaient soif de succès, de grandes personnalités et de grands talents. Nous avons réalisé un fabuleux départ. Ensuite, nous avons remporté deux fois la Ligue des Champions – je n’étais pas là lors du deuxième sacre mais j’avais joué la première moitié de la campagne – un titre, la Supercoupe européenne, la Supercoupe d’Espagne. Nous avons eu beaucoup de hauts, de grandes prestations, de bons joueurs. Bref, nous avons posé les fondations de ce qu’on a appelé ensuite les Galacticos.

Predrag Mijatovic était l’un de vos coéquipiers à l’époque et est actuellement directeur sportif au Real. Avez-vous été surpris qu’il décroche ce job ?

Non, je savais qu’il se destinait à ce genre de fonction. C’est un de mes bons amis et aussi un ancien collègue et bien que nous ne soyons plus dans le même club – et parfois même rivaux – je lui souhaite beaucoup de succès et de longévité dans son job. Il a toujours été rigoureux et c’est une personnalité terrible. Un vrai Madridista, comme on dit là-bas.

On dit que la pression des socios à Madrid est telle qu’il faut gagner en ajoutant la manière ?

Oh, dans tous les grands clubs c’est comme ça. C’est pour cela que c’est tellement génial pour un footballeur de pouvoir y évoluer. L’Espagne est un très chouette pays, ma période madrilène fut géniale car j’y ai apprécié tant la vie que le football. C’est l’une de mes villes préférées en Europe. J’ai eu là une expérience inestimable. J’ai beaucoup donné à ce club mais il me l’a bien rendu. C’était une période hyper importante dans ma carrière.

Vous ne restez jamais longtemps dans un club, non ?

C’est une fausse idée. J’ai passé trois ans en équipe première à l’Ajax, un an à la Sampdoria, trois ans et demi à Madrid, deux ans et demi à l’Inter. Je pensais aussi qu’il ne s’agissait là que de courtes périodes. Mais j’en ai parlé à Ronald de Boer et il m’a dit que trois ans dans un même club c’était long étant donné l’évolution du foot. Cinq ans dans un club, c’est un véritable bail aujourd’hui.

Des joueurs comme Iker Casillas et Raúl constituent donc l’exception au Real ?

Oui, mais ils sont dans une situation différente car ils sont chez eux à Madrid. Ils ont grandi là-bas. Il y a aussi Guti, bien sûr. Roberto Carlos est également resté huit ans. Mais si vous regardez l’équipe actuelle, seuls trois ou quatre joueurs ont plusieurs années de présence au Real.

Période Inter

Après deux saisons à l’Inter, vous êtes passé chez le rival de l’AC Milan. Un passage difficile ?

Ce fut un transfert délicat, mais c’était ce que j’avais de mieux à faire. Je pense que les gens connaissaient ma situation et donc j’ai toujours de bonnes relations avec l’Inter, jusque même son président Massimo Moratti. Cela n’a pas causé de problème, sans doute parce que j’ai toujours respecté tout le monde dans le foot. Je ne parle jamais de façon négative de mes adversaires ou de clubs rivaux. Même à Madrid, je me comportais de la sorte. Les supporters de Barcelone ne m’ont jamais sifflé ou cherché noise lorsqu’on était en Catalogne. Je trouve que les gens me respectent en rue. En Italie, c’est la même chose avec les fans de la Juventus et de l’Inter. Tout dépend de comment vous construisez votre vie et votre carrière. Partout où je suis allé, les gens m’ont reçu les bras ouverts et j’en suis fier.

Retournerez-vous aux Pays-Bas à la fin de votre carrière ?

Non, je ne pense pas que la Hollande figure parmi les options. J’ai donné à ma vie un autre tournant, tant au niveau professionnel que personnel. J’ai un contrat jusque 2011 ici à Milan et j’ai bien l’intention d’aller au bout. Mes objectifs sont en Lombardie. Voyons comment ils se développent. En football on ne doit jamais dire jamais, ceci dit normalement je devrais rester à Milan jusqu’à la fin de ma carrière active.

L’équipe des Pays-Bas

Votre parcours en équipe nationale a été compliqué. Vous étiez régulièrement dans l’équipe lors de l’Euro ou de Coupes du Monde, mais Marco van Basten n’a plus eu besoin de vous en 2006 en Allemagne. Pourquoi ?

Marco m’a téléphoné tout récemment, ce qui fut une grande surprise pour moi après ne plus avoir été repris pendant si longtemps. J’étais triste d’avoir manqué la Coupe du Monde il y a deux ans. J’en ignore les raisons : je suppose qu’il ne s’agit pas de tactique ou de technique quand on voit les autres joueurs qui avaient été repris. Mais cela ne sert à rien de regarder le passé, je veux juste voir l’avenir et essayer d’en tirer le meilleur, apporter de la valeur à l’équipe, espérer vivre un grand tournoi à l’EURO en Suisse et en Autriche et ramener un trophée au pays. Il est temps. Il me reste deux grands objectifs : le tour final de l’Euro et la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud.

Pourquoi les grands tournois ne réussissent-ils en général pas à l’équipe néerlandaise ?

Nous les Néerlandais, nous avons une manière spécifique de jouer et notre mentalité est un élément clé. Généralement, nous développons du beau football même si nous n’obtenons pas toujours les résultats escomptés. Souvenez-vous notamment de la Coupe du Monde 1998, lorsque nous avons perdu aux penalties contre le Brésil en demi-finales. Etonnamment, nous avons par contre remporté l’un des tournois à un moment où l’équipe nationale était moins en verve, je veux parler du Championnat d’Europe en 1988. Nous avions aligné certains très bons joueurs en Allemagne, comme Frank Rijkaard, Ruud Gullit ou Van Basten mais ils n’étaient pas au mieux de leur forme et ont eu de la chance dans le tournoi. Alors qu’à d’autres occasions, notre football fut meilleur sans être couronné de succès.

Comment jaugez-vous les chances de l’équipe des Pays-Bas à l’Euro 2008 ?

Nous sommes tombés dans le groupe de la mort. La France et l’Italie sont les derniers finalistes de la Coupe du Monde et la Roumanie a terminé en tête de notre groupe qualificatif. Mais nous allons leur mener la vie dure car nous n’avons absolument rien à perdre.

Est-ce positif ou négatif pour le groupe de joueurs de savoir que l’entraîneur quittera l’équipe nationale après l’Euro ?

Les médias en font leurs choux gras mais les joueurs sont habitués à voir leurs coaches arriver et partir au gré des saisons dans leur club. Lorsqu’un joueur sait que c’est son dernier grand tournoi, il donne tout ce qu’il a dans le corps. Je pense que c’est la même chose pour un entraîneur. Il sait qu’une telle opportunité ne s’offrira pas à lui avant longtemps et donc cela le motive à donner le meilleur de lui-même. Après tout, il veut aussi se réserver le plus d’options possibles pour retrouver un job après. Il aura ainsi à c£ur de montrer sa valeur.

Le racisme

Quelle est votre attitude par rapport au racisme dans le foot ? Cela ne doit pas être évident d’ignorer ce qu’on vous jette à la tête, au propre comme au figuré ?

Je n’ai jamais prêté beaucoup d’attention au racisme dans le sport parce que je ne pense pas que la raison profonde en soit la haine raciale mais bien l’éducation. Les épisodes malheureux dans et alentour des stades sont eux aussi dus à un manque d’éducation. Souvent, il ne s’agit que de quelques individus exprimant un certain ressentiment et j’estime que moins on leur accorde d’attention, moins ils auront de crédit. En réagissant avec force, vous leur donnez de l’énergie car ils interprètent alors leurs actes, mis sous la loupe, comme s’il s’agissait de succès.

Les actions contre le racisme sont-elles donc contre-productives ?

Oui, je le pense sincèrement. Prenons un exemple : si un enfant se comporte mal lorsque vous êtes au téléphone et que vous raccrochez pour lui accorder l’attention qu’il réclame, il fera exactement la même chose au prochain coup de fil. OK, ce n’est peut-être pas le meilleur exemple. Mais dans la réalité des stades, je n’ai pas vraiment constaté de changement des comportements malgré la médiatisation accrue du problème dans le cadre du football. Nous devrions tous accorder davantage d’attention aux choses positives plutôt qu’à ce qui va mal. Et les joueurs sont tout autant concernés.

Est-ce parce que les mauvaises nouvelles font vendre les journaux ?

C’est peut-être davantage devenu une habitude d’en parler. Les gens n’ont pas le choix de ce qu’ils lisent. Regardez comment est dépeint le public des Jeux Olympiques. Pourtant, tout porte à croire que là aussi, il se passe ou s’entend des choses qu’on ne lira jamais dans les journaux. J’espère qu’on me démontrera le contraire en jouant pour les Pays-Bas aux JO de Pékin. J’aurai peut-être la chance d’être sélectionné et j’espère la saisir. Il s’agirait de mes premiers Jeux Olympiques et surtout d’un très long été mais je suis prêt !

Projets caritatifs

Venons-en à votre reconversion. Vous n’aurez pas le temps de vous ennuyer avec tous vos projets caritatifs, non ?

Je suis engagé parce que je crois fermement que je peux aider à améliorer certaines situations dans le monde et que chaque geste compte pour construire un univers meilleur. Je le ressens comme si j’avais une mission dans la vie : donner quelque chose en retour d’un point de vue social. Donc, tous les projets que je soutiens sont alignés avec mes valeurs et ma mission. J’ai une société de ressources humaines qui s’appelle ON International et qui vient en aide au projet Champions for Children qui aide les enfants défavorisés autour du globe : au Kenya, au Brésil, au Cambodge, au Surinam, etc.

Quand avez-vous réalisé que votre célébrité offrait une plate-forme idéale à ces projets humanitaires ?

J’étais relativement jeune lorsque j’ai réalisé ce que je voulais faire de ma vie ou plutôt le sens que je pensais souhaitable de lui donner. Rendre quelque chose en retour est le plus beau sentiment qui existe. Cela trouve ses origines dans une certaine spiritualité. Je ne veux pas parler de religion mais de sentiment d’humanité en général. Je respecte toutes les croyances mais la spiritualité va bien au-delà, elle englobe toutes les religions et c’est ce dont ce monde a de plus en plus besoin. C’est pour cette raison que j’appuie ces causes justes. Je veux mettre en pratique des mots souvent usurpés comme paix, amour et éducation. Pour moi tous ces projets continueront à vivre même après ma mort. C’est ce que je veux laisser au monde : un héritage.

par keir radnedge / world soccer – photos: reuters

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