L’anti-Maes

Ses deux saisons en D2 néerlandaise ont modifié la philosophie du coach.  » Je suis davantage convaincu de l’utilité de travailler à partir de ses points forts. « 

Les Malinois arpentent le couloir, Gsm ou iPod en mains. Ils plaisantent, rient. Le photographe du club entraîne Marc Brys sur le terrain pour un cliché. A son retour dans son bureau, il remercie chaleureusement le responsable du matériel, qui a monté une armoire. L’homme est touché par cette attention, naturelle aux yeux de Brys.  » C’est une question de respect. Toujours par respect, jamais je ne clouerai un joueur au pilori. Par contre, nous discuterons ici, à table. Je ne suis pas opposé à la confrontation, pour autant qu’elle apporte quelque chose. « 

Brys apprécie les joueurs qui s’expriment.  » Ma première confrontation avec le noyau m’a surpris : il écoutait sans réagir. Tout devait venir de moi alors que j’estime qu’un groupe doit être en mesure de se corriger lui-même. Je ne suis pas de ces entraîneurs qui, dans un stade comble, crient des consignes à un footballeur situé de l’autre côté. Les joueurs doivent chercher des solutions en se parlant, ce qui implique de l’empathie, de l’unité, de la rage de vaincre, des qualités indispensables sur un terrain. Il ne faut pas non plus crier les uns sur les autres, nous ne sommes pas sur un marché. « 

Il se rappelle ses deux saisons aux Pays-Bas, où les joueurs remettent tout en question.  » J’acceptais la discussion à l’entraînement mais mes consignes devaient être appliquées sur-le-champ en match. J’aime cette communication directe, voire brusque. Aux Pays-Bas, un oui reste un oui alors qu’ici, il signifie parfois peut-être ou non. Tout le monde parlait le néerlandais. Celui qui s’y refusait était exclu et comme les étrangers hors-UE touchent un salaire élevé, ils sont rares. Il n’est donc pas possible de former un clan linguistique, comme ici. Nous devons nous en inspirer, en Belgique. Evidemment, il faut être progressif : si demain, je dispense l’entraînement en néerlandais, ce sera au détriment de la compréhension de certains et donc du rendement collectif. J’essaie de leur expliquer des choses dans leur langue et la théorie se fait en anglais. « 

La Belgique et ses clichés

Comment le FC Eindhoven a-t-il engagé un entraîneur à la réputation défensive ?

Marc Brys : La presse wallonne me trouvait trop offensif à Mouscron. Les Belges ont l’habitude de cataloguer les gens, cela les rassure. Le psychologue, le tacticien, le travailleur, le coach offensif… Je ne suis pas défensif, même si je m’appuie sur une bonne organisation. Tout est une question de rendement. La tendance est de jouer très directement, verticalement, dès la transition. La prochaine étape constituera à briser la transition. On voit de plus en plus de meneurs sur les ailes, d’où ils convergent vers l’axe et s’infiltrent entre les lignes, créant un chaos organisé.

Je trouve stupide de se focaliser sur une seule occupation de terrain, à moins d’acheter une équipe complète dans ce but, comme en Angleterre. Pourquoi voudrais-je à tout prix évoluer en 4-3-3 si je n’ai pas d’ailiers ? Ensuite, une occupation fixe est prévisible. Il faut s’appuyer sur ses forces mais en y plaçant des nuances pour initier la surprise. J’apprécie le 4-4-2, au sein duquel les deux attaquants placent le duo défensif central sous pression mais quand vous avez cinq super avants, vous devez en utiliser plus de deux. C’est ce que j’ai fait au FC Eindhoven, qui possédait de nombreux talents offensifs mais était faible en défense. Nous évoluions donc haut, donnant le plus possible le ballon aux footballeurs susceptibles de faire la différence.

Dans quelle mesure ces deux saisons vous ont-elles changé ?

Avant tout, j’y ai appris à croire en l’intérêt de travailler ses forces. Avant, je me demandais ce dont un joueur n’était pas capable : un mauvais pied gauche ? On allait travailler cet aspect ! Aux Pays-Bas, on regarde les qualités d’un joueur. Si on a un bon ailier, on ne travaille pas ses qualités défensives, on le laisse réaliser des actions et on place un défenseur pur derrière lui.

Respect, droiture, liberté

Vous n’avez jamais vous-même évolué au plus haut niveau. Cela n’a-t-il pas gêné Eindhoven, où vous avez succédé à Gerald Vanenburg ?

Non. Wenger, Mourinho, Benítez, van Gaal n’ont pas non plus réussi de carrière de joueur. C’est un tout autre métier. Un ancien grand joueur peut apporter un plus à condition de se défaire de ses habitudes. Celui qui entraîne un mois après avoir raccroché n’est pas prêt.

Les dirigeants néerlandais déterminent des moments d’évaluation et jugent moins sur base de leurs émotions. Est-ce une leçon importante ?

Oui, même si ces évaluations, qui déterminent si on est bon ou pas, sont parfois interpellantes. Mais cela commence plus tôt, quand le club décide du type d’entraîneur qu’il veut. Les candidats sont analysés par un psychologue et un concepteur d’équipe. J’étais heureux que Jos Verhaegen assiste aux entraînements du Germinal Beerschot, car ainsi, j’étais sûr que les joueurs ne s’assoupiraient pas (rires). J’ai longtemps aspiré à de telles périodes d’évaluation. Je n’ai rien à cacher.

J’ai emmené dans mon métier de coach une série de valeurs : respect, droiture, liberté d’effectuer mes choix. Tout le monde peut m’influencer, même les supporters, mais nul ne m’imposera son choix. Je ne suis pas têtu mais je sais que je serai jugé sur mes choix. A Berchem, mon premier club, le président, Vasken Cavatti, a déclaré qu’il ne me soutiendrait que si je changeais de système. Si je n’avais pas obtempéré et que les résultats étaient restés négatifs, j’aurais été renvoyé avant même le début de la saison. Pourtant, je n’ai pas abandonné mes valeurs. Le jour où ça arrivera, j’arrêterai.

Les joueurs d’Eindhoven et de Den Bosch ont été surpris par la longueur et la lourdeur des journées d’entraînement. Le syndicat des joueurs s’en était même mêlé !

Contractuellement, les professionnels néerlandais ont droit à deux jours de congé par semaine. Un jour, un délégué syndical m’a téléphoné et m’a dit que mon programme était en infraction avec ce contrat. Je lui ai répondu qu’il ne savait pas compter : le dimanche et deux après-midis par semaine, ça fait quand même deux jours ? De fait, c’était possible. Il faut des règles, les clubs ne sont pas au-dessus des lois mais le temps où on s’entraînait une heure par jour est révolu. Le football est devenu plus physique, plus puissant, plus rapide et plus tactique. La technique et la vista dépendent d’ailleurs de la condition physique. Demandez aux internationaux néerlandais, qui évoluent tous dans de grands clubs, comment ils s’y entraînent…

Hans Smulders, le manager du FC Eindhoven, a souligné que vous vous exprimiez au pluriel, jamais au singulier. Cet esprit de groupe vous vient-il de votre ancien métier de policier ?

Quand on choisit un sport d’équipe, on doit être collectif. Les gardiens et les éléments créatifs sont souvent individualistes. C’est permis, chacun a le droit de conserver sa personnalité, à condition de fonctionner au sein de l’équipe. L’entraîneur n’échappe pas à cette règle. Celui qui pense pouvoir réussir seul se trompe. La synergie qui naît dans un groupe procure plus de satisfaction qu’une prestation individuelle. Les joueuses de tennis belges rayonnent quand elles jouent la Fed Cup. Il n’y a rien de plus beau que de partager ses émotions.

Est-ce pour cela que pendant la préparation, vous avez emmené les joueurs du FC Den Bosch passer deux jours avec la Force terrestre ?

Absolument. On peut s’entraîner trente fois ou placer les gens dans des conditions si extrêmes que les masques tombent. Les valeurs et qualités d’une personne émergent quand elle doit satisfaire ses besoins les plus élémentaires. Les joueurs devaient dormir sous une bâche ou monter la garde la nuit, étaient tirés de leur sommeil par des militaires ayant combattu en Afghanistan ou en Irak, des soldats qui avaient déjà tué et qui ne vouaient pas d’admiration à un footballeur professionnel. Au contraire, ils les envoyaient en pleine nuit au camion, en hurlant, et les contraignaient à effectuer des exercices. C’est ainsi qu’on crée des liens. J’ai aimé travailler aux Pays-Bas, où, à terme, j’aimerais rejoindre l’ Eredivisie.

Quand le FC Malines s’est présenté, vous avez eu un sentiment positif, déclarant :  » C’est un club chaleureux, fraternel et solidaire. Il a un côté anglais avec sa passion, son public fantastique, sa rage de vaincre et un certain sens du drame.  » Cela ressemble au Germinal Beerschot, mais avec de la stabilité et de la sérénité.

De fait. Un Anversois veut être associé au succès. Malines a la même soif de victoire mais est plus réaliste, moins arrogante. Je suis Anversois et j’ai certainement des traits typiques. Une certaine forme d’assurance est positive, à condition de ne pas sombrer dans l’arrogance. Mais quand j’ai un objectif, le monde entier peut le connaître.

Par Chris Tetaert – Photos: Belga

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