L’ANONYME

A 26 ans, il a effectué ses débuts à Roland Garros et pourtant, quasi dans le top 100, il reste méconnu.

Un Bruxellois dont la ville préférée est Anvers… Gilles Elseneer est un gentil garçon mais il a ses centres d’intérêt et son avis. Si la Belgique n’avait pas Justine Henin et Kim Clijsters, il ferait partie de l’élite belge, puisqu’il est le numéro cinq du tennis masculin belge, après Xavier Malisse, les frères Rochus et Kristof Vliegen.

Jusqu’à ses 18 ans, il n’a joué que pour le plaisir. Bruxellois bilingue, il a frappé en vain à la porte des deux ailes de la Fédération. Il n’a été champion de Belgique qu’une fois, en double. De bonnes prestations à Wimbledon l’ont fait connaître. La semaine dernière, il a passé le premier tour de Roland Garros en battant l’Espagnol Ramirez Hidalgo, 80e mondial, en cinq sets (pour la première fois de sa carrière) puis perdit en trois sets contre le Brésilien Gustavo Kuerten, 28e.

Vous nous aviez fixé rendez-vous pendant le tournoi de Rome avant Paris en disant :  » Je serai éliminé à ce moment « . Pourquoi y être allé, dans ces conditions ?

Gilles Elseneer : J’y étais obligé pour ne pas galvauder mes chances d’être dans le tableau principal de Roland Garros mais je ne suis pas un spécialiste de la terre battue. Malgré mon élimination romaine au premier tour, j’en suis revenu satisfait : le gouffre qui me séparait des spécialistes était moins grand que je le pensais.

Votre classement vous ouvre-t-il la porte de tous les tournois ?

Non. Par exemple, à Sydney, j’étais 130e ATP mais tout le monde y jouait, pour préparer l’Open d’Australie et on a clôturé les inscriptions au 123. J’ai payé une semaine d’hôtel pour rien. Or, ce ne sont pas des vacances ! A Rome, j’ai emmené ma copine mais c’était exceptionnel. Tout ce que je vois de ces merveilleux pays, c’est ma chambre, les courts et les restaurants. Parfois, après quelques défaites, je me demande ce que je fais là. Cette année, j’ai fêté mon anniversaire seul dans ma chambre d’hôtel. Evidemment, quand je gagne un match, quelle poussée d’adrénaline ! De tels moments me récompensent de tous les sacrifices consentis.

Vous vous êtes fait connaître à Wimbledon.

Pour la première fois dans un Grand Chelem, j’ai atteint le tableau principal. Cela ne m’a pas rendu célèbre mais ce n’est pas grave. Je serai toujours anonyme en Belgique. Imaginez que j’atteigne, par un quelconque miracle, un quart de finale. Qui le remarquera alors que Kim Clijsters ou Justine Henin sont en finale ? Je ne me plains pas. Je ne veux pas être célèbre. Moi, je peux aller au cinéma incognito. Wimbledon est spécial. C’est le berceau du tennis. Y jouer est un honneur. Cette fois, j’ai atteint le tableau principal de Roland Garros. Je jouerai aussi les qualifications de l’US Open, cette année.

Pourquoi êtes-vous spécialiste du gazon alors qu’il n’y en a pas en Belgique ?

Je suis offensif, j’ai un bon service et une bonne volée. Je prends plus de points en attaquant qu’en étant prudent et c’est plus facile sur gazon.

Folle Belgique

Où avez-vous été formé ?

Je suis bruxellois, ma famille est originaire d’Anvers, j’ai fait mes études en néerlandais. La VTV m’a classé parce que mon père était affilié dans un club francophone. L’AFT, elle, a constaté que ma famille venait d’Anvers et que j’avais étudié en flamand. Nul ne me voulait. Je me suis entraîné un an à la VTV, à Wilrijk, mais sans indemnité. J’ai arrêté quand j’ai dû payer mes heures d’entraînement. Je me sens exclu. Je démontre qu’il existe d’autres voies que celles des fédérations. Il y a deux ans, j’ai été appelé une première fois pour la Coupe Davis. J’en suis très fier. Je représente alors mon pays, pas une fédération.

Alliez-vous souvent à l’étranger, plus jeune ?

Une fois par an à tout casser. Jusqu’à 18 ans, je ne jouais que quatre heures par semaine. Je jouais au foot, au hockey, je nageais. J’ai achevé mes humanités. Ensuite, j’ai entamé des études d’ingénieur commercial à la VUB. Comme j’émargeais à l’élite belge, en accord avec mes parents, je me suis accordé un an. Je visais le top 500. Un ami de mon père, le Français Jean-Paul Loth, m’a appris à placer la barre haut. J’ai réussi. Je n’ai donc pas achevé mes études. J’avais le statut de sportif de haut niveau mais la combinaison était pénible. Je n’ai jamais été un super talent. Nick Bollettieri a voulu m’attirer en Amérique quand j’avais 16 ans. Je devais seulement payer le voyage. Il allait me mener au top 50. Nous avons refusé. Beaucoup de parents paient des fortunes pour que leurs enfants réalisent leurs rêves mais combien réussissent ? Les miens estimaient que je devais être indépendant. Je payais mes voyages en jouant des tournois en Belgique. J’ai appris à me battre. Mon père connaît le milieu. Il dirige un club et a entraîné Bernard Boileau. Il a lui-même fait partir du top trois belge, en son temps.

Comment fait-on son chemin quand on se décide aussi tard ?

Je ne savais même pas comment m’inscrire, comment trouver des vols bon marché. Mon premier tournoi était un satellite, en Israël. J’ai eu la chance de partir avec un autre Belge inconnu qui avait déjà des points ATP. Je ne savais même pas si je serais repris, n’ayant pas de points. Dans ce cas-là, une fois les joueurs ATP repris, on tient compte du classement national. J’étais numéro 20 en Belgique. Faute d’inscriptions, on m’a accepté. J’ai passé les quatre tours de qualification et atteint le deuxième tour du tournoi principal. Un tour trop peu pour mes premiers points ATP. On recevait 50 euros par tour, taxés à 30 %. Je ne pouvais même pas payer une nuitée d’hôtel avec ça. Je suis revenu à plat. J’ai rejoué quelques tournois ici pour financer un autre voyage, en Grèce. J’y ai gagné mes premiers points ATP : neuf d’un coup ! J’étais numéro 981 mais j’avais l’impression d’être champion du monde. A la fin de l’année, j’étais 500e, un an après, 300e. Puis une grave blessure à l’épaule m’a mis sur la touche pendant deux ans. J’étais 103e avant Roland Garros. Je n’ai cessé de progresser.

Sans coach

Qui était votre coach ?

Un coach ? Je n’en avais pas les moyens. Avion, nuitées, deux repas par jour. Avec un entraîneur, tout eût été multiplié par deux. Je voyageais seul mais j’étais motivé, malgré le retard accusé sur ceux qui connaissaient le circuit grâce aux tournois internationaux pour jeunes. Si je ne me livrais pas à 100 %, je n’avais pas l’ombre d’une chance. Beaucoup étaient plus doués que moi mais avaient moins de caractère. Ils étaient trop vite contents. Echouer n’est pas une honte si on a fait son possible.

Nouez-vous les deux bouts ?

Je vis du tennis mais au début, je n’en sortais pas. Même quand j’ai gagné mon premier petit tournoi, je n’arrivais pas à payer mes frais, alors que je vivais dans un hôtel avec une douche et une toilette pour 30 chambres, en ne mangeant que des spaghettis. On gagne un peu d’argent dès qu’on devient numéro 200. Quand j’ai atteint le top 100, je me suis offert une bonne bouteille de vin, un Château Latour 1995, mais je ne le fais pas tous les jours. Heureusement, je n’ai pas besoin de voitures coûteuses ni de vêtements de marque.

Combien de sponsors avez-vous ?

Aucun qui me donne de l’argent. Ils me fournissent en chaussures, matériel et vêtements. C’est typique de notre société : quand on a besoin d’aide pour progresser, nul n’assume ce risque. En revanche, quand on n’en a plus besoin, on peut emprunter facilement. Le seul argent que je reçois vient de mes prestations. Je dois donc être performant.

Vous souvenez-vous de votre première victoire en tournoi ?

J’ai remporté ma première victoire individuelle à Chigwell, en Angleterre, à la fin de ma deuxième année pro : 13.000 euros. La victoire m’a rapporté 800 euros, soit entre 200 et 300 euros, taxes et frais déduits. Mon premier tournoi ATP, il y a deux ans, à Nottingham, était doté de 20.000 euros. J’en ai conservé 3.600 euros.

Quelles sont vos ambitions ?

Rester dans le top 100, peut-être glisser vers le rang 75.

Quelle est votre marge de progression ?

Minime. La grande différence entre le top et le reste est moins le tennis que la tête. Un grand joueur sert un ace au moment décisif alors qu’un joueur banal frappe la balle dans le filet. Quand on était appelé à affronter Pete Sampras à Wimbledon, on se diminuait soi-même avant le match. Mais le meilleur que j’ai affronté, c’est Lleyton Hewitt.

Qu’a-t-il de plus que vous ?

Il se bat sur chaque balle, même s’il est mené 40 à 0. Il tapera 40 fois pour un bête point s’il le faut, qu’importe l’énergie qu’il doit dépenser. Le jour où il n’en aura plus le courage, sa carrière sera achevée.

Etes-vous en contact avec ces grands joueurs ?

Nous nous connaissons. J’ai leur numéro de téléphone. Andy Roddick me dit bonjour mais si j’arrête demain, il ne se déplacera pas à Bruxelles pour me rendre visite.

Que vous a appris le tennis ?

Que l’assurance est la clef du succès. Sur un court, vous êtes seul. C’est un métier de solitaire, sur le court et en dehors. Cependant, ça ne me pèse pas car c’est ma passion et j’ai finalement la chance d’en avoir fait ma profession.

Si vous arrêtiez demain, devrez-vous travailler ?

J’espère pouvoir me permettre de choisir un métier que j’aime. Peut-être me tournerai-je vers le monde des affaires. Je n’y songe pas encore : je vis au jour le jour.

Geert Foutré

 » BRUXELLOIS et rejeté par tous « 

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