L’âne ruiné

Son palmarès sportif est aussi impressionnant que sa naïveté dans le monde des affaires.

Avant Gand-Wevelgem et Paris-Roubaix, nous avons réuni Eddy Planckaert et Peter Post, son légendaire ex-directeur sportif. Des retrouvailles marquées du sceau de la gaieté et d’une certaine nostalgie. De fait, l’ancien vainqueur de Paris-Roubaix aime se replonger dans ces moments d’insouciance lorsque, courbé sur son guidon, il n’avait d’autre tâche que d’avaler les kilomètres, volant de succès en succès.

Eddy Planckaert est ruiné. Il croule sous les dettes. Agé de 44 ans, celui qu’on disait le plus riche des Planckaert n’a plus d’avenir. Il vivote, au jour le jour. Le 28 janvier, le tribunal du commerce de Gand l’a déclaré en faillite, ainsi que ses trois sociétés. Ses dettes s’élèveraient à plus d’un million d’euros. Son téléphone a été coupé, les clefs de son véhicule confisquées. Les créanciers font la file. Toutefois, dans son malheur, l’ancien coureur peut compter sur des amis, qui lui procurent des petits boulots. Ainsi, le samedi soir, il joue les garçons dans la discothèque d’un ami. Jean-Marie De Decker lui a aussi proposé de tenir une de ses tavernes à la Côte. Il a même mis à sa disposition un logement. Depuis la mi-décembre, la chaîne VTM emboîte le pas de l’ancienne gloire et produit depuis fin mars un feuilleton, De Planckaerts, similaire au reality-show dont les Pfaff ont été les héros. Le contrat a été signé au nom de son fils Francesco, pour éviter toute saisie.

Eddy Planckaert: « Je n’ai plus rien. J’ai toujours dit que je voulais être très riche ou très pauvre. Je voudrais vivre dans les bois, pour écrire ou peindre, mais j’ai besoin d’argent. Le pire, c’est tous ces gens, ces amis, ma soeur, qui ont investi en moi et auxquels je ne peux rien rendre. Mais je ne veux plus parler de tout ça. Je regarde droit devant moi ».

Au terme de sa carrière, il a investi son argent dans une entreprise de parquet en Lituanie. Sa société se chargeait de la confection du produit de a à z, de la scierie des planches à leur traitement. Les problèmes se sont rapidement amoncelés: le chêne était exporté de Russie. Des wagons se perdaient en chemin. Sa société était gardée par des hommes armés de kalachnikovs. C’est ce qui a découragé le sénateur Dedecker, invité à investir dans l’entreprise de son ami: « Je l’ai averti mais Eddy est l’optimisme personnifié ». Intimidé par des menaces, il a cependant fui la Lituanie. Il a créé une seconde entreprise en Pologne où il a investi plus de 2,5 millions d’euros. Croyant tirer les leçons de sa première expérience, il a engagé un Belge pour gérer cette société, qui employait 110 personnes.: « L’homme en question m’a trompé. Il m’a assuré que ce n’était qu’une question de temps avant que l’entreprise ne soit rentable mais l’argent a filé. Nous avons eu des problèmes de production, de qualité, les factures impayées se sont accumulées. J’ai commis deux fois les mêmes erreurs. Je suis pire qu’un âne ».

En Pologne, comme en Lituanie, il a été menacé physiquement. Une lettre l’a prévenu: s’il se pointait là-bas, il se ferait châtrer!

L’homme d’affaires déchu en est donc réduit à essuyer des tables de café, à servir la bière et à dévoiler sa vie intime aux caméras. Sa mise en faillite l’empêche de reprendre une autre affaire et tout ce qu’il gagne peut être saisi au profit de ses créanciers.

Bref, parlons vélo….

Retour aux pavés

Vous avez toujours eu un faible pour Paris-Roubaix.

Planckaert : Paris-Roubaix est la course par excellence. En 1990, j’ai réalisé un rêve en la remportant. Je n’ai plus rien gagné ensuite. Ce jour-là, j’étais le meilleur. Pourtant, je ne l’ai emporté que de quelques millimètres: le tout à cause de ce qui s’était passé quelques jours plus tôt à Gand-Wevelgem. Les coureurs de Raas et de Post n’étaient pas les meilleurs amis du monde. Quand un membre de l’équipe de Raas démarrait, nous parvenions à puiser au fond de nous-mêmes et vice-versa. Dans la descente du Kluisberg, Edwig Van Hooydonck a tenté de me pousser dans les pierrailles. Dans le virage suivant, j’ai riposté et il a chuté. Le conflit a eu des suites à Paris-Roubaix. Nous sommes arrivés à trois sur la piste. Steve Bauer et… Van Hooydonck. Même si je n’avais pas d’expérience sur piste, j’aurais dû gagner avec trois longueurs d’avance mais dans le virage, Van Hooydonck m’a entraînévers le haut, et j’ai roulé cinq mètres de plus que Bauer dans les 50 derniers mètres. J’ai sprinté comme un fou. Quelle magnifique sensation quand j’ai passé la ligne en premier…

Post : Un an auparavant, j’avais gagné l’épreuve avec Jean-Marie Wampers. Un cas. Il courait bien mais ne connaissait pas l’étendue de son talent. Il a chuté au Tour des Flandres. Il ne cessait de ronchonner qu’il avait mal. Je lui ai dit de continuer à courir. La veille de la course, je l’ai pris en voiture. Ce n’était pas considéré comme un cadeau (il sourit). Le voilà qui embarque de la pâtisserie: c’était son anniversaire. Je lui ai dit ce qu’il pouvait en faire. Il m’a balbutié: – De Vlaeminck le faisait. Qu’en avais-je à faire? Je l’ai débarqué à Compiègne. Le lendemain, il a remporté Paris-Roubaix.

Planckaert : Peter Post savait motiver ses coureurs. Lors de ma première année chez Panasonic, j’ai accumulé les succès. Le Circuit Het Volk a constitué ma 11e victoire de la saison. L’année suivante, j’ai pris cinq kilos. Peter était furax! Je me faisais lâcher partout. Un matin, il a dit à Bert Oosterbosch et à moi-même: – Dans la voiture! Nous étions morts de peur. Nous savions ce qui nous attendait. Il m’a remonté les bretelles: – Le Circuit Het Volk a lieu la semaine prochaine. Es-tu un hommeou non? Cette semaine-là, je me suis entraîné comme une bête. Je n’ai pratiquement rien mangé. Et j’ai remporté la course en question.

L’équipe de Patrick Lefevere se distingue régulièrement à Paris-Roubaix. En plus, Quick Step-Davitamon a dominé le début de saison d’une manière qui rappelle l’époque Post.

Planckaert : Elle n’a pas le même rayonnement. L’équipe Post était plus dominatrice.

Post : Nous avons remporté plus de courses: Waregem, Harelbeke, la Flèche Brabançonne. A peine une victoire acquise, je disais: -Il y a une autre course demain. Il faut la gagner. Je n’étais jamais satisfait. Avec Raleigh, nous avons gagné 11 étapes en un seul Tour. Discipline

Dans les années ’80, on parlait du système Post. De quoi s’agissait-il?

Post : C’était simple: réunir de bons coureurs prêts à rouler les uns pour les autres et leur faire comprendre qu’ils enregistreraient plus de succès s’ils formaient un bloc soudé.

La discipline primait tout….

Planckaert : J’étais fier de rouler dans cette équipe. Le seul qui faisait un peu bande à part, était Vanderaerden. Eric était plus complet que moi mais j’étais plus rapide. Une anecdote. A Hoeselt, Eric a été champion de Belgique, devant moi. Une semaine plus tard, première étape du Tour de France, sprint massif. Il était convenu que je serais le leader. A 700 mètres de l’arrivée, Eric a foncé comme un fou, pour coincer 400 m plus loin. Je reste persuadé qu’il a voulu tenter sa chance en pensant: – Si Planckaert ne gagne pas, on jouera ma carte demain.

La discipline était ferme. Une fois, nous mangieons, pendant le Tour. Il faisait torride dans le restaurant. Des coureurs d’autres équipes sortaient. Nous avons essayé. Jamais je n’ai vu Peter Post aussi fâché: – On reste à table tant que tout le monde n’a pas fini. Un coureur a demandé: – Et si je dois aller aux toilettes? Il a tranché: – Retiens-toi!

Comment avez-vous fait pour mater Planckaert, qui n’était pas un modèle de discipline?

Post : J’ai eu pire. De toute façon, sans personnalité, on n’arrive à rien. Il faut des garçons qui résistent. C’est d’ailleurs plus amusant comme ça. Je me suis aussi adouci au fil des années. Maintenant, on n’a plus de coureurs tels que Planckaert, Vanderaerden, Phil Anderson…

Planckaert : Peter Post était assez diplomate pour nous laisser un peu de mou. Si nous sortions en catimini de l’hôtel, le lendemain, quand nous étions lâchés dans une étape de montagne, il commentait: – Les scampis passent difficilement? Il nous prouvait que rien ne lui échappait.

Vous vous faisiez des farces mais ça n’a pas toujours bien tourné!

Planckaert : On commençait par s’asperger d’eau mais il fallait toujours trouver mieux. A Francfort, Vanderaerden a mis ma chambre sens dessus dessous. J’ai eu la lumineuse idée d’ôter la porte de sa chambre et de la placer dans l’ascenseur. Eric est resté impavide. Mais qui était devant l’ascenseur, en bas? Peter et le directeur de l’hôtel. Ce fut ma fête.

Post : Il y en a d’autres. Comme ce stage en France.

Planckaert: Le domaine comprenait un sauna mixte. Nous étions plus souvent au sauna que sur nos vélos.

Retour aux exploits strictement sportifs. Peter Post disait que vous auriez pu avoir un palmarès plus étoffé.

Planckaert : J’en suis conscient mais je me concentrais sur les classiques printanières. Ce fut une erreur. J’ose l’admettre, maintenant: j’entamais le Tour à 70% de mes capacités. J’ai gagné deux étapes mais j’aurais pu en accrocher plus.

Post : C’est typique d’un coureur doué: même quand il n’est pas en forme, il est capable de gagner. Du coup, il a tendance à prendre les choses à la légère. Jo est pareil. Je l’ai vu à l’oeuvre dans A Travers les Flandres… Mais voilà, il veut mener une vie plaisante et ne gère pas bien ses qualités. Pourtant, la direction de l’équipe contrôle mieux ses coureurs, maintenant, avec les stages de décembre, janvier et février et les courses en Australie, au Qatar et en Malaisie. Moi, je ne voyais pas mes coureurs de septembre à janvier. Et il peut s’en passer des choses, en quatre mois.

Planckaert : Dieu, que j’ai été heureux de revoir mon patron. Car Peter Post reste le patron, pour moi.

Roel Van den Broeck et Pascale Piérard

« J’ai toujours voulu être très riche ou très pauvre »

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