L’amiral du sous-marin jaune

A bientôt 35 ans, le Français reste une pièce maîtresse d’une équipe de Villarreal qui surprend en Ligue des Champions.

Robert Pirès fêtera ses 35 ans le 29 octobre. Il vient pourtant de prolonger son contrat à Villarreal et a retrouvé la Ligue des Champions, qu’il avait quittée par la petite porte le 17 mai 2006, lorsque Arsène Wenger avait décide de le retirer du jeu suite à l’exclusion du gardien Jens Lehmann après 18 minutes. Aujourd’hui, il ne boude pas son plaisir.

Villarreal vient de réaliser la meilleure saison de son histoire et vous en avez été l’un des principaux acteurs…

Robert Pirès : Je n’ai jamais aimé parler de moi. Sur le plan collectif, c’est vrai, nous avons disputé une très bonne saison ; c’est tout ce que je peux dire. Jusqu’à présent, 2008 fut une grande année. Cette deuxième place, qui nous a permis d’accéder directement aux poules de la Ligue des Champions, ne doit rien à personne. Elle est méritée. On l’a savourée et on a pris beaucoup de plaisir sur le terrain. On a aussi donné du plaisir aux supporters, en développant un jeu léché et en gagnant des matches importants.

Sans remonter à la préhistoire, on constate que le Deportivo et le FC Valence ont remporté le titre avec un nombre de points semblable au vôtre…

On aurait pu être champion, mais il faut être honnête : le Real Madrid était la meilleure équipe. La différence est qu’on a abandonné trop de points à domicile.

Comment vous êtes-vous pris pour tenir la dragée haute aux ténors tout au long d’un championnat aussi éprouvant ?

Le président a mené une politique de transferts très intelligente. Le Real Madrid, le FC Barcelone, l’Atlético Madrid et le FC Séville ont dépensé beaucoup d’argent, mais ce n’est pas un gage de réussite. Nous avons prouvé qu’avec des moyens plus limités, une équipe comme Villarreal est en mesure de lutter avec les meilleurs.

L’expérience emmagasinée dans la Liga peut-elle vous être utile en Ligue des Champions ?

On peut en tirer des leçons, effectivement. L’équipe est déjà bien en place, et par rapport à la saison dernière, neuf nouveaux joueurs sont arrivés. Ils doivent nous aider à élever encore notre niveau.

C’est nécessaire ?

Oui, bien sûr. La Ligue des Champions est très exigeante sur le plan physique et, avec l’accumulation des matches, on aura besoin d’un effectif encore plus étoffé. Même si, la saison dernière déjà, on avait une équipe capable de prendre la mesure d’un club aussi puissant que le FC Barcelone.

Même si les finances de Villarreal sont saines, le club ne peut pas se permettre d’engager des joueurs à 20 millions d’euros…

Non, mais avoir un président qui possède un beau portefeuille, cela facilite quand même les choses. Les dirigeants de Villarreal savent ce qu’ils font et où ils veulent aller.

Le discours de Fernando Roig est très ambitieux…

L’objectif est de continuer à progresser, jusqu’au jour où l’on remportera un titre. C’est son souhait. Je suis sûr que, d’ici quelques années, Villarreal sera en mesure de rivaliser avec les plus grands d’Europe.

Un groupe très soudé

Vous êtes un compétiteur-né. Les ambitions affichées de Villarreal ont-elles pesé dans votre décision de prolonger votre contrat pour une saison supplémentaire ?

En premier lieu, j’ai resigné parce que le président et l’entraîneur étaient satisfaits de mon rendement. Ensuite, j’ai constaté que le club progressait d’année en année, et que la perspective de remporter un trophée n’était plus utopique. Pour toutes ces raisons, j’ai été très heureux de prolonger mon bail.

Manuel Pellegrini se montre très discret face aux médias. Comment se comporte-t-il dans les vestiaires ?

C’est un entraîneur très humble. Il parle avec tout le monde et s’intéresse beaucoup aux joueurs. Lorsqu’on a gagné sa confiance, on la garde jusqu’au bout.

L’entraîneur chilien suscite l’intérêt de certains grands clubs. Pensez-vous qu’il pourrait y réussir les mêmes exploits qu’avec Villarreal, où la pression est moindre ?

Il est certainement capable d’entraîner un grand club. Les qualités, il les a. C’est clair qu’à Villarreal, la pression est moindre que chez certains monstres sacrés, mais il a travaillé en Argentine où les entraîneurs ne vivent pas non plus en toute quiétude. Cela ne l’a pas empêché de mener San Lorenzo et River Plate vers le titre. Un jour, c’est sûr, il quittera Villarreal. Il aura envie d’aller voir ailleurs, de vivre une nouvelle expérience. Ce qui vaut pour les joueurs vaut aussi pour les entraîneurs : à un moment donné, on a besoin de relever un autre défi.

Le jeu de Villarreal va à contre-courant de la mode européenne, où l’on privilégie la force et la vitesse. Chez vous, on privilégie plutôt les changements de rythme et le  » toque  » sud-américain…

C’est un style intelligent qui nous convient bien. Pellegrini demande toujours de  » donner et bouger « . J’adhère à cette philosophie. Courir sans cesse avec le ballon au pied, ce n’est pas l’idéal. On travaille beaucoup à l’entraînement, et le week-end, on met tout cela en pratique. C’est clair que dans certains matches, on ne peut pas s’en sortir en jouant uniquement de la sorte, mais nous restons fidèles à nos principes. Ce sont ceux-là qui, l’an passé, nous ont permis de jouer le haut du tableau du début à la fin.

Pour jouer de cette manière, il faut des joueurs très doués techniquement…

Villarreal possède des joueurs de grande qualité. En outre, on forme un groupe très soudé. Même après une défaite, on a toujours relevé la tête et on a repris notre chemin comme avant.

Parmi ces joueurs de grande qualité, il y a Santi Cazorla. Lorsqu’on le voit, on a l’impression que c’est Pirès avec quelques années en moins, ce n’est pas votre avis ?

Peut-être. Pour moi, Santi est le joueur le plus complet de Villarreal. Il est intelligent, possède une bonne frappe, marque des buts. Il a le profil des joueurs que recherchent les grands clubs.

Le beau jeu ne paie pas

Etes-vous accroc au football ou songez-vous à autre chose en rentrant chez vous après l’entraînement ?

Je regarde beaucoup de matches à la télévision, afin de voir quels sont les aspects de mon jeu que je pourrais encore améliorer. Lorsque j’analyse certaines actions, je me demande ce que j’aurais fait si j’avais été placé dans la même situation. Je ne loupe jamais un match de Ligue des Champions, quand je suis à la maison. Je sais que le spectacle sera toujours au rendez-vous.

Et cette saison, vous en êtes vous-même un acteur…

Ma dernière apparition dans cette compétition remontait à la finale 2006, à Paris. J’avais joué 18 minutes, suite à l’expulsion de Lehmann. Arsène Wenger avait alors choisi de me retirer du jeu. Je suis forcément très heureux de retrouver la C1 et je suis convaincu que Villarreal peut y faire très bonne figure.

En demi-finales, Arsenal avait éliminé Villarreal cette année-là. Comment expliquez-vous que les Gunners, toujours brillants en Premier League, l’aient souvent été beaucoup moins sur la scène européenne ?

Il y a peut-être un aspect psychologique qui joue. En Angleterre, en 2006, on était la meilleure équipe et on avait les moyens de remporter la Ligue des Champions, mais on a perdu et cette défaite fut très difficile à digérer. Arsenal a souvent produit un très beau football, mais à l’heure des récompenses, il s’est retrouvé les mains vides. Pour garder le cap mentalement, il est très important de gagner des trophées.

Le beau jeu ne paierait-il donc pas ?

Pour atteindre la finale de la Ligue des Champions, il faut d’abord être bien en place défensivement et Arsenal n’en est pas capable. Pour Chelsea, cela n’a jamais été un problème car les Blues ont toujours joué de cette manière. Manchester United, de son côté, sait qu’il faut changer de style dans certains matches et a les moyens de s’adapter.

Il y a huit ans, il y avait trois équipes espagnoles en demi-finales de la Ligue des Champions (Real Madrid, Barcelone et Valence). En 2008, il y avait trois équipes anglaises. A quoi attribuez-vous cette évolution ?

Cette évolution ne m’a pas surpris. Il y a belle lurette que j’ai découvert la différence entre le football anglais et espagnol. Elle se marque dans le rythme des matches. En Angleterre, chaque week-end, il faut aller au bout de soi-même. Les Anglais me donnent l’impression de n’être jamais fatigués. C’est beaucoup plus dur là-bas qu’ici.

Que se passe-t-il avec votre ami Thierry Henry ? Vous attendiez-vous à ce qu’il rencontre autant de difficultés à Barcelone ?

Lorsqu’on arrive d’un pays où l’on travaille énormément tous les jours, l’adaptation à l’Espagne se révèle très difficile. Il a atterri dans une équipe qui n’a remporté aucun trophée et on tente de lui faire porter le chapeau. Mais, à lui seul, il ne peut rien faire. Titi est un crack, l’un des meilleurs attaquants d’Europe. Le problème du FC Barcelone résidait surtout dans le collectif.

Un avenir comme consultant

Que ferez-vous au terme de votre carrière ?

Je ne deviendrai pas entraîneur, c’est une certitude. Par contre, un job de consultant, qui me permettrait de rester dans le football et d’en parler en connaissance de cause sans pour autant vouloir tout détruire, me plairait. Lorsque j’entends d’anciens footballeurs qui critiquent sans cesse, cela m’irrite. On ne doit jamais oublier d’où l’on vient, ni perdre de vue qu’on ne serait peut-être nulle part sans le football. Alors, je trouve que cracher dans la soupe est malvenu.

On prétend que vous avez déjà été approché pour être consultant lors de l’Euro 2008…

C’est exact, mais j’avais refusé la proposition. Je savais que la saison à venir serait très exigeante et j’aspirais surtout à recharger mes accus en famille.

La France, vice-championne du monde en 2006, s’est plantée à l’Euro.

Je pensais qu’on atteindrait au moins les demi-finales, je me suis trompé. Pourtant, la France possède un bon mix de jeunes joueurs et de joueurs expérimentés.

Et l’Espagne ?

La Selección m’a beaucoup plu. C’était une équipe très complète, qui a trouvé le chaînon qui lui avait tellement manqué dans le passé : Fernando Torres. C’est l’un des meilleurs attaquants d’Europe. Avec lui, l’Espagne est devenue une équipe très dangereuse. J’avais déjà deviné, en voyant les matches amicaux face à la France et l’Italie juste avant le départ pour l’Euro 2008, qu’elle pouvait réaliser un très bon tournoi. Mais, si l’Espagne a gagné, c’est aussi parce qu’elle n’a pas croisé la France sur son chemin ! Chaque fois que cela avait été le cas, elle avait été éliminée, ha, ha !

Jusqu’en 1998, la France n’avait quasiment rien gagné. Dix ans plus tard, elle affiche un titre de champion du monde, de champion d’Europe et de vice-champion du monde à son palmarès. Comment expliquer cette arrivée aux sommets ?

L’immigration a joué un rôle important. Une bonne équipe doit toujours posséder différentes qualités. Les joueurs d’origine africaine ont beaucoup apporté à l’équipe de France.

par carlos fernandez (esm) – photos: reporters

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