L’AMER ROUGE

Pierre Bilic

Pourquoi le puncheur hennuyer n’a-t-il jamais trouvé son bonheur à Sclessin ?

La parole est d’argent et le silence est d’or. Ces derniers temps, Cédric Roussel a pesé mille fois les métaux précieux qui font aussi la richesse d’une carrière. Pourtant, il avait bien envie de tout jeter par la fenêtre : ses rêves liégeois, son désir légitime de retrouver les hauteurs du classement des buteurs de D1, etc.

N’était-il pas revenu de Russie pour fréquenter les chemins du succès ? Une grosse année plus tard, Sclessin est devenu le Stalingrad de sa carrière : tout a été rasé, tout est à refaire. La semaine passée, il nous a fait savoir que  » ce n’était pas le moment de s’exprimer car son tempérament pourrait générer un dérapage verbal « . Son cas est intéressant à plus d’un titre et mérite analyses et témoignages.

On peut retourner le problème dans tous les sens. La conclusion est objectivement la même et se résume par un mot : gaspi ! Les clubs belges ont-ils trop de talents offensifs pour se permettre de négliger un buteur de chez nous ? Cédric Roussel a eu ses bons moments avec Johan Boskamp (Gand), Marc Grosjean (Mons), Sef Vergoossen (Genk). En Belgique, entre des campagnes hésitantes à l’étranger (Coventry City, Wolverhampton, Kazan), ses récoltes furent mauvaises dans les champs de René Vandereycken (Genk) et de Dominique D’Onofrio (Standard). Années de vaches grasses, saisons de vaches maigres ? L’homme a souffert sans comprendre ce qui lui arrivait en souffrant d’un manque de crédit assez évident.

 » Je ne suis pas d’accord. « , rétorque le coach du Standard.  » Il n’est pas question de préférences. Tout le monde a eu ou aura sa chance. A ce niveau-là, la réflexion d’un entraîneur ne peut pas être individuelle. Tout comme Cédric Roussel, Wamberto, Jonathan Walasiak, Michel Garbini, Almani Moreira, pour ne citer qu’eux, n’ont pas toujours eu le temps de jeu dont ils rêvaient. Il y a des équilibres à atteindre dans une équipe. Là, on est au c£ur du débat : c’est le vrai terrain de travail de l’entraîneur. Il ne faut pas oublier que Mémé Tchite a transformé, durant des mois, tout ce qu’il touchait en or. Cette rentabilité-là, il était impossible de l’ignorer ou de ne peut pas en tenir compte dans notre organisation « .

Cette remarque est judicieuse et révéla sa profondeur lors de la visite du Cercle Bruges (7-1) sous le pont d’Ougrée. Même si les hauts-fourneaux s’éteignent, les Flandriens y ont été transformés en coulées continues. Tchite a sans cesse été au charbon. Mais cela n’était plus arrivé depuis plus d’un trimestre. Avant d’encercler Bruges, la division offensive n’avait été pas été particulièrement efficace, présente en zone de vérité mais pas vraiment percutante.

217 minutes de jeu seulement

 » Je sais : après 21 journées de championnat, le Standard n’avait marqué que 33 buts, deux à peine de plus que Mouscron « , rétorque Dominique D’Onofrio.  » Nettement moins qu’Anderlecht et Bruges tout en ayant la meilleure ligne arrière de D1. Mais cela ne signifie pas du tout que le Standard est une équipe défensive « .

En étudiant attentivement les chiffres, on découvre des éléments de réflexion très intéressants. Les Rouches ont encaissé le moins de coups de coin (71). Le Standard joue haut, éloigne le danger de ses lignes défensives. Ses joueurs ont obtenu le plus grand nombre de corners : 149. La différence par rapport à Anderlecht est tout simplement gigantesque. Les Mauves comptent une cinquantaine de coups de coins en moins mais leur attaque (49 buts/23 matches) est plus prolifique que celle du Standard (40 buts/22 matches). Comment expliquer cette différence ? Pourquoi le Standard est-il plus souvent présent mais moins percutant en zone de vérité ? Or, il dispose de merveilleux centreurs avec Sergio Conceiçao, Milan Rapaic, Philippe Léonard et consorts. Les phases aériennes, si précieuses dans le football moderne, ne sont-elles pas suffisamment élaborées ? N’y a-t-il pas alors un manque de taille dans le rectangle adverse ?

 » Non, je ne crois pas « , analyse Dominique D’Onofrio.  » Le Standard amène des grands formats dans ce secteur sur les phases arrêtées. Je songe à Oguchi Onyewu, d’abord, mais aussi à Philippe Léonard. En réalité, nous avons souvent été secoués dans cette zone. On y a commis un paquet de fautes non sifflées en notre faveur « .

Il y a une faille dans le raisonnement : les Liégeois n’ont marqué que deux buts de la tête. Il était quand même assez étonnant dans ces conditions de se priver d’un artilleur belge comme Cédric Roussel. Il ne lui a été accordé que 217 minutes de jeu cette saison. Cela fait tout au plus 10 % du temps de jeu. D’autres ont incontestablement bénéficié de plus de crédit.

Le problème du trafic aérien a été résolu par l’arrivée de l’excellent et souriant Igor De Camargo. Son entente avec Mémé Tchite est remarquable. Ils sont complémentaires, unissent vitesse, explosivité, technique. Ils se trouvent les yeux fermés. Roussel n’aurait-il pas pu former le même duo avec Tchite ? Son échec s’explique-t-il par un manque de qualités techniques ou par une personnalité plus réservée que celle du Prince Igor ? Ne résiste-t-il pas trop bien la pression et à la concurrence ? Cédric peut-il s’extérioriser au top, là personne ne se fait de cadeaux et le coach n’est pas toujours copain, copain comme dans certains petits clubs.

Victime du spleen

Sous sa puissante carcasse, Cédric cache un petit c£ur, des bleus à l’âme, un mal de vivre qui est un handicap dans un monde de requins. En Angleterre, vaincu par des problèmes sentimentaux, il a souvent été au bord de la rupture. Les Anglais n’aiment pas les joueurs qui ont des idées noires. Pour eux, ce ne sont pas des mecs : on ne peut pas avoir le spleen sur les terrains de football. Or, Roussel déprimait. Il retrouva le sourire et la joie de jouer à Mons où Marc Grosjean le relança totalement.

 » Je ne sais évidemment pas ce qui se passe au Standard « , avance l’ancien coach des Dragons.  » Mon analyse serait incomplète. Quand il débarqua à Mons, Cédric était en panne de sensations car il n’avait pas beaucoup joué en Angleterre. Il a dû résorber son retard physique et trouva ses marques. Je lui ai accordé toute ma confiance. Mons n’avait évidemment pas mille solutions offensives mais cela ne facilita pas sa tâche. Tout le monde le surveillait car il était le puncheur de notre équipe. Cédric a bien résisté à ce poids. Il occupait une place importante sur notre échiquier. Mons soignait ses centres et avait un infiltreur près de Cédric. Mais ce n’était pas du tout un attaquant ventouse, un piquet dans les 16 mètres adverses. Non, il gardait bien la balle dos au but en attendant du renfort de la deuxième ligne. Cédric se repliait sur chaque corner ou coup franc dangereux en faveur de l’adversaire. Il est massif mais plus rapide qu’on ne le pense. Moi, je trouve que c’est un attaquant moderne. Quand je le vois sur le banc, tout comme c’est souvent le cas de Kevin Vandenbergh à Genk, cela me peine. C’est du luxe. Le football belge est-il si riche que cela ? A quoi sert la formation si on en arrive à cela ? Maintenant, si Cédric a du mal à supporter le poids d’un maillot comme celui du Standard, c’est autre chose. S’est-il mal adapté au style de jeu des Liégeois ? Bah, c’est une explication comme une autre mais si un joueur doit se fondre dans un tout, une équipe doit aussi exploiter les potentialités de chaque élément « .

Après Mons, Cédric Roussel fut transféré pour un million d’euros à Genk. C’était un très gros transfert. Thomas Chatelle était déjà actif dans le Limbourg quand Cédric y déposa son sac de sport et toutes ses ambitions.

 » J’avais déjà connu Roussel à Gand où nous avons découvert le monde de la D1 ensemble « , rappelle Thomas.  » Johan Boskamp avait recruté pas mal de jeunes talents belges pour le compte des Buffalos et c’est un connaisseur. Il appréciait beaucoup la personnalité et les qualités de Cédric.. Avec lui, c’est la garantie de marquer 15 ou 20 buts en une saison. Il crée du remous dans un rectangle et j’ai connu peu d’attaquants aussi costauds. C’est un déménageur. Boskamp a cherché à le recruter en été pour le compte de Stoke City : c’est quand même un signe de confiance. Je ne suis pas d’accord quand on dit qu’il craint le stress. A Genk, il devait remplacer, avec d’autres, le duo Moumouni DaganoWesley Sonck. Or, ces deux gaillards avaient marqué l’histoire du club. Sef Vergoossen l’a placé dans un contexte tactique qui lui allait bien : un 4-4-2 avec un soutien d’attaque derrière lui, des ailiers, etc. Je tournais parfois autour de lui. Il prenait de la place, je me glissais dans les brèches. Quand je jouais plus sur l’aile, c’était un plaisir de lui adresser des centres. Sa première saison à Genk fut une réussite, puis René Vandereycken misa sur une autre occupation du terrain que Vergoossen Cela convenait probablement moins à Cédric. Est-ce à cause de cela qu’il est parti en Russie ? Je ne sais pas mais c’était un peu rapide. A 28 ans, il est de nouveau à la croisée des chemins, va reprendre sa valise. Sa trajectoire n’est pas stable. J’étais certain qu’il avait trouvé sa voie au Standard. Ce club devait lui aller comme un gant. Ce n’est pas le cas : c’est un gâchis « .

Il n’a pas eu de chance

Genk a finalement récupéré 1.250.000 euros en le cédant à Kazan. Comme il ne fut jamais heureux en Russie, le Standard lui permit de s’entraîner à Sclessin avant de louer ses services pour 18 mois. Ce fut au départ une véritable histoire d’amour. Un coup de foudre. Mais ne dit-on pourtant pas que Luciano D’Onofrio n’apprécia pas du tout le fait que Roussel refuse d’émigrer à Stoke ? N’était-ce pas la preuve qu’on ne croyait pas totalement lui ? Le Standard y expédia finalement Sambegou Bangoura. Roussel restait à Sclessin avec son gros contrat, une option d’achat (450.000 euros ?) à lever en fin de saison et un caractère qui ne plaît pas à tout le monde.

Luciano D’Onofrio aime voir des gens heureux autour de lui. Il évite ceux qui ont le masque ou qui ont trop de soucis. C’est en partie pour cela qu’il n’avait pas retenu Joseph Enakharire dans le temps. Ce joueur tirait sans cesse la tête, ne véhiculait que son ennui, sa mauvaise humeur. Roussel n’est pas toujours le plus joyeux. Cela joue dans une vie de groupe. Même s’il a mûri, on retient ce regard un peu amer (rouge) qui lui donne une dimension très prenante. De plus, le Standard entendait le céder (avec un petit bénéfice à la clef ?), se défaire d’un contrat et probablement dégager des économies qui auraient été consacrées à d’autres priorités sportives. Ce refus coûte-il désormais très cher à Roussel ? N’a-t-il pas commis une erreur stratégique ? Son séjour sur le banc est-il une façon de lui rendre la monnaie de sa pièce ?

 » Je ne crois pas qu’il faille chercher dans cette direction « , prétend Daniel Striani, son agent.  » Le coach fait ses choix. Personne ne le déteste. J’entretiens de très bons contacts avec Luciano. Il ne se mêle pas du travail de l’entraîneur. Michel Preud’homme est aussi un chaud partisan de Cédric. Mais cela ne lui permet pas d’intervenir dans la zone de travail du coach. Le Standard fait quand même la course en tête. Cette équipe gagne et on ne change pas une formule qui a du succès. Cédric n’a tout simplement pas eu de chance et n’était pas là au bon moment. S’il avait marqué contre Beveren, à l’aller, il jouerait aujourd’hui. Vous savez, les Russes estimaient qu’il pouvait devenir le Christian Vieri belge. A mon avis, Cédric dispose d’un énorme potentiel qui se révélera totalement un jour. La saison passée, il s’est blessé à l’entraînement et cela lui a fait perdre un temps fou. Or, il venait de débarquer au Standard : c’était une tuile. En fin de championnat passé, il a marqué des buts importants. Ce fut le cas à Ostende et sans le penalty raté par Conceiçao, on en aurait beaucoup parlé. Cette saison, Cédric Roussel a eu le malheur de jouer face à Beveren qui s’est imposé à Sclessin. Après cela, le coach a revu ses plans « .

La piste norvégienne

 » Le refus d’aller à Stoke City est un autre problème. Les deux clubs avaient trouvé un terrain d’entente. Mais le mot de la fin revenait au joueur. C’est sa vie, sa carrière. Cédric adore le Standard. Il était animé par le désir de s’y imposer, de réaliser son rêve de gosse. Sa femme venait d’accoucher. Mais son choix fut d’abord sportif. Je respecte da décision. Il ne voulait pas connaître un quatrième club en un peu plus d’un an : Genk, Kazan, Standard, Stoke City. Même s’il connaît l’Angleterre et Johan Boskamp, c’était quand même énorme à ses yeux. Je peux le comprendre. Il désirait se fixer, prendre ses marques. C’est pour cela qu’il entendait rester à Liège. On a dit que les voyages entre Liège et Mons étaient trop longs. Je ne crois pas. A Genk, il faisait aussi les trajets quotidiens en voiture. Cédric était toujours le premier au stade « .

 » Sa présence sur le banc a attiré beaucoup de regards, plus que quand il jouait à Mons et à Genk. Mons a frappé à la porte. Un jour, c’est sûr, il rejouera au stade Tondreau. C’est le club de sa région. Même si les Dragons occupent le haut du pavé en D2, il ne pouvait pas jouer à ce niveau cette saison. Dans un plan de carrière ambitieux, cela ne va pas. Plus tard, ce sera différent. Westerlo et le FC Brussels l’ont courtisé mais il a refusé. Cédric a dit non car il a accordé la priorité à l’étranger. J’ai vu les émissaires de Brighton, du Celtic et de Southampton. Ces pistes étaient intéressantes mais les trois candidats ont reculé en apprenant qu’il convenait de lever une option auprès de Kazan où Cédric a encore un contrat d’un an. Al Wasl, des Emirats Arabes Unis, et Gaziantepspor, de Turquie, étaient aussi sur la balle. Mais l’offre la plus intéressante émane de Valerenga, le club qui a remporté le titre en Norvège. C’est un bon championnat qui reprendra tous ses droits en avril. Cette compétition est très suivie par les clubs anglais. Cédric pourrait revenir en Angleterre via la Norvège. Valerenga vient de céder Steffen Iversen à Rosenborg et son coach, Kjetil Rekdal, cherche un attaquant du style Roussel. De plus, Valerenga disputera le dernier tour qualificatif pour la Ligue des Champions. Ce club a les moyens de franchir ce cap et se retrouvera en Coupe de l’UEFA si ce n’est pas le cas. Le dossier évolue bien. Cédric devrait se rendre en Norvège et s’entraîner durant quelques jours à Valerenga. Les Norvégiens veulent voir où il en est. En principe, si tout va bien, ils le loueront jusqu’en juin puis lèveront, ou pas, l’option qui le lie encore pour un an à Kazan. Je suis confiant : il a les qualités et, de plus, il n’envisage pas de retourner en Russie « .

PIERRE BILIC

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