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 » L’ALLEMAGNE EST L’ENDROIT IDÉAL POUR LANCER SA CARRIÈRE « 

Les clubs belges ne voulaient plus de Maecky Ngombo (21 ans) et Orel Mangala (18 ans). À la recherche de reconnaissance, ils ont franchi la frontière allemande cet été : Ngombo a signé pour deux ans au Fortuna Düsseldorf (D2) tandis Mangala est loué pour un an par Anderlecht au Borussia Dortmund.

Maecky Ngombo et Orel Mangala sont un peu les symboles de tout ce qui ne fonctionne pas dans la formation des jeunes en Belgique. Dans les grands clubs, tellement de jeunes ont vécu leur histoire : on leur a rapidement offert un contrat pour devancer la concurrence puis ils n’ont plus été que des numéros dans la chaîne de fabrication de jeunes talents. Quand on lui parle de ses copains à Anderlecht, Mangala secoue la tête de dépit.  » Ce qui s’est passé à Anderlecht est triste : Leya Iseka et Lukebakio ont été loués, Bastien a été vendu et, dans un premier temps, le club voulait également louer Kawaya. Nous avions tous grandi à Anderlecht. Imaginez un peu que nous ayons pu jouer ensemble en équipe première. C’eût été une belle histoire.  »

A Neerpede, tout le monde est bien d’accord pour dire que tu étais un des plus grands espoirs du club. Mais aujourd’hui, tu joues en U19 au Borussia Dortmund et pas à Anderlecht.

OREL MANGALA : Je ne demandais qu’une chose : qu’on me laisse m’entraîner avec le noyau A. Mais avec Besnik Hasi, ce n’était pas possible. Ça m’a perturbé. Quand on a fait toute sa formation à Anderlecht, on rêve secrètement de percer. A la fin, la direction a tenté de me consoler en me proposant un nouveau contrat mais mon entourage et moi-même trouvions que cette proposition arrivait bien trop tard. Nous avions déjà la tête ailleurs. On affirme que mon père s’est montré trop gourmand lors des négociations avec Anderlecht. C’est n’importe quoi. On n’a même jamais parlé d’argent. Les gens prennent un malin plaisir à répandre des mensonges.

Maecky, tu as terminé la saison dernière à Roda, avec un contrat de jeune.

MAECKY NGOMBO : Un petit contrat qui a fait en sorte que je me sentais inférieur aux autres. J’ai marqué face à Ajax et à Feyenoord, des buts qui nous ont à chaque fois rapporté un point, mais dans le vestiaire, il y avait des gars qui gagnaient vingt fois plus que moi. J’avais pourtant démontré sur le terrain que je n’étais pas le premier venu et que je méritais un contrat pro. Manifestement, la direction n’était pas de cet avis. Et puis, en juin, elle m’a laissé entendre qu’elle souhaitait que je reste et elle a chargé le nouvel entraîneur, Yannis Anastasiou, de me convaincre. Nous avions convenu d’une heure de rendez-vous avec le directeur sportif mais Anastasiou n’était pas libre : il devait aller manger avec sa femme (il rit). Quand on veut vraiment garder un joueur, on se libère, non ? J’ai donc compris qu’il était temps de mettre un terme aux négociations.

MENACES DE MORT À RODA

Et pourtant, Roda n’a pas de buteur patenté cette saison. Tu aurais donc pu être utile.

NGOMBO : J’aurais peut-être enfin été titulaire. J’ai fait les comptes : la saison dernière, j’ai joué dix-sept matches. Les dix-sept fois, j’étais sur le banc ! Ne me dites pas que je n’aurais pas pu faire une seule fois la différence si j’avais commencé. Au lendemain de mon but contre Feyenoord, j’ai même dû jouer avec les espoirs. Essayez seulement de vous motiver pour un match de l’équipe B lorsque vous avez marqué dans un Kuip comble vingt-quatre heures plus tôt. Ce jour-là, pourtant, j’ai de nouveau inscrit deux buts.

MANGALA : J’ai vu ses quatre buts en D1 hollandaise sur YouTube. C’était très impressionnant. Je suis aussi Maecky sur Twitter. J’ai donc vu défiler les tweets lorsqu’il faisait de belles choses avec Roda. A Bruxelles, ils sont fous de lui, même si c’est un Liégeois.

NGOMBO : A Kerkrade aussi, ils étaient fous. Lorsqu’il a été acquis que je ne rempilerais pas, j’ai reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux. Les supporters ne connaissaient pas le fin mot de l’histoire et ils pensaient que je voulais partir pour l’argent.

MANGALA : En ce qui me concerne, les réactions des supporters d’Anderlecht étaient partagées. Certains espéraient que je me plante à Dortmund (il souffle). Cela ne me touche plus. Des critiques, il y en aura toujours.

On dit souvent que la formation des jeunes en Belgique progresse. Pourquoi, dès lors, devoir trouver refuge à l’étranger ?

NGOMBO : Voyez la situation des jeunes du Standard et d’Anderlecht. C’est regrettable ! Il y a beaucoup de talents à l’Académie du Standard mais on n’en fait rien. La philosophie qui consistait à lancer des jeunes a complètement disparu. Vous savez où est le problème ? Le Standard a suffisamment d’argent pour acheter des joueurs à tour de bras et le noyau est souvent trop grand pour aller chercher des joueurs dans le noyau B. Pour un attaquant, il n’est vraiment pas simple de percer au Standard. Regardez ma situation : l’an dernier, mon contrat n’a pas été renouvelé. A la même période, le club a acheté Santini, Emond, Tetteh et j’en oublie sans doute l’un ou l’autre. Lequel de ces joueurs est titulaire aujourd’hui ? J’ai entendu dire que le Standard regrettait de m’avoir laissé partir. En soi, c’est déjà une petite victoire. J’y retournerai peut-être un jour.

POST-FORMATION EN QUESTION

MANGALA : A Anderlecht aussi, il y a un problème de post-formation. Un club doit trouver le bon équilibre : un jeune joueur doit sentir que la direction lui fait confiance mais il faut aussi qu’elle l’aide à garder les pieds sur terre. Surtout à Bruxelles, où on a vite tendance à planer. Après un ou deux bons matchs, on se prend pour des dieux. Peut-être les jeunes de Neerpede sont-ils trop couvés. Il arrive alors qu’ils dérapent complètement.

C’est difficile de garder la tête sur les épaules quand on joue au Standard ou à Anderlecht et qu’on a déjà un gros contrat chez les jeunes ?

NGOMBO : C’est très compliqué. Il y a des tentations à tous les coins de rue et, par définition, un jeune fait des bêtises. Le plus important est d’être bien entouré. Mes potes sont les mêmes depuis l’âge de dix ans. Quand ils m’ont connu, je n’avais rien, je devais supplier les clubs de me donner une chance.

Plusieurs fois par semaine, je faisais les trajets entre Herstal et Heist-op-den-Berg avec mon père pour m’entraîner avec le KSK Heist alors que je savais que ce club n’avait pas les moyens de m’engager. C’est pourquoi je trouve injuste qu’on associe toujours les joueurs à l’argent, aux voitures, aux fringues et aux filles. Mes proches savent les efforts que j’ai dû consentir pour en arriver là où je suis aujourd’hui.

Tu as trois ans de plus qu’Orel. Quel conseil lui donnerais-tu ?

NGOMBO : Je dirais : fais ton boulot normalement jusqu’à ce que tu y arrives. Et surtout, ne te laisse pas monter la tête par ton entourage. Tu n’as rien à gagner avec des amis qui te considèrent comme un pôle d’attraction.

MANGALA : Je constate qu’à Bruxelles, on me regarde différemment. Il y a une certaine forme de respect pour le parcours qui m’a emmené d’Etterbeek à Dortmund via Anderlecht. Mon succès les irradie un peu. Ils se disent qu’un jeune gars de Bruxelles peut réussir également. Quand je me promène en rue, on me tape parfois sur l’épaule et on me demande si je suis bien le gars qui joue à Dortmund. Ça fait plaisir d’être reconnu.

TOUT EN SIXIÈME VITESSE

Avant, les jeunes partaient en Angleterre, en France, aux Pays-Bas ou en Italie. L’Allemagne est-elle la nouvelle terre promise ?

NGOMBO : C’est en Allemagne qu’on pratique le football le plus complet d’Europe. Que ce soit sur le plan physique, technique ou tactique, on frôle la perfection. Y compris en D2. Notre entraîneur adjoint, Peter Hermann, a travaillé au Bayern Munich. Ce n’est pas à lui qu’il faut apprendre à préparer un entraînement pour améliorer la passe ou le placement. Et je ne parle même pas de l’encadrement : on a par exemple engagé un professeur de langues rien que pour moi. En fait, l’Allemagne, c’est l’endroit idéal pour lancer sa carrière.

MANGALA : Je décrirais le football allemand en deux mots : discipline et professionnalisme. A l’entraînement, quand le coach demande de former un bloc, personne ne quitte sa position d’un centimètre. Il règne également un grand respect mutuel entre les joueurs. Chaque matin, tout le monde se salue individuellement.

NGOMBO : Les premières semaines ont été difficiles. Après chaque entraînement, je m’endormais comme une pierre devant la télé. Je n’étais pas préparé à de tels efforts physiques.

MANGALA : Au début, je me suis dit que ce n’était pas si difficile que ça. Puis je suis parti en stage avec le noyau A (il souffle). Nous faisions tous les exercices avec ballon mais l’intensité était très élevée. Pas le temps de contrôler le ballon et de le donner. Tout se fait en sixième vitesse. Maintenant, je sais qu’il ne faut pas nécessairement courir beaucoup pour être cassé après un entraînement.

Orel, cette saison est importante pour toi : Dortmund a jusque juin 2017 pour lever l’option ou non.

MANGALA : Je ne stresse pas. Qu’est-ce que j’ai à perdre ? Je m’entraîne avec le noyau A et je joue en U19. En semaine, je reçois des conseils de Reus, Götze -champion du monde avec l’Allemagne- Aubameyang, Dembélé… Et le week-end, j’essaye de les mettre en pratique. Il est peut-être encore un peu tôt pour entamer un match de Bundesliga mais j’espère quand même être repris une fois ou l’autre dans le noyau cette saison.

NGOMBO : Mon équipier le plus connu, c’est Michael Rensing, qui a été deuxième gardien du Bayern Munich pendant des années. Les autres n’ont joué qu’en Allemagne. Si je travaille dur, je partagerai un jour le vestiaire avec des vainqueurs de Coupe du monde mais en ce moment, mon seul objectif, c’est de livrer une bonne saison avec Düsseldorf. Le club a terminé quatorzième la saison dernière et veut se stabiliser en D2.

UNE SUCCESSION D’OPPORTUNITÉS

Pour toi aussi, Maecky, il est temps de trouver une certaine stabilité. Après le Standard, tu as passé des tests à Crystal Palace, à West Ham United, au Club Bruges, à Seraing et au Patro Maasmechelen. Puis tu n’es resté qu’un an à Roda.

NGOMBO : Toutes ces étapes, aussi courtes soient-elles, m’ont forgé un caractère. Au cours des dix-huit derniers mois, j’ai eu pas mal de contretemps. J’ai dû quitter le confort de l’Académie du Standard, même si c’est la meilleure chose qui ait pu m’arriver. En Angleterre, on me répétait sans cesse la même chose : tu as du potentiel mais tu n’es pas prêt pour la Premier League. En Belgique, le Club Bruges s’est montré le plus concret mais il voulait que je fasse mes preuves en Espoirs pendant six mois, sans garantie d’avoir une place dans le noyau A par la suite. Je n’aurais été que le huitième ou neuvième jeune dans la hiérarchie. Je pense qu’en football, il ne faut pas trop chercher la stabilité. Une carrière, c’est une succession d’opportunités, il faut pouvoir saisir sa chance au bon moment.

MANGALA : Mon parcours a été relativement linéaire jusqu’ici. De sept à dix-huit ans, je n’ai pas connu d’autre club qu’Anderlecht. J’y étais comme chez moi et je dois dire que certains jours, Anderlecht me manque.

Naguère, c’était Standard – Anderlecht, un match toujours tendu. Comment se déroulaient les clasicos en équipes d’âge ?

MANGALA : A la veille d’un match contre le Standard, j’étais tellement excité que je trouvais difficilement le sommeil. Dans le vestiaire, on sentait la tension car nous connaissions tous l’importance de ce match. Mais jamais je n’ai entendu un entraîneur nous demander explicitement de casser des jambes (il rit).

NGOMBO : Nous nous mettions la pression nous-mêmes car nous savions que c’était sur ce genre de matches que nous serions jugés.

La rivalité entre Liège et Bruxelles est-elle importante ?

NGOMBO : Plus autant qu’avant. Nous organisons même chaque année un match de gala entre Liégeois et Bruxellois avec, pour enjeu, l’ego personnel et l’honneur de la ville.

MANGALA : Les Congolais se considèrent tous comme des frères. Des liens d’amitié se tissent donc entre les deux communautés. Ce sont les supporters qui exagèrent.

NGOMBO : N’empêche que je suis Liégeois et que je vais rarement à Bruxelles. Je n’ai rien contre la ville mais les Bruxellois sont… différents. Un peu gros cous tout de même.

DES TERRAINS EN BÉTON

Vous avez un point commun : vous avez appris à jouer dans la rue.

NGOMBO : J’étais toujours au Parc Astrid à Liège. Avant, toute la ville s’y retrouvait pour jouer sur des terrains de béton. Les règles étaient simples : six contre six et la première équipe qui inscrivait deux buts pouvait rester. Les petits ne pouvaient pas jouer mais on faisait une exception pour moi parce que mon grand frère insistait. Les grands tentaient de m’intimider en criant : Hé petit, qu’est-ce que tu fais sur le terrain ? En principe, j’aurais dû faire taire ces grandes g… d’un tacle bien appuyé mais sur ce genre de terrain, ce n’était pas conseillé. Et quand je le faisais, je devais expliquer à ma mère pourquoi mon pantalon était déchiré.

MANGALA : Je jouais au Parc du Cinquantenaire, près de la station de métro Mérode. Le plus important était de rester invaincu le plus longtemps possible. De temps en temps, j’essayais de ridiculiser l’adversaire par un truc. Tant qu’on en est à faire des comparaisons : en matière de technique pure, les Bruxellois sont plus forts mais, sur un vrai terrain en herbe, les Liégeois sont plus fonctionnels.

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Les jeunes de Neerpede sont peut-être trop couvés. Il arrive alors qu’ils dérapent.  » OREL MANGALA

 » Il y a beaucoup de talents à l’Académie du Standard mais on n’en fait rien.  » MAECKY NGOMBO

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