© BELGAIMAGE

L’alchimiste du sport

LE CEO du groupe chimique INEOS est le troisième homme le plus riche de Grande-Bretagne mais il est surtout connu pour avoir construit un empire sportif international. L’histoire du milliardaire James Jim Ratcliffe (67 ans) débute… à Anvers.

Janvier 2019, Maison du Port d’Anvers. Aux côtés de Geert Bourgeois (alors ministre-président du gouvernement flamand) et de Bart De Wever (bourgmestre d’Anvers), Jim Ratcliffe annonce qu’INEOS va investir plus de trois milliards d’euros dans deux nouvelles usines à Lillo. Une information qui a même poussé des journalistes du Financial Times à venir en Belgique. Outre des raisons économiques, le milliardaire invoque l’émotion :  » Ce projet nous permet de revenir à la maison « , dit-il.

Ses détracteurs lui reprochent de vouloir blanchir l’image d’INEOS, une entreprise pétrochimique polluante.

Sa maison, c’est Anvers. Ou plutôt Zwijndrecht, où il avait acheté une vieille usine BP en 1998 pour y établir son premier siège. Vingt-deux ans plus tard, le groupe chimique INEOS brasse un chiffre d’affaires de 56 milliards d’euros, il a des usines dans plus de vingt pays et la firme emploie plus de deux mille personnes.

Le Britannique, qui possède 60 % des actions, est devenu la troisième fortune de Grande-Bretagne. Selon la dernière Rich List du Sunday Times, il pèse plus de vingt milliards d’euros. Pas mal pour un fils d’ouvrier qui a grandi dans un logement social de la banlieue de Manchester.

Un selfmade man pour qui le succès consiste à racheter des sections peu rentables de grands groupes et à les faire fructifier. Cela lui a valu son surnom, The Alchemist, qui est aussi le titre de son livre, The INEOS Story. Le fil rouge de l’histoire et de la vie de Ratcliffe, c’est de relever sans cesse des défis et de tout faire pour arriver à ses fins.

Son mot favori, c’est : rigueur. Ce n’est pas un hasard si INEOS est la contraction d’Ineo (le mot latin qui signifie renouveau), Eos (le dieu grec de l’aurore) et Neos (un mot grec qui veut dire nouveau, novateur).

Ingénieur de formation

Des défis, il en a relevé en tant qu’homme d’affaires mais aussi, depuis l’âge de 37 ans, en tant que sportif amateur. Il a déjà couru trente marathons, il a joué au football jusqu’à 60 ans puis, comme il avait trop mal au genou et qu’il s’était fracturé la hanche, il s’est consacré au vélo. Pas pour faire des petites balades tranquilles mais pour des sorties de cinq à six heures.

Son leitmotiv :  » Vivre le plus de jours inoubliables possible « . C’est pourquoi, en 2017, il a décidé d’ajouter le club de football de Lausanne Sport à son empire sportif. Il a également investi dans le challenge 1 : 59 du marathonien Eliud Kipchoge ainsi que dans l’équipe britannique de voile qui veut remporter l’America’s Cup. Il a aussi racheté l’équipe cycliste Team Sky (désormais INEOS) et l’OGC Nice. Enfin, il sponsorise l’écurie Mercedes en Formule 1 (voir encadrés).

Ratcliffe peut ainsi vivre sa active pour le sport de façon passive au premier rang : il a fait du vélo avec Chris Froome et Geraint Thomas, il a suivi l’étape du Tourmalet dans la voiture de Team INEOS, il a pris le car avec les joueurs de Nice pour se rendre au PSG, il a fait de la voile avec Ben Ainslie, il a été invité par Toto Wolff, le patron de Mercedes, à rouler sur la glace en Autriche… Des expériences impayables… sauf quand on y met le prix.  » INEOS fait cinq à six milliards d’euros de bénéfices par an « , dit Ratcliffe.  » Pourquoi ne pas investir cent millions d’euros dans le sport ?  »

Il n’investit cependant pas au petit bonheur la chance. Fidèle à sa philosophie d’alchimiste, il lance des projets ambitieux, qui permettent aux personnes qu’il soutient d’évoluer. Il veut marquer le sport de son empreinte, entrer dans l’histoire. Il s’intéresse notamment beaucoup au domaine de l’innovation et ce n’est pas un hasard puisqu’il est ingénieur de formation.

Pour une plus grande notoriété

C’est pour cela qu’il investit dans différents sports. Lorsqu’il a annoncé qu’il allait collaborer avec l’écurie Mercedes, il n’a pas parlé d’accord de sponsoring mais de partenariat. Le nouveau département des sciences appliquées de Mercedes-Benz Applied Science (MBAS) va permettre à des ingénieurs de l’écurie de Formule 1 de partager leur expertise avec d’autres projets de Ratcliffe. Dix-huit d’entre eux ont ainsi déjà collaboré à la construction du voilier qui prendra part à l’America’s Cup en 2021.

Les ingénieurs vont aussi optimiser l’aérodynamique des vélos d’ Egan Bernal & Cie, notamment par le biais de tests dans le tunnel à vent ultra-moderne de Mercedes à Silverstone. L’équipe cycliste, pour sa part, va collaborer avec l’OGC Nice sur le plan des entraînements et de la diététique. Ce n’est pas un hasard si Chris Froome, qui vit à Monaco, a déjà assisté à plusieurs matches de Nice avec une écharpe autour du cou. Tout comme Patrick Vieira, l’entraîneur de Nice, il a aussi parrainé le challenge 1 : 59 d’Eliud Kipchoge. Dave Brailsford, le patron de l’équipe cycliste, était même le leader du projet impliquant le marathonien (voir encadrés).

INEOS fait cinq ou six milliards de bénéfices par an. Pourquoi ne pas investir une bonne centaine de millions dans le sport ?  » Jim Ratcliffe

Ces investissements dans le domaine du sport ont cependant également un but purement commercial : celui d’élever la réputation d’INEOS, dont Ratcliffe a souvent dit qu’elle était  » la plus grande entreprise dont le monde n’avait jamais entendu parler « . Le groupe chimique, qui joue également un rôle important dans le secteur du gaz de schiste, est en effet une entreprise business to business. Ses produits ne s’adressent donc pas aux consommateurs.

Cette plus grande notoriété doit donner un coup de pouce à un nouveau projet de Ratcliffe, beaucoup plus cher et axé sur le consommateur : le développement du Grenadier 4×4, le successeur spirituel du Land Rover Defender, dans lequel il a déjà investi 1,2 milliard d’euros. Le Britannique copie notamment Red Bull qui, grâce au football, à la F1 et au sponsoring de sports extrêmes, est devenu une marque mondialement connue.

Pas de greenwashing

Ses détracteurs disent que, s’il fait main basse sur le monde du sport, c’est aussi pour blanchir l’image d’une entreprise pétrochimique polluante puisque INEOS pratique le fracking (une méthode contestée d’extraction du gaz de schiste), ce qui lui a déjà valu et lui vaut encore de nombreuses critiques.

Le 1er mai dernier, le lieu de la présentation de la nouvelle équipe cycliste INEOS dans le Yorkshire a même été tenu secret jusqu’au dernier moment, afin d’échapper aux protestations d’associations de défense de l’environnement.

Les détracteurs d’INEOS lui reprochent aussi d’être un des plus grands producteurs de plastique d’Europe. Alors que le Team Sky avait disputé le Tour 2018 sous un maillot frappé d’une baleine et sur lequel on pouvait lire : Ocean Rescue, #passonplastic (dites non au plastique)…

Ratcliffe nie catégoriquement vouloir faire du greenwashing.  » C’est ridicule. Nous investissons même beaucoup dans des initiatives environnementales « , dit-il en ajoutant tout de même sans sourciller :  » On ne peut pas vivre sans plastique, ça fait partie de la vie moderne.  » Tout comme, désormais, INEOS fait partie du paysage sportif.

Geraint Thomas
Geraint Thomas© BELGAIMAGE

Cyclisme Team INEOS

C’est une petite bombe qui a explosé lorsque Sky a annoncé qu’elle arrêterait de sponsoriser l’équipe cycliste du même nom, en 2018. Moins de trois mois plus tard, Dave Brailsford le patron de l’équipe, trouvait un repreneur : INEOS et Jim Ratcliffe rachetaient Tour Racing Limited (le holding à qui appartient l’équipe). On dit que les premiers contacts ont été établis au cours d’une randonnée à vélo avec Geraint Thomas dans les montagnes qui entourent Monaco.

On ne connaît pas le montant exact investi par INEOS mais, en 2018, le budget total du Team Sky était de 42 millions d’euros, petits sponsors compris. Cette année, il serait de 47 millions.

Outre sa passion pour le cyclisme, Ratcliffe dit que s’il investit, c’est parce que ce sport est de plus en plus populaire.  » Et il est bon pour la santé et l’environnement « , dit-il. Il a cependant averti qu’au moindre cas de dopage, il retirerait ses billes.

Kasper Dolberg de l'OGC Nice.
Kasper Dolberg de l’OGC Nice.© BELGAIMAGE

Football Lausanne Sport/OGC Nice

Son premier grand investissement dans le monde du sport, Jim Ratcliffe l’a consenti en rachetant le FC Lausanne Sport, club de D1 suisse, fin 2017. Ce n’était pas un hasard car Lausanne n’est pas loin de Rolle, où se trouvait, à l’époque, le quartier général d’INEOS.

Ce ne fut pas un succès car, après de nombreuses protestations des supporters contre un changement de nom et de couleurs (ils ont fini par obtenir gain de cause), le club est descendu après avoir raté des transferts onéreux.

Ratcliffe a admis s’être laissé entraîner sans réfléchir. Il a tiré les leçons et, l’an dernier, il a nommé son frère, Bob, au poste de CEO. Aujourd’hui, Lausanne est en tête du championnat de D2 suisse avec une belle avance.

Depuis cette saison, Bob dirige aussi l’OGC Nice, le club de Ligue 1 que Ratcliffe a acheté pour plus de cent millions d’euros l’été dernier. Beaucoup moins cher que ce qu’il aurait dû payer pour Chelsea puisque, lorsqu’il avait discuté avec Roman Abramovich, celui-ci aurait demandé 3,5 milliards d’euros.

Pour Ratcliffe, c’était au moins un milliard de trop. Ce qui ne l’empêche pas d’aller très souvent voir Chelsea puisque Stamford Bridge est tout près du quartier général d’INEOS à Knightsbridge, à Londres.

Pour Ratcliffe, le return qu’offrait Chelsea n’était pas suffisamment intéressant.  » Le sport, c’est plus que signer un chèque. L’ADN d’INEOS, c’est d’investir intelligemment.  » C’est pour cette raison qu’il n’a pas repris Leeds United, Newcastle ou Manchester United, pourtant le club dont il est supporter depuis tout petit.

Il a estimé qu’à l’OGC Nice, l’investissement était plus rentable : le club a un nouveau stade, un nouveau centre d’entraînement et est proche de sa résidence officielle de Monaco. De plus, il évolue en Ligue 1 et a des chances de décrocher son billet pour la Ligue des Champions. Ratcliffe veut qu’il y arrive chaque année, même si, pour cette saison, c’est peine perdue probablement.

Mais le Britannique voit à long terme et mise sur la formation des jeunes. Une enquête a démontré que la Ligue 1 était, avec la Liga portugaise, le championnat qui révélait le plus de grands joueurs. Des jeunes qui, tôt ou tard, rapporteront de l’argent.

L'UK AC75 a nécessité des milliers d'heures de travail et un débours de 130 millions d'euros.
L’UK AC75 a nécessité des milliers d’heures de travail et un débours de 130 millions d’euros.© BELGAIMAGE

Voile America’s Cup

Jim Ratcliffe est connu pour être un grand partisan du Brexit. Make Britain Great Again ! Il veut notamment rendre à l’Angleterre son prestige en matière de navigation maritime en permettant à une équipe britannique de remporter pour la première fois le plus vieux trophée international au monde : l’Auld Mug de l’America’s Cup (fondée en 1851). Il compte pour cela sur l’aide du quadruple champion olympique Ben Ainslie et a choisi sa fille, Julia Ratcliffe, comme marraine du projet.

En 2021, la 36e édition de la course à la voile la plus populaire aura lieu en Nouvelle-Zélande. Elle opposera le tenant du titre, Emirates Team New Zealand, à Team INEOS, dont le bateau a été nommé The Waves en hommage au célèbre poème Rule Britannia ! , écrit en 1740 par James Thomson et qui racontait comment les Anglais domptaient les vagues.

Il a fallu dix-huit mois, des dizaines de milliers d’heures de travail et environ 130 millions d’euros pour construire l’UK AC75. Un projet né d’une rencontre avec le navigateur Ben Ainslie dans un pub.  » Le gin tonic le plus cher de toute ma vie « , rigole Ratcliffe.

Le logo INEOS figure sur les Mercedes en F1.
Le logo INEOS figure sur les Mercedes en F1.© BELGAIMAGE

Formule 1 Mercedes-AMG Team

C’est dans les installations du Royal Automobile Club de Londres que la nouvelle Formule 1 Mercedes-AMG Petronas W11, a été dévoilée, début février. Elle porte dorénavant le logo d’INEOS. Deux mois plus tôt, Toto Wolff et Jim Ratcliffe avaient conclu un accord d’une valeur de 120 millions d’euros sur cinq ans, qui prend cours en 2020.

 » Il y a vingt ans, Mercedes, c’étaient des taxis, des voitures pour vieux gentlemen. Aujourd’hui, la marque a une image plus moderne. Elle le doit aux six titres de champion du monde de F1 remportés par Lewis Hamilton. Elle est devenue leader en matière d’innovation technologiques « , dit Ratcliffe en expliquant pourquoi il a décidé de collaborer avec Mercedes qui est, selon lui, la meilleure équipe sportive au monde.

Eliud Kipchoge
Eliud Kipchoge© BELGAIMAGE

Athlétisme Challenge 1 : 59

Un projet qui convenait parfaitement aux ambitions de Jim Ratcliffe, toujours prêt à relever des défis impossibles : aider un athlète à descendre, pour la première fois, sous la barrière des deux heures. Après un premier échec d’Eliud Kipchoge, en mai 2017, le Britannique s’est mis en tête de refaire une tentative, dans laquelle il a investi 18 millions d’euros afin de mettre le Kényan dans les meilleures conditions et de créer des outils en matière de préparation physique, de chaussures (les fameuses AlphaFly’s de Nike), de parcours, et d’aérodynamisme des lièvres (tous des athlètes de classe mondiale). Ça a marché puisque, en octobre 2019, à Vienne, Kipchoge a parcouru la distance en 1h59’40 ». Mission accomplie.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire