L’aigle de Sclessin

Bruno Govers

Impérial dans les airs au Standard, il est en passe de conquérir sa place aussi chez les Super Eagles nigerians.

Les braconniers font les meilleurs garde-chasse. Rabiu Afolabi (21 ans), talentueux stopper nigerian du Standard, fit jusqu’à 17 ans fureur en tant qu’avant.

« Il en allait ainsi à l’école et dans les rencontres interquartiers. Je n’étais pas maladroit du tout des deux pieds, scorant d’ailleurs plus souvent qu’à mon tour. Mais je n’en accusais pas moins un énorme défaut: de la tête, je ne parvenais quasiment jamais à trouver la cible. J’avais beau émerger très régulièrement dans les duels aériens, mes headings n’étaient guère fructueux. Je présentais la même tare qu’un Jan Koller, dont le jeu de tête défensif était lui aussi supérieur à l’offensif. Un jour, le coach de l’équipe nationale des -17 ans eut l’idée de me reconvertir comme arrière central. Depuis, je n’ai plus jamais quitté ce secteur. Sauf pour me permettre l’une ou l’autre incursion dans les lignes offensives, qui m’ont quand même permis de marquer à trois reprises pour le compte des Rouches jusqu’à présent. C’est pas trop mal pour un défenseur, mais très peu en regard de ma production au pays ».

Originaire de la grande banlieue de Lagos, l’ex-capitale du Nigeria, c’est à Oshogbo, au sein du NEPA local que Rabiu Afolabi (18/4/1980) s’était solidarisé au football.

« Ce nom est tout bonnement l’abréviation de National Electra Power Authority« , précise-t-il. « Au même titre que les chemins de fer (Lagos Railways), les banques (First Bank Lagos), les assurances (Bendel Insurance) ou encore la poste (llorin Post and Telecoms Satellite), la régie d’électricité s’est toujours plu à soutenir des équipes, aussi bien à l’échelon local que national. Après une seule saison au NEPA Oshogbo, qui évoluait dans les séries inférieures, j’ai été transféré dans les rangs du véritable porte-drapeau de la compagnie, le NEPA Lagos. Agé de 16 ans à peine, j’étais le plus jeune élément du noyau lors de mon entrée en matière en août 96. Cette première campagne ne fut pas des plus heureuses pour moi. Car si je me partageais entre mes études et le ballon rond, la plupart de mes partenaires ne vivaient pas le football à 100% non plus. Bon nombre d’entre eux vaquaient à leurs occupations à la NEPA avant de s’entraîner en soirée. Par rapport à des équipes pros, comme les Sharks de Port-Harcourt, Julius Berger, Ranchers Bees et l’Iwuanyanwu National, notre phalange ne faisait réellement pas le poids. Au terme de cet exercice, marqué par le succès d’Udoji United devant Jasper United, deux autres grands noms du football nigérian, le NEPA Lagos fit la culbute en division 2. Aujourd’hui, près de cinq ans plus tard, il n’a d’ailleurs toujours pas retrouvé l’élite ».

La Belgique, Lokeren et Anderlecht

Pour Afolabi, cette expérience malheureuse lui permit cependant de se signaler aux yeux du responsable des Eaglets, le team national des moins de 17 ans.

« Au bout de quelques semaines à peine en équipe Première, je fus invité à me joindre à ce groupe », confie-t-il. « Au début, j’y officiais comme target man avant de reculer. C’est précisément au poste d’arrière central que je fus repéré par le manager Daniel Evrard dans le cadre de la Meridian Cup à Lisbonne, en 97. Quand j’ai su qu’une opportunité allait peut-être se dessiner pour moi, en Belgique, je n’ai pas hésité. Hormis ma propre patrie, je n’en connaissais qu’une autre: la vôtre, précisément, ainsi que Lokeren et Anderlecht. Pourquoi? Tout simplement parce que les Waeslandiens avaient été les premiers à faire appel à des footballeurs nigérians, comme John Etim Esin ou encore Samson Siasia et que le plus illustre d’entre tous, Stephen Keshi, mon idole, avait quitté Daknam à destination du RSCA. Rien qu’à l’idée de m’illustrer dans cette compétition, j’étais aux anges. Et c’est pourquoi je n’ai pas hésité à signer en faveur du Standard, même si, je l’avoue, ce club ne représentait pas la même chose dans mon esprit que les deux autres. Qu’à cela ne tienne, j’étais très fier de marcher sur les traces de mes compatriotes et, avec le recul, je ne me plains évidemment pas d’avoir atterri à Sclessin ».

Arrivé en bord de Meuse pendant l’été 97, Rabiu Afolabi fut appelé, à ses débuts, à séjouner à l’instar d’autres jeunes dans la maison de l’ancien Standardman Ljubomir Radanovic, à Angleur.

« Le dépaysement n’aura pas été très grand pour moi car je me suis retrouvé là-bas en compagnie de trois joueurs ghanéens: George Blay, Theophilus Amuzu et AbdulrahmaniDanladi« , souligne-t-il. « Le foot et l’Afrique auront été souvent au centre de nos discussions. Personnellement, je n’aurais pu rêver de transition plus harmonieuse. Même si, au baby-foot, je devais constamment m’avouer vaincu face à mes frères de couleur (il rit). A trois contre un, ils avaient la vie facile, évidemment. Sur le terrain, la tâche était au moins aussi ardue pour moi. Car au Nigeria, seule la technique était vraiment à l’honneur. Au départ, je voulais tout résoudre avec cette seule arme. Mais je fus bien vite dépassé par les événements. Au plan de la condition physique et de la détermination, j’avais encore tout à apprendre. Je dois une fière chandelle à Christian Labarbe. C’est lui qui a eu le mérite de m’affiner, avec Daniel Boccar d’ailleurs. Après une bonne année d’apprentissage, j’étais opérationnel. Et, sous la houlette de Tomislav Ivic, j’avais même entamé la campagne 1998-99. Lors du match de gala face à l’AC Milan, à la mi-aôut, je n’avais guère démérité ».

Ivic l’installe au back droit

Lancé dans le grand bain comme back droit par le technicien croate, Rabiu Afolabi a, depuis lors, régulièrement fait la navette entre ce poste, la place de stopper, ou encore… un rôle de réserviste.

« Dans un grand club, la concurrence est, bien sûr, terrible », observe l’arrière nigérian. « La première année, j’ai dû composer, tant dans l’axe qu’à l’aile, avec des gars comme George Blay, Josko Bilic, Adrian Aliaj, Gauthier Remacle et PascalRenier. La saison suivante, d’autres noms se sont encore ajoutés: Daniel Van Buyten, Laurent Wuillot, Ariel Grana et même Joseph Yobo. Dans ces conditions, rien n’était acquis pour moi. En l’espace de deux ans, j’ai finalement été utilisé à une bonne cinquantaine de reprises. La plupart du temps, néanmoins, comme dépanneur. Compte tenu de l’éclosion de Daniel Van Buyten au centre de la défense et de l’affirmation de mon compatriote Joseph Yobo en tant qu’arrière latéral, j’avais souvent été réduit à faire banquette en fin de campagne 1999-2000. Au lieu de me rapprocher d’un statut de titulaire, je m’en étais petit à petit écarté au fil des mois. A 20 ans, je ne voulais pas courir le risque de moisir dans le dug-out. Et c’est la raison pour laquelle, après concertation avec le manager Luciano D’Onofrio, j’ai consenti à être prêté durant un an ».

Rabiu Afolabi était d’autant plus favorable à cette mesure que le candidat à cet engagement temporaire n’était autre qu’un sociétaire du Calcio: le SSC Naples. « S’il s’était agi de Piacenza, de Vicenza voire de Brescia, j’aurais peut-être réfléchi à deux fois », dit-il. « Là, je n’ai pas hésité un seul instant. C’était ni plus ni moins le club par lequel avait transité Diego Maradona. Franchement, je n’en revenais pas qu’un footballeur comme moi allait avoir l’insigne honneur d’évoluer dans le même club que le meilleur joueur de la fin du vingtième siècle. D’accord, je n’allais pas le connaître comme coéquipier. Croyez-moi, c’était tout comme. Son souvenir est resté vivace là-bas. Non seulement dans le club, où plus personne n’est autorisé à porter le maillot frappé de son fameux numéro 10, mais également sur les gradins, où les chants célébrant son nom étaient repris en choeur à chaque rencontre. En ville aussi, il n’y avait pas moyen d’ignorer son passage. Combien de fois, au détour d’une rue, n’ai-je pas aperçu une banderole à son nom? Et, dans les restaurants, sa photo était toujours visible quelque part. J’ai compris, au stade San Paolo et dans ses alentours, ce qu’était réellement le culte de la vedette. Et je suis heureux d’avoir vécu cela ».

Sur le banc dans le Calcio

Sur le terrain et dans la vie de tous les jours, tout ne fut pourtant pas rose pour Rabiu Afolabi.

« Moi qui avais déjà éprouvé beaucoup de peine, à mon arrivée à Liège, pour suivre le rythme à l’entraînement, j’étais complètement dépassé par le dur labeur imposé par le coach de l’équipe, Zdenek Zeman« , souligne le Nigérian. « Pendant la période de préparation, plusieurs éléments tombèrent comme des mouches tellement ils étaient fourbus. Personnellement, je fus très rapidement blessé au quadriceps. Au moment de revenir dans le parcours, les places étaient attribuées, malheureusement. Et davantage encore qu’en Belgique, les entraîneurs là-bas tiennent manifestement à leur onze de base. Je l’ai vérifié non seulement avec le mentor tchèque mais aussi avec son successeur, Emiliano Mondonico. En dépit du fait que l’équipe ne tournait pas, ni l’un ni l’autre ne s’est hasardé à me jeter dans la bataille. En début de match, tout au moins. A l’heure des bilans, il fallait bien que je m’en fasse une raison: j’avais fait banquette les neuf dixièmes du temps. L’ambiance enfiévrée des stades, je l’avais vécue essentiellement dans le dug-out. C’était le cas à Turin et à la Fiorentina, notamment. Peut-être aurais-je mieux accepté ce statut si les à-côtés avaient toujours été agréables. Mais ce n’était pas toujours le cas, loin s’en faut. A deux reprises, j’ai été victime du vol d’une veste, dans ma voiture, là-bas. Il suffisait que j’abaisse le carreau, pour signer un autographe, pour qu’une autre personne passe sa main dans l’habitacle et me chaparde mon blouson. Les jours de cafard, il y avait heureusement la présence de Diego Maradona, partout, pour me remonter le moral ».

En fin de compte, Naples n’échappa pas à la relégation en série B. Et au terme d’une location d’un an, à San Paolo, Rabiu Afolabi reprit le chemin de Sclessin: « Même si je n’ai guère eu l’occasion de me faire valoir, je ne peux pas dire non plus que j’ai perdu mon temps dans le Calcio. Qu’on le veuille ou non, le championnat italien demeure placé sous le signe de la défense. Je pensais avoir tout assimilé en Belgique. Mais là-bas, j’ai appris pas mal de choses. Comme la manière d’effectuer un sliding-tackle par exemple. J’ai indéniablement enrichi mon bagage au contact du foot et de mes coéquipiers sur place. Cette donne-là, jointe aux départs de Van Buyten et Yobo, me confortait dans l’idée que mon heure sonnerait peut-être de façon définitive chez les Rouches cette saison. Après un demi-championnat, mes sentiments sont mitigés. D’un côté, j’ai réalisé quelques très bons matches contre Anderlecht et le Racing Genk, notamment. Mais d’autre part, la rivalité est toujours terrible avec un Godwin Okpara, par exemple, dont beaucoup s’accordent à dire qu’il constitue le meilleur transfert effectué par le Standard l’été passé. Vu la forme affichée par mon compatriote et le retour au tout premier plan d’ Eric Van Meir, j’ai pleinement conscience qu’il ne me sera pas facile d’obtenir les faveurs de Michel Preud’homme à chaque rencontre. Je veux faire en sorte, toutefois, que son choix soit difficile. De toute façon, cette année sera importante pour moi. Après avoir défendu les couleurs des Eaglets nigérians, j’aspire à faire mon entrée, en 2002, dans le groupe des Super Eagles ».

Objectifs CAN et Coupe du Monde

La sélection représentative du Nigeria honorera deux rendez-vous très importants au cours des prochains mois. Tout d’abord, il y aura la Coupe d’Afrique des Nations, dont la phase finale aura lieu du 19 janvier au 10 février prochain au Mali. Quelques mois plus tard, c’est ni plus ni moins la Coupe du Monde qui constituera l’épilogue de la saison, au Japon et en Corée du Sud.

« La CAN servira de grande répétition en prévision de cette épreuve majeure en Asie », dit Rabiu Afolabi. « J’ai cru comprendre que ma candidature serait retenue pour cette compétition. Pour moi, il s’agirait d’une authentique Première, dans la mesure où je n’ai encore jamais été appelé en équipe nationale A. J’aimerais répondre favorablement à cet appel, afin de montrer à la fois ce dont je suis capable et de consolider mes chances en vue de la Coupe du Monde. Je suis cependant dépendant du bon vouloir de mes dirigeants à Sclessin. Je sais qu’ils ne voient pas d’un bon oeil que George Blay, Khalid Fouhami, Mohamed El Yamani, Joseph Enakarhire et moi-même quittions temporairement le club pour nos teams respectifs. Godwin Okpara, qui est pour ainsi dire assuré de jouer, a d’ores et déjà décliné sa sélection. Pour moi, c’est plus délicat: je ne suis ni titulaire à part entière au Standard, ni en équipe nationale. J’ose espérer que le bon sens triomphera car, à choisir, il vaudrait mieux que je prenne place sur le banc chez les Super Eagles, où j’ai encore tout à prouver et gagner, qu’à Sclessin, où tout le monde me connaît. C’est vrai que le club jouera gros dans les semaines à venir dans l’optique d’une qualification en Coupe d’Europe. Mais n’est-il pas logique que je songe, de mon côté, aux matches que le Nigeria disputera sous peu contre le Mali, le Liberia et l’Algérie en Coupe d’Afrique des Nations ainsi qu’aux rencontres de prestige face à l’Angleterre, l’Argentine et le Danemark en Coupe du Monde? J’aimerais réellement être de la partie à cette occasion. Je prie pour qu’une solution puisse être trouvée qui agrée tout le monde ».

Bruno Govers

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