L’agent double

L’attaquant nigérian des Loups a passé les deux tiers de sa vie dans l’ex-URSS.

Question pour un champion, version football: quel joueur nigérian actuel parle couramment le russe? Détrompez-vous, il ne s’agit pas de James Obiorah, ex-sociétaire d’Anderlecht, actif au Lokomotiv Moscou aujourd’hui, mais plutôt de l’avant louviérois Peter Odemwingie (22 ans), un international des Super Eagles qui présente la particularité d’être né et d’avoir grandi dans l’ancienne Union Soviétique.

« Mon père est de Benin City, au Nigeria », dit-il. « Après ses études secondaires, il a eu droit à une bourse d’études pour entamer des études de médecine. Contrairement aux meilleurs de sa promotion, qui se sont rendus aux Etats-Unis ou en Angleterre, la seule destination possible, pour lui, était Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan. Avant d’aboutir là-bas, il séjourna l’espace d’une bonne année à Chisinau, en Moldavie, afin d’apprendre le russe. En 1975, il s’inscrivit à la Faculté. C’est là qu’il fit la connaissance de sa future épouse, Raïsa Usmanova qui, elle, est originaire de Kazan, chef-lieu du Tatarstan, une république autonome située à mi-chemin entre Moscou et Tachkent. C’est dans cette dernière ville que je suis né, le 15 juillet 1981. Trois ans plus tard, après que mes parents eurent tous deux décroché leur diplôme, toute notre petite famille, à laquelle s’était ajoutée entre-temps ma soeur, Alsu, retourna au Nigeria. Après quelques années, ma mère eut toutefois le mal du pays et c’est la raison pour laquelle tout le monde rebroussa chemin au début des nineties. Je ne me souviens pas de grand-chose concernant cette période en Afrique, si ce n’est que j’y ai appris à jouer au football dans la rue, nu-pieds. Ma première préoccupation au moment d’élire à nouveau domicile à Tachkent fut de m’affilier dans un club. Mon choix se porta tout naturellement sur le plus proche: le Naberezhniy Chelny Kamar FC. J’y ai joué de 1994 à 1996″.

Interne au CSKA Moscou

Outre un championnat local, les jeunes de cette formation disputaient également, chaque année, une compétition à plus vaste échelle, regroupant les meilleures équipes de Russie ainsi que celles des républiques asiatiques de l’ex-URSS: le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan et la Kirghizie. C’est dans le cadre de cet événement que Peter Odemwingie fut repéré par des émissaires du CSKA Moscou.

« Evoluer dans l’un des grands clubs de la capitale russe, c’est le rêve de tous les footeux en herbe là-bas », observe-t-il. « Il va donc sans dire que j’étais conquis. Mes parents étaient moins enthousiastes. Car pas moins de 3.500 kilomètres séparent les capitales de Russie et de l’Ouzbékistan. A force de palabres, les miens ont toutefois fini par céder. Ce fut, pour moi, le début d’une très chouette expérience. J’avais 15 ans et le bonheur de vivre dans une ville vraiment fabuleuse, beaucoup plus attrayante que l’industrielle Tachkent en tout cas. Au même titre que pas mal de compagnons d’âge, repris tantôt dans les sections football, basket ou encore volley du club, j’étais logé dans un vaste internat. Le règlement y était très strict en semaine mais le week-end, une petite sortie était autorisée. Comme bien l’on pense, j’ai découvert le monde dans ces conditions. Aussi bien sur le terrain que dans la vie, j’avais mon petit succès en raison de la couleur de ma peau. Et j’en ai profité, pourquoi pas? Mais toutes les belles aventures ont une fin, malheureusement. Deux ans après mon départ pour Moscou, mon père fut pris de spleen à son tour et n’eut plus qu’une seule idée en tête: reprendre la direction du Nigeria. Personnellement, je n’aurais pas été opposé à l’idée de rester à Moscou. Mais ma mère, surtout, ne voulait rien entendre. Elle tenait à voir sa famille réunie une fois pour toutes. Et c’est pourquoi, à l’instar de mes parents et de ma soeur, j’ai regagné Benin City ».

Au Japon en spectateur

Au Nigeria, la famille Odemwingie n’allait cependant pas vivre longtemps sous le même toit. A peine arrivé, Peter chercha un club où il pourrait s’illustrer en Première. L’AS Racings de Lagos lui offrit cette opportunité et il vécut dès lors pendant quelques mois dans l’ancienne capitale du Nigeria. Son père, devenu entre-temps médecin de club à Bendel Insurance, l’équipe-phare de Benin City, se chargea d’obtenir à la fois son passage là-bas ainsi que son retour à la maison.

« Bendel Insurance, c’est l’un des grands noms du football nigérian, à l’image de Julius Berger, Iwuanyanwu International ou les BCC Lions », précise-t-il. « Plusieurs joueurs qui se sont illustrés en Europe ces dernières années ont entamé leur carrière là-bas. C’est le cas de l’ex-Anversois Justice Christopher, de l’Ajacide Pius Ikedia ou encore de l’attaquant de Shaktar Donetsk Julius Agahowa, que j’ai d’ailleurs salué en début de saison, au moment où cette équipe donna la réplique au Club Brugeois en préliminaires de la Ligue des Champions. Au départ, j’ai été aligné en formation des Espoirs de Bendel Insurance mais après un an, j’ai effectué le passage chez les seniors. C’était en 2001. Mes débuts en championnat ne passèrent guère inaperçus puisqu’en l’espace de dix matches, je réussis à inscrire neuf buts. En fin de saison, un seul autre débutant avait fait mieux que moi: Rabiu Baita, des Kano Pillars, que je retrouve comme par enchantement à La Louvière aujourd’hui. Nous avions vraiment frappé fort tous deux puisqu’en fin de campagne, au moment où fut déclinée la sélection pour la Coupe du Monde, lui et moi étions les seuls joueurs actifs au pays à avoir joui des faveurs du sélectionneur. Jusqu’à présent, c’est le meilleur souvenir de ma jeune carrière même si, à l’heure d’opérer un choix définitif, j’ai finalement été privé par le staff technique d’une place dans le groupe des 23. Il n’empêche qu’à titre d’encouragement, j’ai été autorisé, tout comme Rabiu Baita, Kanu Junior et Ademola Bankole de vivre l’événement sur place, en Asie. Partager cette expérience avec des monuments comme Jay-Jay Okocha ou Taribo West, c’était extra ».

Héros contre le Standard

Compte tenu de son statut de néo-international chez les Super Eagles, obtenu à l’occasion d’un premier intermède de 15 minutes face au Kenya, en préparation pour le Mondial, précisément, Peter Odemwingie se sentit subitement pousser des ailes l’été passé. Ses managers, le Nigérian Emmanuel Ibru et l’Anglais Bill Jennings, ancien joueur de West Ham United, se mirent donc en quête d’un club pour lui. Et le premier pays qu’ils sondèrent fut la Belgique.

Peter Odemwingie: « A l’occasion des divers camps d’entraînement organisés en prévision de la Coupe du Monde, j’avais eu l’occasion de discuter avec bon nombre de joueurs qui avaient effectué leurs premiers pas en Belgique, comme Sunday Oliseh, Victor Ikpeba, Celestine Babayaro et James Obiorah. Ces deux derniers, notamment, me dirent le plus grand bien du football, dans votre pays, et d’Anderlecht en particulier. J’ai bel et bien transité par le Sporting, en début de saison, où j’ai été longuement testé. Daniel Renders, l’entraîneur des doublures mauves, m’avait manifestement à la bonne. Mais tout le monde, au Parc Astrid, ne partageait hélas pas son avis. C’est à son instigation, finalement, que j’ai été chaudement recommandé à l’une de ses bonnes connaissances: Ariel Jacobs, le coach de La Louvière. Au Tivoli, j’ai réussi à convaincre tout le monde après quelques jours à peine. Il est vrai aussi que le niveau n’y est pas tout à fait comparable à celui des Mauves. Au début, j’ai joué un peu de malchance sous la forme d’une fracture de la mâchoire lors d’une rencontre en Réserve. Cette blessure a lourdement hypothéqué mon premier tour. Depuis lors, j’ai eu l’occasion de me racheter, aussi bien en championnat qu’en Coupe de Belgique grâce à ce but de la qualification pour les demi-finales que j’ai inscrit dernièrement face au Standard. It was great. Mon ambition est de jouer un rôle tout aussi précieux, dans le dernier carré de l’épreuve, face à Lommel. Une finale de Coupe de Belgique comme apothéose de ma première saison en Belgique, ce serait extra. Pour le reste, je veux évidemment contribuer au sauvetage du club en inscrivant encore quelques goals précieux. Ce serait le meilleur moyen, pour moi, d’attirer les regards en sélection où la concurrence est rude, non seulement avec Julius Agahowa mais aussi avec Victor Agali, de Schalke, John Utaka, de Lens, et Iakubu Ayegbeni, qui était le super sub de l’équipe nationale lors de la dernière Coupe d’Afrique des Nations au Mali. La tâche ne sera pas aisée mais je me fais fort d’y parvenir ».

Bruno Govers

Il est allé avec le Nigeria au Mondial mais n’a pas joué

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