L’affaire Stoica

Bruno Govers

Le dossier est beaucoup plus compliqué qu’on le pense.

Quinze jours. C’était le délai demandé par le manager anderlechtois Michel Verschueren, lors du déplacement européen au Sheriff Tiraspol, afin de régler une fois pour toutes le cas- Stoica. Ce laps de temps est, à présent, écoulé, et le dossier concernant le Sportingman n’est toujours pas finalisé. Tout au plus la cheville ouvrière des Mauve et Blanc a-t-elle prévu de se rendre incessamment à Bucarest afin d’y rencontrer Joan Becali, l’agent du joueur. Une première tentative en la matière, pendant la trêve estivale, avait échoué car l’homme de confiance était attendu en Turquie au même moment. Le deuxième essai sera-t-il couronné de succès? L’avenir immédiat nous le dira car, au Parc Astrid, on veut savoir à quoi s’en tenir avec le Roumain au plus vite.

Comment éviter un nouveau cas Dheedene?

Le RSCA a encaissé le joli pactole de 1,1 milliard de nos francs, ces dernières semaines, suite à la vente de Jan Koller, Bart Goor et Tomasz Radzinski, notamment. Ce montant aurait toutefois été plus coquet encore si le club bruxellois avait pu monnayer le talent d’un autre élément incontournable de sa phalange 2000-2001 : Didier Dheedene. Blessé, puis réserviste plus souvent qu’à son tour depuis son arrivée en 1997, l’Anversois ne constituait pas une priorité pour la direction à l’heure de la reconduction des contrats. Mal lui en prit puisqu’il éclata, la saison passée, et que, libre de tout engagement en fin de campagne, il préféra donner une suite favorable à l’offre lucrative de Munich 1860 plutôt que de rempiler. Pour le club, la perte était double : il devait se passer d’un titulaire indiscutable mais, de surcroît, une indemnité de transfert lui filait sous le nez. C’est pour éviter cette mésaventure que les responsables anderlechtois veulent à tout prix solutionner le problème posé par Alin Stoica, dont le bail vient à échéance en juin prochain, au même titre d’ailleurs que celui d’ Oleg Iachtchouk. Avec celui-ci, un terrain d’entente est en passe d’être trouvé. Avec le Roumain, l’affaire est plus complexe.

Comment garder la mainmise sur le joueur?

Le Sporting désire avant tout garder la mainmise sur le joueur. Pour ce faire, il est disposé à lui offrir un engagement de longue durée. Quitte, évidemment, à le revendre dans l’intervalle comme il l’avait fait en ce qui concerne Jan Koller, Bart Goor et Tomasz Radzinski. L’année passée, les dirigeants avaient d’ailleurs formulé cette proposition. Mais ils furent déjà tout heureux qu’Alin Stoica prolonge pour un an. « A l’époque, il avait fallu remuer ciel et terre pour obtenir cette garantie minimum », se souvient Jean Dockx, le conseiller technique du club. « La condition sine qua non qu’il avait fixée, au départ, pour resigner, était une place dans le onze de base. Il voulait, au demeurant, que cette clause soit stipulée dans son contrat. Nous lui avons fait comprendre que cette garantie n’était pas envisageable mais que le départ confirmé d’ Enzo Scifo était susceptible de jouer en sa faveur. Il s’est finalement rallié à notre point de vue et après que Pär Zetterberg nous eut à son tour quittés, je sais qu’il s’est félicité de son choix. Compte tenu de son évolution, je ne pense pas qu’il s’en morde les doigts ».

Stoica est-il pleinement heureux au Sporting?

La réflexion de l’ancien entraîneur du RSCA est, bien sûr, pertinente. Mais, pour autant, Stoica est-il complètement heureux au stade Constant Vanden Stock? La nuance est d’importance, semble-t-il, entre ce qu’il véhicule auprès du grand public et ce qu’il confie en comité restreint. Comme à Ioannis Anastasiou, avec qui il est resté en contact étroit : « Alin ne comprend pas que sa place puisse être mise en doute. Il est parfaitement conscient de sa valeur et peste, en son for intérieur, chaque fois que l’entraîneur le snobe ou le retire du jeu. A ses yeux, le même traitement devrait lui être réservé qu’à Pär Zetterberg, jadis. Le Suédois jouait effectivement toujours, quelles que soient les circonstances. Evoluant dans le même registre que lui, Alin est d’avis qu’il doit être logé strictement à la même enseigne, indépendamment du contexte spécifique des matches. Or, il est loin du compte. Cette incertitude et ce manque de reconnaissance lui pèsent. Il a manifestement de la peine à admettre que lui, le plus doué de la bande, et bien en cour partout en Europe, fasse toujours l’objet de réticences auprès de son entraîneur, AiméAnthuenis, en particulier. Aussi, je me demande dans quelle mesure il s’épanouira complètement à Anderlecht dans les circonstances actuelles ».

Y a-t-il de l’intérêt concret pour lui?

Au Parc Astrid, on jure ses grands dieux que depuis 1996, année de l’affiliation d’Alin Stoica, aucun club ne s’est jamais manifesté de façon tangible pour lui. Et sûrement pas dans un passé récent, hormis la belle publicité que l’intéressé s’est forgée par le biais de la défunte Ligue des Champions. Tout au plus a-t-il été question, à un moment donné, d’une vague sollicitude du Real Madrid pour lui. A son origine, on trouve une vieille gloire des Mauve et Blanc, Juan Lozano, qui, en tant qu’ancien joueur a toujours ses entrées au stade Santiago Bernabeu. « Ayant joué là-bas avec le manager actuel, Jorge Valdano, ainsi que le coach, Vicente Del Bosque, il va de soi que j’ai dû tuyauter mon ex-club, en cours de saison passée, sur les forces et faiblesses du Sporting », souligne l’Andalou. « Dans cet ordre d’idées, le nom du joueur roumain est tombé. J’ai signifié qu’il était, de loin, le plus talentueux, non seulement au RSCA mais aussi en Belgique. Je crois que les Madrilènes ont d’ailleurs pu le vérifier eux-mêmes suite à son but d’anthologie en Espagne. Compte tenu de ses immenses moyens, le Real peut évidemment se permettre de flasher sur un monstre sacré, comme ZinedineZidane, plutôt que sur une étoile montante comme Alin Stoica. D’ailleurs, son ultime expérience avec un jeune a tourné court puisque le coming man yougoslave Perica Ognjenovic n’a jamais confirmé chez les Merengue les extraordinaires qualités qu’il avait étalées à l’Etoile Rouge de Belgrade. Cette aventure-là les avait échaudés. Dès lors, quel pourrait bien être l’apport, à Madrid, d’un joueur certes doué, comme le Roumain mais qui doit encore confirmer? »

Stoica est-il mûr pour un ténor européen?

Tout le monde s’accorde à dire qu’il a le potentiel pour devenir un grand. Mais s’empresse d’ajouter, fréquemment, qu’il est encore loin du compte. « Le jour où il livrera huit parties de bonne facture sur dix au lieu de trois, comme actuellement, il sera un grand », observe Marc Degryse, le capitaine du GBA. Et Dockx partage cet avis : « S’il ne suscite pas plus les convoitises, c’est peut-être en raison de sa propension à choisir ses matches. Un grand club réfléchira à deux fois avant d’embrigader un élément de cette trempe ».

Psychologiquement, un déclic doit encore se produire chez Stoica. Physiquement aussi. Car de tous les Sportingmen, il est de loin le plus tire-au-flanc. Avec lui, c’est quasi toujours la même rengaine. Après la rencontre du week-end, il est le plus souvent aux abonnés absents à l’occasion des séances d’entraînement du début de la semaine. A ce moment-là, il ressent toujours une gêne quelque part : à la cheville, au mollet ou aux adducteurs. Comme par enchantement, le mal se résorbe toutefois très vite et la plupart du temps, le Roumain est déclaré bon pour le service en fonction du match suivant.

« Je pense pourtant qu’il a une toute bonne constitution », observe Paul Carels, le préparateur physique d’Anderlecht. « S’il est velléitaire, c’est peut-être parce qu’il manque de concurrence chez nous. Au contact d’un Luis Figo ou d’un Raul, qui se dépensent sans compter, tant en match qu’à l’entraînement, Alin pourrait peut-être prendre conscience de ce qu’il lui reste à faire. Avec son approche des événements, il est encore loin de ce niveau ».

Un point de vue qui est aussi celui d’ Henri Depireux, ancien meneur de jeu légendaire du Standard et du RWDM : « Je me reconnais d’autant plus en Stoica qu’il a exactement les mêmes tares que moi. J’aurais sans doute pu faire une autre carrière, beaucoup plus prestigieuse, si je m’étais acheté à temps une conduite. Le Roumain est dans le même cas. Tant qu’il n’aura pas conscience que son talent seul ne suffit pas, comme apport au collectif, les plus beaux espoirs ne lui seront pas permis. Avant de rêver d’un club prestigieux, il doit d’abord veiller à être un titulaire indiscutable à Anderlecht. Or, il est toujours loin du compte actuellement ».

Anderlecht peut-il se passer de Stoica?

D’aucuns avaient prédit le pire au Sporting au moment où il allait devoir se passer conjointement de Zetterberg et Scifo, à l’intersaison passée. Ce qui n’a nullement empêché les pensionnaires du Parc Astrid d’empocher un 26e titre et de réaliser un parcours d’anthologie en Ligue des Champions. Comme quoi nul n’est indispensable. Et le Roumain pas davantage qu’un autre, même s’il se révéla d’un concours souvent précieux la saison passée et que son style constitue indéniablement un ravissement pour l’oeil. On peut quand même se demander, compte tenu de la problématique posée par le joueur, si Anderlecht n’aurait pas été plus inspiré en gardant un autre régisseur en réserve de la république, en la personne de Lukas Zelenka, au lieu de le vendre au Sparta Prague.

« La question ne se posait de toute façon pas dans la mesure où la cohabitation entre le jeune Tchèque et l’entraîneur-adjoint, Franky Vercauteren, était vouée à l’échec », dit Dockx. « En réalité, le seul point réellement fondamental lié à l’évolution du dossier Stoica, est de savoir si le Sporting poursuivra la route avec un véritable numéro 10, ce qui induit un problème de déséquilibre sur le flanc droit, où Bertrand Crasson fut souvent abandonné à son sort la saison passée, ou bien si Anderlecht se prononce pour un 4-4-2 en bonne et due forme, sans meneur de jeu attitré, comme il en va à Manchester United par exemple. C’est la seule question qui doit nous préoccuper. Mais elle est évidemment liée à l’avenir du Roumain ».

Bruno Govers

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