L’ADN à toutes les sauces

En ce moment, pour être chébran quand on se pique d’analyse footballistique, il faut absolument faire référence à l’acide désoxyribonucléique, ça devient un tic ! On pourrait pourtant rester simple, parler de tradition, de caractéristique, de marque de fabrique ou d’identité… mais non, faut désormais se la jouer scientifique ! A Monaco, Leonardo Jardim clame : L’offensive, c’est notre ADN. Quand René Weiler coachait dans la choucroute, Nordin Jbari s’horrifiait : L’ADN d’Anderlecht n’existe plus.Zizou évoque son Real Madrid en rappelant que Les grands matches, c’est l’ADN de ce club.Vincent Duluc a évoqué L’ADN de Mousa Dembélé pour expliquer l’élégance de sa conduite de balle. Je viens de lire que Le kick and rush est (encore ? ) l’ADN du foot anglais, et que Sans Thiago Silva et Thiago Motta, le PSG perdait son ADN.Sans oublier ces continuelles références à l’ADN du Standard : mouiller son maillot quand on joue, créer l’Enfer quand on est supporter.

Par le Grand Manitou, y’a d’l’ADN partout ! Benjamin Deceuninck a même écrit que jusqu’ici, culturellement, le foot féminin n’était pas encore dans l’ADN du sport de notre pays ! Hé, Benja, je sais que l’ADN des vieux comme moi risque de dégénérer, ça oui ! Mais parler de mutation génétique, considérer le foot féminin comme agent mutagène du sport belge, c’est pas un peu pousser bobonne footballeuse ? Bref. Je veux bien croire à la génétique en sport vu que la race blanche est moins fortiche que la noire dans bien des domaines de performance physique, mais ça se limite à ce constat basique. En foot, j’ai déjà du mal quand je lis que la  » ginga  » est l’ADN du foot auriverde,… Neymar (peut-être) excepté, les pros brésiliens d’aujourd’hui ont tout oublié de ce jeu de jambes dansant, inspiré par la capoeira ! Et quand Weiler a shooté dans l’ADN mauve en déclarant que l’histoire et la tradition ne marquent pas de but et ne remportent pas de titre, ça m’a plutôt plu !

Attention, tout ça n’est pas grave, c’est plutôt rigolo. Dans le jargon footeux francophone, l’heure est maintenant à l’ADN comme elle le fut au box-to-box y’a pas longtemps, ou au clean-sheet encore plus récemment. Et voici six mois, personne ne causait de remontada ! Il y a là un besoin d’innover, mais qui relève surtout d’un besoin d’être profond, tactique, cérébral, intello, quand on commente un match de football aujourd’hui. Ça fait pas mal de lustres que j’entends causer ballon rond, le jeu n’a guère changé, mais si quelques formules tombent en désuétude, d’autres plus alambiquées n’arrêtent pas d’apparaître. Exemples…

Quand j’étais petit, même les assists n’existaient pas ! On balançait des ballons en profondeur, maintenant on cherche la verticalité. Le faux ailier est en voie de disparition, mais le faux n°9 a tout l’avenir devant lui. Les médians du vieux 4-2-4 jouaient dans le deux, pas ceux du 4-2-3-1. La notion de pressing existe encore, mais défendre vers l’avant est beaucoup plus chébran. On se démarquait tout bêtement jadis : aujourd’hui, savamment, on joue dans les intervalles, on dézone, on maîtrise des lignes de course. Les dribbleurs doivent faire gaffe, ce sont les infiltreurs qui ont le vent en poupe. On cherchait hier à intercepter le ballon, maintenant on bloque les lignes de passes. Naguère on jouait bien, voire divinement bien, aujourd’hui on est bien en place et l’on produit du jeu, on a une philosophie de jeu, y’a même des transmissions qui remplacent les passes ! Les attaquants pèsent moins sur les défenses, mais ils ont de la percussion. Dans le temps, on s’efforçait de construire pour marquer des buts, on élabore à présent des attaques placées.

Je vous en ai gardé une pour la bonne bouche. Si vous êtes supporter, et ricaneur quand un adversaire s’emmêle les pinceaux sans trop regarder le jeu, ne dites plus Ha ! Ha ! Ce con-là ne lève pas la tête ! Dites plutôt Ha ! Ha ! Ce con-là ne prend pas l’information ! Parce que le mot con, lui, a franchi les générations. Et parce que préférer la victoire à l’esthétique… c’est l’ADN du supporter ! Ha ! Ha ! Ha !

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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