L’absolu arc-en-ciel

Dimanche, au Mondial de Copenhague, l’Ardennais peut ajouter un nouvel exploit à sa saison phénoménale.

C hristian Gilbert, le frère de Philippe, a déclaré :  » Cela peut paraître étrange mais nous préférons que Philippe soit sacré champion du monde le plus tard possible car ce titre a toujours constitué sa priorité et sa principale source de motivation.  »

Même si le coureur tente d’éviter toute pression, estimant par exemple que le parcours ne lui convient pas car il est assez plat, il sera ultra-motivé et dans la forme qu’il détient, on ne sait jamais. Depuis ses débuts professionnels en 2003 à Hamilton, à 21 ans, jamais il n’a raté un Mondial. Si Tom Boonen se l’est adjugé en 2005, Gilbert a dû patienter jusqu’en 2007 pour terminer dans le top dix. Puis, alors que l’Ardennais accumulait les succès, Boonen était victime d’une série de scandales et d’accidents.

Seule la victoire compte

Gilbert commence à pédaler dans le club du VC Ourthe Amblève, fondé par son frère Christian et son père Jeannot. En Juniors et en Espoirs, il jette son dévolu sur de petites formations flamandes comme ABX Go Pass, dirigée par Dirk De Wolf. Gilbert estime ne pouvoir progresser qu’en affrontant le redoutable bloc de Domo, composé de Nick Nuyens, Jurgen Van den Broeck et de Johan Vansummeren.

En 2003, à 20 ans, Lotto semble la mieux indiquée pour ses débuts pros mais il signe à la Française des Jeux, pour poursuivre sa formation dans l’anonymat, sous la direction de Marc Madiot, mais aussi parce qu’il ne doit pas y trimer au service d’un leader.  » Je préférerais encore arrêter la compétition qu’être valet. Je me place parfois au service des autres mais il n’est pas question de ravaler mes ambitions toute ma carrière.  » Seule la victoire compte. En 2004, il est deuxième de Paris-Bruxelles et du GP de Wallonie derrière Nick Nuyens. Un autre se serait réjoui. Lui, il pleure.  » Je suis très déçu car j’étais assez fort pour gagner.  »

Les contrecoups ne font qu’aviver le feu sacré qui l’anime.  » Je suis exigeant envers moi-même. Je m’en veux quand j’échoue et je m’entraîne encore plus dur.  » Le cyclisme n’est pas synonyme de sacrifice mais de style de vie. Gamin, il surprenait ses parents en s’entraînant dans les collines enneigées d’Aywaille. Il tient sa mentalité de son père et de sa mère, Anita, tous deux ouvriers à la FN de Herstal. Comme ses frères Christian et Jérôme, il a dû payer son vélo.  » Dans la vie, on n’a rien sans rien « , tel est le crédo des parents Gilbert.

En 2005, Philippe se rend compte que la passion seule ne suffit pas. Il s’adjuge quatre courses au printemps puis se heurte, au Dauphiné Libéré, à des coureurs qui utilisent un autre carburant. Il est frustré et il attend avec inquiétude son premier Tour de France.  » Je vais y souffrir.  » Pourtant, il se distingue, notamment en attaquant avant Paris alors que l’équipe du maillot jaune, Lance Armstrong, roule en tête. Cela ne se fait pas et le Boss le lui signifie quand il le rattrape. Après tout, l’attaque est son style. Il ne se laisse pas marcher sur les pieds : ainsi a-t-il écrit à l’UCI pour fustiger la mauvaise organisation du GP La Marseillaise. Alors qu’il semblait promis à la victoire, on l’a envoyé dans la mauvaise direction.

Gilbert a toujours eu du caractère : à dix ans, quand il jouait au foot, son entraîneur lui reprocha d’avoir délibérément commis une erreur, permettant à l’adversaire de marquer. Jeannot :  » Il n’a rien dit mais quand il a eu le ballon, il s’est retourné et a marqué contre son camp : – Ça je l’ai fait exprès…  »

Charnières

Au Tour 2006, il chute lourdement. Il souffre quand il est lâché à 100 kilomètres de Gap mais il s’accroche et achève l’étape, une demi-heure après le vainqueur. Il atteindra même Paris. Quand on lui demande la performance dont il est le plus fier, le vainqueur du Circuit Het Volk, du GP de Wallonie et de l’EnecoTour n’hésite pas :  » De l’étape de Gap.  » Il reste modeste :  » En principe, je peux gagner toutes les classiques mais je serai heureux de m’en adjuger une ou deux. Comme je vise les grandes courses, je n’en remporterai jamais dix en une saison. « 

Deuxième moment-clef en 2007. Surentraîné, il ne s’adjuge qu’une étape au Tour du Limousin et abandonné, malade, au Tour. Dirk De Wolf lui conseille d’abandonner son grand braquet pour adopter une cadence plus rapide. Il pourra ainsi mieux exploiter son explosivité car il craque toujours dans les derniers kilomètres. En 2008, ce nouveau braquet lui permet de gagner le Circuit Het Volk au terme d’un solo de 50 km puis Paris-Tours. On commence à le comparer à Merckx.

Il prend la décision la plus cruciale de sa carrière fin 2008 : il déménage à Monaco. Ses motifs ne sont pas uniquement financiers : il pourra s’y entraîner en montagne avec des collègues comme Tom Boonen, Stuart O’Grady ou Thor Hushovd. Johan Museeuw le compare à Erik Zabel, qui parcourait 16.000 km chaque hiver, ce qui lui permettait de conserver son niveau toute la saison. Gilbert n’est certainement pas loin de ce kilométrage.

Le plan Gilbert

Madiot ne parvenant pas à former une équipe solide pour les classiques, Gilbert rejoint Silence-Lotto en 2009. Ses premiers mois sont catastrophiques : il ne semble pas jouir de la confiance de l’équipe et doit même, selon des proches, attendre son salaire à plusieurs reprises. Tout change quand il termine troisième du Tour des Flandres. Son équipe adopte le plan Gilbert. Désormais, ses désirs font loi. Il s’adjuge une étape du Giro puis la Coppa Sabatini, Paris-Tours (devant Boonen), le Tour du Piémont et celui de Lombardie.

On connaît la suite : Gilbert devient invincible dans les arrivées en côte et il multiplie les victoires de prestige. Il apprend à rouler plus prudemment pour frapper au bon moment.

JONAS CRETEUR – PHOTO: TIM DE WAELE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire