KNOCKY III

Anthony Knockaert a toutes les caractéristiques du boxeur à l’ancienne : petit, trapu, vif sur ses appuis et plein de folie. Après avoir essuyé plusieurs K.-O., le puncheur de 23 ans entame sa troisième reprise du côté de Sclessin. Histoire de placer quelques crochets.

« De la pression. Une énorme pression sur les jeunes épaules d’Anthony Knockaert. Il est juste à une frappe de ramener Leicester City en Premier League…  » Le commentateur est en transe. Le public du Vicarage Road Stadium à Watford retient son souffle. On joue la 97e minute et le marquoir affiche 2-1 en faveur des locaux. A l’aller, Leicester s’est imposé 1-0.  » Knocky  » n’a plus qu’à transformer un penalty qu’il a lui-même provoqué pour envoyer les siens à Wembley.

S’il marque, il leur offre une finale de play-offs et peut rêver de Premier League la saison prochaine. S’il rate, les deux équipes iront aux prolongations. Celui qui a épaté les vertes pelouses de Championship toute l’année prend ses responsabilités. Un tir placé et c’est la délivrance. Knockaert semble confiant, pose son ballon et regarde l’arbitre dans l’attente de son coup de sifflet. Mais l’impensable se produit.

Son tir, trop centré, est repoussé par Manuel Almunia. Seconde chance et second échec. La défense des Hornets se dégage et Ikechi Anya amorce une contre-attaque éclair dans une ambiance électrique. L’Écossais donne à Fernando Forestieri qui centre. A la retombée, Jonathan Hogg remet à Troy Deeney pour la sentence. 3-1, envahissement de terrain et un retentissement aussi incroyable que malheureux.

Knockaert, toujours planté dans le camp adverse, assiste, mains sur les genoux, au tremblement de terre. Leicester ne jouera pas dans le championnat le plus médiatisé au monde la saison prochaine. Le meilleur jeune de la saison est K.-O., d’un direct dans les gencives. Au bord des larmes, il lui faudra plusieurs jours pour se remettre les idées en place.

Dans les cordes

Si cet uppercut est sans aucun doute le plus violent de sa jeune carrière, ce n’est pas la première fois qu’Anthony Knockaert mord la poussière. Non, car avant de connaître les fastes de la Championship, le natif de Roubaix a galéré. Durement. A 14 ans déjà, le poids plume est poussé une première fois dans les cordes. Jugé trop petit, il n’est pas conservé pas le centre de formation du RC Lens.

Sonné, il hésite à mettre les crampons au placard.  » Quand je suis sorti de Lens, je voulais arrêter le foot « , soupire-t-il au micro de BeIn.  » Je voulais tout arrêter, j’étais assez écoeuré puisqu’ils me disaient que je n’allais pas réussir à cause de ma taille. Ça m’a mis un choc parce que ça faisait cinq ans que j’évoluais là-bas.  » Le fils est à terre, mais il en faut plus pour que le père jette sa serviette.

Né dans une famille de footballeurs, Anthony se construit dans un environnement voué au ballon rond. Jérôme Scache, son éducateur en U18 à Lesquin, se souvient, tout sourire, de la voie toute tracée de  » Knocky « .  » Je jouais avec son frère Pascal à l’ES Wasquehal (club du Nord de la France, à proximité de Lille et Roubaix, ndlr). Anthony avait 5 ans et il était déjà là, à jongler au bord du terrain. C’était un acharné, un vrai mordu de foot. Il n’arrêtait pas !

On s’est tous dit : ‘Lui, ça va être un phénomène‘.  » Alors peu importe le jugement étriqué des éducateurs Sang et Or, la foi paternelle fait tout pour polir le joyau et dessiner les contours de son éclat. Au point de forcer les portes du Royaume, et plus particulièrement celles du Futurosport de Mouscron.

 » Il est arrivé en U15 et a passé une batterie de tests de manière très convaincante « , s’émerveille encore Robert Dardenne, qui s’occupe de son  » petit gaucher  » pendant deux ans à l’Excelsior.  » C’est quelqu’un d’hyper-motivé. Il se plaisait vraiment bien à Mouscron. On avait quatre entraînements par semaine, il n’en manquait pas un, toujours à 200 %. C’était vraiment le battant.  »

Et chaque fois qu’il foule les synthétiques du Futurosport, le clan Knockaert, constitué de son père, sa mère et son frère, n’est jamais bien loin.  » Ils étaient très disponibles pour le garçon. Mais ce n’était pas étouffant, au contraire, c’était très positif pour lui.  » Il faut dire qu’avec la demi-douzaine de kilomètres qui le sépare du cocon familial, le jeune Knockaert joue presque en pantoufles.

Crochet du gauche

Pourtant,  » Antho  » rêve d’exil. Et à force de frapper le cuir comme un forcené, son crochet du gauche finit par retentir jusqu’en outre-Manche. Leeds United, club historique du Nord de l’Angleterre en pleine crise financière en 2008, cherche à miser sur les jeunes pour se refaire la cerise en League One, la troisième division britannique.

Knockaert effectue alors sa première traversée de la Manche pour un essai de quatre jours. Très vite, le gamin de Leers régale au pays du fish & chips. Si bien que son essai est prolongé à un mois, durant lequel il délivre caviars et galettes, et score aussi bien contre Sheffield United que contre… Leicester.

Comblés, les Peacocks veulent le signer. Mais, via la Fédération Française de Football, le RC Lens réclame une indemnité de formation de près de 130.000 euros, à partager avec Lesquin. C’est trop pour Leeds qui lâche l’affaire et c’en est assez pour le Ch’tio qui doit, une nouvelle fois, baisser sa garde devant les Sang et Or.

A l’époque, Knockaert découvre les joies du football amateur à l’US Lesquin, dans la banlieue lilloise, après avoir quitté Mouscron sur un  » malentendu « , selon Dardenne. Le prometteur gaucher fête à peine ses 16 printemps qu’il enchaîne déjà une mi-temps avec les adultes, le samedi soir en CFA 2 (le cinquième échelon français, ndlr), avant de jouer l’intégralité des rencontres en U18 nationaux le lendemain, sous les ordres de Scache.

 » Avec moi, il était libre offensivement. Il apportait quasiment tout. Je lui disais : ‘Tu es libre, tout passe par toi‘. Il marquait beaucoup et a presque apporté le maintien aux deux équipes à lui tout seul.  » Clairement, Knockaert n’a rien à faire là et il le sait. Alors il travaille.  » Il ne lâche jamais rien, aussi bien en match qu’à l’entraînement.  »

Pour Frédéric Duplus, ancien de Zulte qui l’a vu à l’oeuvre à Guingamp,  » Antho, c’est quelqu’un qui, quand il porte le maillot d’une équipe, le porte jusqu’au bout.  » Au point de participer à la refonte du club breton et de planter pas moins de 11 pions lors de son retour en Ligue 2. Et alors que Montpellier, fraîchement Champion de France, vient le chercher, Knockaert n’hésite plus : il se dirige droit vers son rêve anglais. Premier League ou pas.

Ironie du sort, c’est sous les couleurs de Leicester, ce même club qu’il a martyrisé lors de son essai à Leeds, qu’il le réalise.  » C’était dur pour lui au début « , se rappelle Ritchie de Laet, son coéquipier pendant trois ans dans les Midlands.  » Il a fait du mieux qu’il a pu et ça a vite marché. En Championship, les équipes pratiquent beaucoup de kick and rush. Nous, on essayait de jouer dans les pieds et on avait le ballon 70 % du temps, ce qui servait Anthony. C’est pourquoi ses deux premières saisons ont été si réussies.  »

Jeu de jambes

Ses trois premières titularisations sont toutes créditées d’une passe décisive et lors de la quatrième, en octobre 2013 contre Huddersfield, Knockaert plante un doublé. Et pas des moindres : un missile de 35 mètres d’abord, une aile de pigeon dans la surface ensuite.

 » Anthony est un joueur spécial qui peut toujours faire quelque chose de spécial « , prophétise de Laet. Si spécial que les fans des Foxes, qui l’affublent de son surnom  » Knocky « , font très vite résonner le King Power Stadium d’un chant à sa gloire, ainsi qu’à l’attention de leurs dirigeants.

 » Don’t sell Knockaert, Anthony Knockaert. I just don’t think you’ll understand. That if you sell Knockaert, Anthony Knockaert, you’re gonna have a riot on your hands  » (Ne vendez pas Knockaert. Je ne pense pas que vous comprenez que, si vous vendez Anthony Knockaert, vous aurez des émeutes, ndlr).

Posté sur le flanc droit du 4-4-2 de Nigel Pearson, l’ailier de 21 ans se trouve alors sur les tablettes d’Aston Villa, Newcastle et Arsenal. Il a endurci son mètre 72 de 69 kilos de vivacité, de puissance et d’un jeu de jambes rare qui lui permet non seulement de dribbler ses adversaires mais aussi de faire l’élastique sur son côté. Knockaert est en plein boom et doit notamment son succès à Jocelyn Gourvennec, son coach à Guingamp et son  » père dans le football  » comme il le dit lui-même.

 » Illui a appris à faire des efforts défensifs. Ils se sont beaucoup apportés mutuellement. Antho lui a donné des buts et des passes décisives, Gourvennec lui a donné la discipline et la rigueur. Ça lui a fait du bien, il est parti grandi en Angleterre « , philosophe Duplus.  » Le coach a su le canaliser. Mais il le laissait aussi s’éparpiller de temps en temps pour qu’il garde sa folie. Parce que si on lui enlève ça, il n’y a plus rien. D’une manière générale, Anthony doit beaucoup à Guingamp.  »

L’ex-international français a probablement été le catalyseur de forces qui ne demandaient qu’à converger dans la même direction.  » C’était quelqu’un de très déterminé. Je savais très bien qu’il allait réussir. Il avait tout pour « , assure Jérôme Scache.  » La combativité, la solidarité… Il était aussi très à l’écoute, mais il fallait souvent le tenir, il partait à droite, à gauche… Il voulait tout faire tout seul, tout régler lui-même.  »

Une volonté qui peut aussi bien être perçue comme un défaut, puisqu’il arrive parfois que Knockaert parte dans des travers individualistes, que comme une qualité.  » Je me souviens d’un match à Laval. On perdait 1-0 à la mi-temps, Anthony était énervé « , se remémore de nouveau Scache.  » Il a commencé à pousser tout le monde et à gueuler comme un fou. Au final, c’est lui qui a donné le but de la victoire sur une passe décisive. Il est même sorti avec la bouche en sang…  »

Tête brulée

A Mouscron, sa hargne lui avait permis jadis de remporter le championnat de Belgique des moins de 15 ans. Une couronne qui ornait à ravir sa  » tête brulée « , comme le qualifie son autre éducateur de l’époque, Fabrice Lecomte.  » Que le gars en face soit grand ou petit, Anthony n’hésitait pas, il mettait le pied ! Il était très agressif, dans le sens positif du terme, et il n’avait pas non plus sa langue dans sa poche.  »

En Angleterre, c’est la même fougue qui lui a permis de refaire surface après le drame de Watford.  » Tout le monde peut rater un penalty. On a tous soutenu Anthony, il n’y avait pas de problème avec ça. Lui, il a déjà pris la responsabilité de le tirer « , note de Laet.  » Il a su encaisser le choc et revenir encore plus fort.  » Quand sonne le gong un an plus tard, Knockaert a fait fi des You gonna cry in a minute (tu vas pleurer dans une minute, ndlr) des Sang et Or de Watford pour être sacré champion et nominé parmi les meilleurs joueurs de la saison.

Mais alors qu’il sort de deux saisons pleines avec les Foxes, le Français ne dispute que neuf petits matches de Premier League lors du dernier exercice. Si  » Knocky  » est passé aussi vite du statut de chouchou-star à celui de pestiféré, ce serait pour une simple histoire de prolongation de contrat venue tardivement, seulement en novembre 2014.

Peut-être aussi parce qu’il a progressivement été éclipsé par l’international algérien Riyad Mahrez. Mais peu importe la raison, le Standard récupère gratuitement un joueur de talent et toujours plus revanchard depuis l’adolescence.  » La chance d’Antho, c’est d’avoir su transformer sa déception en source de motivation. Il se nourrit de cet esprit de revanche « , souligne Claude Michel, qui l’a encadré en réserve à Guingamp, pour So Foot.

 » Il a une sorte d’aigreur vis-à-vis du système français qui ne l’a pas aidé « , abonde Romain Molina, créateur du site Hat-Trick, spécialisé dans le foot britannique, et auteur de Galère Football Club, au sein duquel Knockaert aurait pu postuler à une place de titulaire. Mais s’il a vu sa chance gâchée à maintes reprises,  » Antho  » n’a pas rendu les armes et Sclessin devrait vite apprécier sa mentalité de gladiateur.

 » Il adore quand le public est chaud, ça le stimule. Il demande souvent des encouragements « , ajoute Molina. Ainsi que ses talents de chanteur…  » Il n’aura pas de mal pour le bizutage parce qu’il chante très bien, aussi bien sous la douche que sur une table « , sourit Duplus. On a hâte de l’entendre quand le Standard sera champion. Par K.-O. évidemment.

PAR NICOLAS TAIANA

 » Si vous vendez Knockaert, vous aurez des émeutes  » Les fans de  » Knocky  » aux dirigeants de Leicester

 » Quand je suis sorti de Lens, je voulais arrêter le foot.  » Anthony Knockaert

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire