» KLOPP, C’EST LA MÊME ÉCOLE ALLEMANDE QUE WILMOTS « 

Avec Liverpool, il est dans le but deux fois par semaine. Chez les Diables, il rejoue après deux ans sur le banc. L’Italie et l’Espagne à Bruxelles, c’est pour lui.

Liverpool fait la gueule. Et pas seulement à cause de ce brouillard qui ne se lèvera pas de la journée ! Liverpool enterre un policier, père de deux très jeunes enfants, renversé par une racaille au volant d’une voiture volée. Cette histoire a ému toute l’Angleterre. On tombe sur le cortège qui traverse la ville. A l’avant, des joueurs de cornemuse. Derrière le corbillard, la famille et les proches, des centaines de cops. Et beaucoup de monde sur les trottoirs.

C’est le sujet de conversation à L’pool ce lundi. L’autre big topic of the day, c’est la victoire des Reds à Chelsea deux jours plus tôt. Pas étonnant que Simon Mignolet ait la banane quand il s’installe pour donner tous les détails de son quotidien anglais et de sa vie de Diable Rouge. On commence logiquement par l’exploit à Stamford Bridge !

C’était le bon moment pour aller là-bas, Chelsea est en pleine crise…

SIMONMIGNOLET : Oui, ils traversent une période difficile, mais Chelsea reste toujours Chelsea. Même quand cette équipe est dans le trou, c’est plein de classe individuelle. Et puis on prend un but après quatre minutes, donc ça part très mal. On revient, on en met un deuxième, puis un troisième… Normalement, tu ne marques jamais trois goals sur leur terrain.

L’effet Jürgen Klopp ?

MIGNOLET : L’effet Klopp, je peux te dire qu’on l’a vu à l’entraînement d’aujourd’hui ! Des gars qui viennent d’aller gagner à Chelsea peuvent avoir tendance à planer, à s’emballer. En arrivant au centre d’entraînement, on ne parlait que de cette victoire, entre joueurs. Klopp, la première chose qu’il nous a dite, c’était : -Bon, qu’est-ce que vous pensez qu’on peut améliorer pour être encore meilleurs dans les prochains matches ? Il est déjà braqué à fond sur les deux rendez-vous qu’on va enchaîner, contre Kazan puis Crystal Palace. Pour lui, Chelsea c’est fini, c’est derrière, c’est oublié.

Qu’est-ce qu’il a déjà changé à Liverpool ?

MIGNOLET : Il a des méthodes plus continentales que l’ancien coach, Brendan Rodgers. Je retrouve des entraînements plus proches de ce que je connaissais en Belgique, du temps de Saint-Trond. Et ça ressemble aux séances de Marc Wilmots, qui a clairement retenu les méthodes allemandes. Le plus frappant, avec Klopp, est la façon de presser haut, de tout faire pour empêcher l’adversaire de développer son jeu. Normalement, quand tu vas à Stamford Bridge, tu restes calme, l’équipe reste groupée, organisée. Mais il nous avait demandé de les mettre sous pression très haut dans leur camp. Ça convient bien aux joueurs de Liverpool, il y a pas mal de gars capables de courir beaucoup et qui veulent toujours attaquer. Ensemble, on a couvert près de 120 kilomètres dans ce match, les joueurs de Chelsea en ont fait une dizaine de moins, ça peut contribuer à expliquer le score.

 » LE PROCHAIN OBJECTIF, C’EST UN TROPHÉE  »

Tu as été élu meilleur joueur de Liverpool de la saison passée. Tu avais déjà fait le même coup à Saint-Trond et à Sunderland…

MIGNOLET(il coupe) :… et je rappelle qu’il y avait eu pas mal de critiques au moment de Noël. J’ai bien répondu, hein ! Si tu arrêtes de progresser, tu régresses. Et j’ai continué ma progression. Je suis ici depuis deux ans et demi, et j’ai appris beaucoup de choses dans tous les domaines de mon métier. Par exemple un aspect du jeu que je ne connaissais pas à Sunderland : devoir faire mon match sur une ou deux interventions. Avec Sunderland, j’avais cinq, six ou sept arrêts à faire dans chaque match. Ici, si j’en ai un seul et si je me loupe…

C’était comment, sur le banc ?…

MIGNOLET : Bizarre quand on n’est pas habitué… Depuis que je suis devenu pro avec Saint-Trond, j’ai presque toujours tout joué. J’avais deux options : rentrer la tête dans les épaules ou me jurer de montrer à l’entraîneur qu’il ne prenait pas la meilleure décision en m’écartant. Je l’ai juré… Après deux semaines, l’autre gardien se blessait et je rentrais dans l’équipe. Après ça, j’ai enchaîné les bons matches, j’ai fait des clean sheets, on a réussi une longue série de matches consécutifs sans perdre, puis il y a eu ce trophée de meilleur joueur de la saison. Je suis très content de la façon dont j’ai réagi…

Gardien de l’Année avant de quitter la Belgique, deux prix de meilleur joueur de ton équipe en Angleterre, mais à 27 ans, tu n’as toujours pas de trophée, tu n’as encore rien gagné avec tes clubs. Tu y penses ?

MIGNOLET : Beaucoup, oui. Je me dis que ça doit être l’étape suivante.

C’est possible de se faire un beau palmarès en restant à Liverpool ?

MIGNOLET : Regarde, j’ai fait deux saisons complètes ici, et trois fois déjà, Liverpool est passé tout près. La première année, on finit vice-champions, à deux points seulement de Manchester City. L’année passée, on arrive en demi-finale de la Cup et de la Coupe de la Ligue.

Mais quand on voit les moyens financiers de clubs comme City, United ou Chelsea, on peut avoir l’impression que ce sera de plus en plus compliqué, ou carrément impossible, pour une équipe comme Liverpool.

MIGNOLET : Je ne suis pas vraiment d’accord. Regarde les investissements récents de Liverpool, ils prouvent que les ambitions de notre direction sont énormes. Christian Benteke a coûté près de 50 millions. Roberto Firmino, à peine moins. Et puis, il y a l’arrivée de Jürgen Klopp. Encore un signal fort. Une façon de dire : -Attention tout le monde, on est là. Je pense vraiment que, dès cette saison, on peut arriver à faire quelque chose.

 » SUAREZ, GERRARD, BENTEKE, STURRIDGE, UN GARDIEN PRÉFÈRE LES AVOIR DANS SON EQUIPE PLUTÔT QU’EN FACE  »

L’année où vous terminez vice-champions, on a l’impression à quelques matches de la fin qu’il ne peut plus rien vous arriver, que le titre est pour vous. Tu es passé près d’une chance unique, non ?

MIGNOLET : Avec le recul, on se dit que notre jeunesse et notre manque d’expérience nous ont coûté cher. Si la même situation se reproduit, on aura tous quelques années de plus et l’expérience de cette fin de championnat ratée. Maintenant, il faut être conscient que la physionomie du championnat d’Angleterre a un peu changé ces derniers temps. Tu dois être sur tes gardes chaque semaine. Quand je suis arrivé, il y avait le Top 4 ou le Top 6, puis les autres. Entre-temps, tout s’est resserré, le niveau des petites et moyennes équipes d’hier a bien augmenté grâce au nouveau contrat télé qui donne énormément de moyens à tout le monde. Il y a cinq ans, si on avait proposé à un Dimitri Payet de quitter Marseille pour West Ham, il serait probablement resté à l’OM où il pouvait espérer jouer le haut du classement et la Ligue des Champions. Même chose pour André Ayew. Au lieu de rester à Marseille, il a accepté un contrat à Swansea. Que ce soit à West Ham, à Swansea, à Aston Villa, à Crystal Palace ou ailleurs, il y a partout beaucoup d’argent pour se renforcer.

Qui sont les attaquants de Premier League qui t’empêchent de dormir ?

MIGNOLET : Oh la la… Pour m’empêcher de dormir, il faut y aller… De toute façon, le gardien qui commence à faire des cauchemars avec des attaquants, il perd 50 % de son potentiel. Maintenant, c’est clair que je préférais avoir Luis Suarez dans mon noyau qu’en face de moi. Même chose pour Steven Gerrard. Aujourd’hui, ça m’arrange très bien que Christian Benteke, Roberto Firmino et Daniel Sturridge soient à Liverpool et pas ailleurs… Même si tu as besoin d’affronter les meilleurs attaquants du monde pour progresser. J’ai joué contre Cristiano Ronaldo en Ligue des Champions. Ces soirs-là, je me suis dit qu’au lieu de stresser, je devais me dire que c’était pour vivre des moments pareils que j’étais footballeur professionnel. Ça te donne de l’expérience, ça t’aide à grandir. Et pouvoir bosser avec des gars comme Romelu Lukaku, Kevin De Bruyne ou Eden Hazard aux entraînements de l’équipe nationale, c’est une chance. C’est le plus haut niveau possible. Même pendant les échauffements d’avant-match, quand je dois stopper leurs tirs, j’ai l’impression de m’améliorer.

Pourquoi ton père était supporter acharné de Liverpool ?

MIGNOLET : Il a craqué pour ce club à l’époque de Kenny Dalglish et Ian Rush, c’est aussi la période où Liverpool a affronté des équipes belges dans des grands matches, dont les finales de Coupe d’Europe contre Bruges. Et puis, il y a les Beatles, c’est aussi une partie de l’explication de son attachement à Liverpool ! Je me souviens que, gamin, je lui avais fait un CD avec les plus grands tubes des Beatles pour son anniversaire. Je peux te dire que le jour où j’ai signé ici, il a fait des bonds.

 » ON NE DONNE PAS NOTRE TERRAIN À L’ADVERSAIRE, ON EST CHEZ NOUS  »

A coup sûr, tu as été impressionné quand tu as fait tes débuts ici ? Le stade, la grandeur du club, la chaleur du public,… Avec le temps, ça passe parce qu’on se fait à tout ?

MIGNOLET : Je suis là depuis deux ans et demi, c’est clair que ça marque moins maintenant. Mais au début, ça a été très fort. Il y a d’abord eu mon tout premier match à Anfield, comme adversaire, avec Sunderland. Un match que je ne vais jamais oublier. Avant de monter sur le terrain pour l’échauffement, mon entraîneur des gardiens me dit : -Le kop de Liverpool va t’applaudir. Surtout, réponds-leur en applaudissant aussi. Si tu ne le fais pas, ils vont te gueuler dessus pendant une heure et demie. Sur le coup, je me demande s’il me fait une blague. J’arrive sur le terrain et, effectivement, ils m’applaudissent. Je réponds. Et ça se passe bien. Heureusement que mon coach m’avait prévenu ! Par exemple, David De Gea avait vécu la même situation la première fois qu’il était venu ici, il avait cru que le kop se foutait de lui et il avait répondu avec un geste ironique. Ce soir-là, ça s’était mal passé pour lui…

Tu sais pourquoi le kop fait ça ?

MIGNOLET : Parce qu’il y a ici un respect particulier pour les gardiens de but.

Quand tout le stade chante You’ll never walk alone, ça te fait encore quelque chose ?

MIGNOLET : La première fois, ça m’a donné la chair de poule. Puis on s’y habitue. En fait, je pense que c’est plus prenant pour les spectateurs que pour les joueurs. Ce chant commence au moment où on monte sur le terrain. On est en pleine concentration, finalement ça passe au second plan, on ne pense plus qu’à notre match à ce moment-là. Mais récemment, j’étais en tribune pour un match de Coupe de la Ligue. Là, j’ai bien écouté et c’était vraiment spécial. Ça te prend les tripes.

Tu frappes aussi la plaque où il est marqué This is Anfield, en quittant le tunnel des vestiaires ?

MIGNOLET : Evidemment, tu dois respecter ça quand tu joues à Liverpool. J’ai un jour demandé qu’on m’explique l’origine. La tradition est née à l’époque de Bill Shankly. Il a frappé cette plaque avant un match et a dit : -Ce terrain est le nôtre, on ne le donne pas à l’adversaire, on est chez nous. Et c’est resté.

Les Anglais nous voient aller loin à l’EURO ?

MIGNOLET : On me demande régulièrement comment il est possible d’avoir une génération pareille. Je réponds que je n’en sais rien ! On me demande si ça s’explique par une amélioration de la formation. Je réponds que non ! Et c’est clair qu’ils sont optimistes pour notre EURO. On me dit que la Belgique doit le gagner, qu’on a des joueurs fantastiques et la première place au ranking FIFA. Tous ceux-là, je les calme… Comme expérience, on n’a quand même qu’un seul tournoi.

 » TITULAIRE QUAND LA BELGIQUE EST DEVENUE N°1, C’EST AMUSANT…  »

Qu’est-ce que tu attends des matches contre l’Italie et l’Espagne ?

MIGNOLET : On doit prouver qu’on est là. La première place de notre groupe, la première place mondiale, le statut de tête de série pour le tirage de l’EURO, c’est très bien. Mais maintenant, on a du très lourd en face.

C’est le genre de match qui vous convient. Les Diables sont bien meilleurs dans des amicaux contre les Pays-Bas ou la France que dans des matches éliminatoires contre Andorre ou Chypre… C’est purement une question de motivation, d’envie ?

MIGNOLET : Il y a une différence entre gagner un match et être bon. On n’a pas été inoubliables contre Andorre et Chypre mais on a pris les points, hein ! Et en éliminatoires, c’est d’abord ça qui compte. Maintenant, c’est sans doute plus facile de produire du bon jeu dans des matches qui ne comptent pas contre les Français et les Hollandais. Ils essaient de construire, donc ils laissent des espaces et ça nous permet aussi de bâtir quelque chose. Ce n’est plus du tout la même chose quand tu as un adversaire moins fort sur le papier qui met deux lignes de quatre en espérant d’abord ne pas prendre de but.

C’est toi qui étais titulaire quand la Belgique est devenue le meilleur pays du monde…

MIGNOLET : Ah oui, c’est amusant… (Il rigole).

Et comme Thibaut Courtois est toujours en pleine rééducation, c’est toi qui vas jouer contre l’Italie et l’Espagne. Finalement, tu as retrouvé le but au meilleur moment possible…

MIGNOLET : Vu comme ça… C’est vrai que j’aurai vécu de l’intérieur l’arrivée à la première place mondiale, la qualification mathématique à Andorre, la grande fête à Bruxelles après le match contre Israël.

Pas une seule minute sur le terrain entre novembre 2013 et octobre de cette année, ça a été dur à vivre ? Dans des moments pareils, tu ne te dis pas que tu aurais plutôt dû être joueur de champ ? Ou naître dix ans plus tôt ? Ou dix ans plus tard ?…

MIGNOLET : Mieux d’être joueur de champ ? Regarde qui on a pour la place en pointe : Romelu Lukaku, Christian Benteke, Divock Origi, Michy Batshuayi ! Et Dries Mertens, il essaie de faire son trou alors qu’on a Eden Hazard et Kevin De Bruyne. On a combien de défenseurs centraux de très haut niveau quand ils sont tous fit ? Combien de médians défensifs ? Je pourrais aussi parler de Jean-François Gillet : autant de grosses saisons en Italie et si peu de temps de jeu avec l’équipe nationale. Koen Casteels montre ce qu’il sait faire en Bundesliga et il n’est même pas dans le noyau des Diables pour le moment.

Tu pars du principe que Thibaut Courtois reprendra la place dès son retour de blessure ?

MIGNOLET : Mon discours reste le même, je continuerai à montrer ce que je sais faire, avec Liverpool et aux entraînements des Diables. C’est le coach qui choisit les 11 joueurs qui commencent le match et les 11 qui le finissent. ?

PAR PIERRE DANVOYE À LIVERPOOL – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Benteke, Firmino et maintenant Klopp. Pour la direction de Liverpool, c’est une façon de dire : -Attention tout le monde, on est là.  » SIMON MIGNOLET

 » Mon père était supporter acharné de Liverpool à cause de Dalglish, de Rush… et des Beatles.  » SIMON MIGNOLET

 » Les Anglais disent qu’on va gagner l’EURO, je dois les calmer.  » SIMON MIGNOLET

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