Kevin De Bruyne a quitté un Wolfsburg acquis à sa cause pour se faire une place dans l’équipe de Yaya Touré. Comme si Terminator débarquait dans un film des frères Dardenne. Un rôle à contre-emploi qu’il joue tellement bien que ses chiffres devraient lui valoir un Oscar.

Il n’aura fallu attendre que deux petites heures. À peine plus de minutes que de millions, finalement. Pour son troisième match en Citizen et sa première titularisation, Kevin De Bruyne trouve déjà le chemin des filets face à West Ham. À l’entrée du rectangle, le Diable s’invente de l’espace entre quatre défenseurs londoniens pour claquer une frappe sèche au fond des filets sur une passe de SergioAgüero.

Et fait déjà ce pourquoi Manchester City a déposé 74 millions sur la table : être décisif.  » Nous avons acheté Kevin parce que nous savions qu’il était capable de marquer ou de faire marquer « , détaille un Manuel Pellegrini désireux de doper le rendement du trident de son 4-2-3-1.

La saison précédente, les douze buts de David Silva n’avaient pas suffi à masquer les errements de Jesus Navas, Samir Nasri ou James Milner dans la zone de vérité. Avec 19 réalisations à eux quatre, ils n’avaient inscrit que 22 % des buts des Sky Blues en Premier League. Du côté de Chelsea, le titre a été conquis grâce aux EdenHazard, Oscar, Willian ou AndreasSchürrle, auteurs de 34 % des buts londoniens.

L’alléchante feuille de stats de KDB, impliqué à lui seul dans 30 des 72 roses plantées par Wolfsburg en Bundesliga la saison dernière (42 % !), ne pouvait donc qu’attirer l’oeil chiffré des têtes pensantes de l’Etihad Stadium.

Faire venir De Bruyne à City, c’était l’assurance d’une multiplication des occasions de but, avec un rendement rendu immédiat par le fait que le Belge se classe dans la catégorie des match-winners, ces joueurs capables de changer le cours d’une rencontre sans pour autant être mis dans des conditions optimales par des mécanismes de jeu spécifiques.

 » La façon dont se déroule le match n’a pas vraiment d’influence sur lui « , expliquait d’ailleurs Vincent Kompany lors de l’arrivée de son compatriote à Manchester.  » Il fait toujours des actions décisives, c’est ce qui fait qu’il a quelque chose de spécial. C’est un game-changer.  »

De Bruyne crée des buts à partir de rien. Et dans une équipe qui accumule les talents offensifs sans franchement veiller à leur complémentarité, c’est terriblement précieux.

Cette absence de contraintes structurelles dans le jeu des Citizens a sans doute permis au Diable rouge de s’adapter facilement à son nouvel environnement. La seule différence, finalement, réside dans son statut au sein du onze. Parce qu’à Wolfsburg, tout était organisé autour des pieds de Kevin.

 » L’équipe a une grande confiance en lui, c’est un point important pour lui « , racontait encore Naldo en début de saison.  » Il peut presque faire tout ce qu’il veut sur le terrain. Il a toute la liberté.  »

Une liberté devenue surveillée à l’Etihad Stadium, où le système de jeu est organisé autour d’une colonne vertébrale offensive qui va de Yaya Touré à Agüero en passant par David Silva. Généralement cantonné sur le côté droit, De Bruyne bénéficie tout de même du droit de plonger vers l’axe pour permuter avec le meneur de jeu espagnol dès que l’occasion se présente.

DES STATS IDENTIQUES D’UNE COMPÈTE À L’AUTRE

Ses chiffres ne sont, d’ailleurs, pas bien différents de ceux qu’il livrait en Allemagne l’an dernier : KDB fait 47,6 passes par match chez les Sky Blues, contre 44,7 à Wolfsburg. 76,6 % de ces passes sont réussies (74,5 % en Bundesliga), et le Belge crée 3,4 occasions par match, soit un rien plus que lors de sa saison folle chez les Loups (3,3).

Le système et les hommes ont changé, mais le principe fondateur du jeu de Kevin reste le même : jouer au point de rupture pour attaquer la profondeur à la moindre occasion, et tenter d’être décisif à chacune de ses prises de balle. Les caractéristiques d’un attaquant, pour celui qui jouait d’ailleurs en 9,5 en tournant autour de Bas Dost la saison dernière.

On parle ici d’une évolution étrange. Celle d’un joueur qui aimait tellement toucher le ballon partout et tout le temps qu’Hein Vanhaezebrouck l’imagine toujours s’installer un jour devant la défense des Diables rouges pour prendre le crayon rigoureux de l’architecte du jeu national.

De Bruyne a gommé cette gloutonnerie pour devenir plus efficace, et concentrer l’essentiel de son activité dans la zone de vérité. À Manchester City, seuls Agüero et Raheem Sterling touchent moins souvent le ballon que lui dans le onze de base. En ce sens, De Bruyne est plus un attaquant qu’un milieu offensif : il passe l’essentiel de son temps  » devant le ballon « , et s’éloigne plus souvent du porteur qu’il ne s’en rapproche.

Ses démarquages se font en étirant les lignes pour ensuite trouver de l’espace dans les intervalles, ou en faisant mine de décrocher pour perturber le latéral adverse et attaquer la profondeur dans la foulée. Cette dernière action était l’une de ses favorites la saison dernière, et se concluait souvent par un centre chirurgical adressé à un Bas Dost qui n’avait plus qu’à conclure.

 » Kevin possède un sens inouï des brèches « , précisait Dieter Hecking, le coach de Wolfsburg, la saison dernière.  » Il a l’art d’être partout en même temps et de se faire oublier pour jaillir au bon moment.  » Une phrase qui semble écrite pour parler de Pippo Inzaghi, mais qui est bel et bien utilisée pour vanter les qualités du Belge.  » C’est un joueur qui court sur toute la largeur du terrain, parce qu’il cherche les espaces.  »

Comme un attaquant, De Bruyne ne calcule pas. Avec ses 76,6 % de passes réussies, il est le joueur de champ le moins  » propre  » de Manchester City, loin devant ses compères offensifs qui oscillent entre 85 (Sterling) et 89,4 % (Agüero). Une passe manquée sur quatre, c’est un chiffre qu’il partage avec les RomeluLukaku, GonzaloHiguain ou Diego Costa.

Tout simplement parce que dans son esprit, chacune de ses prises de balle doit déboucher sur une occasion de but.  » Il est moins percutant qu’Eden, mais il cherche toujours la passe parfaite « , a dit un jour de lui Axel Witsel. Et souvent, il la trouve.

C’est là que Kevin De Bruyne cesse d’être un joueur comme les autres. Parce que comme le disait Bas Dost,  » De Bruyne voit tout. Il sait exactement vers quel endroit je vais courir et a l’art de m’adresser des passes précises.  » Dans une zone de sprinters, il parvient à conserver une lucidité hors du commun pour adresser des ballons millimétrés.

PLUS IL FAUT COURIR, PLUS IL EST FORT

S’il était chirurgien, KDB serait capable d’opérer une boîte crânienne en faisant du cardio sur un tapis roulant. Depuis son arrivée à Manchester City, malgré un poste où les appels sont plus nombreux que les passes, le Diable a créé 91 occasions de but toutes compétitions confondues.

Dans un registre différent de ce qu’il faisait à Wolfsburg, vu son positionnement : 29 % de ses  » passes de but  » sont des centres, là où ce chiffre culminait à 21 % lors de sa période allemande.

Une efficacité que Kevin maintient malgré le poids du chronomètre. Car outre des pieds hors-catégorie, De Bruyne peut compter sur une capacité pulmonaire pratiquement irréelle. Comme si lui, l’homme des Flandres, était capable de gravir dix fois le Koppenberg sur le grand plateau au cours d’une rencontre, là où son adversaire direct doit souvent descendre de sa selle et finir l’ascension à pied une fois franchie l’heure de jeu.

Plus il faut courir, plus il est fort. Face aux États-Unis, dans le match le plus époumonant de la dernière Coupe du Monde, il avait créé dix occasions de but et pris sa chance à six reprises. De Bruyne est un marteau-piqueur.

Il frappe inlassablement, avec un rythme trop élevé pour être humain. Un rythme auquel aucune défense ne peut résister sans finir par ouvrir des brèches.

Certains lui reprochent parfois son manque d’activité défensive, mais un regard affûté sur son jeu montre qu’il ne profite pas de ces moments sans le ballon pour se reposer : KDB est en mouvement permanent, parce qu’il pense déjà à l’endroit où il devra se trouver pour offrir une solution à ses équipiers dès que le ballon sera récupéré.

 » Il a toujours des idées et propose sans cesse des solutions « , affirmait Klaus Allofs, son véritable mentor en Allemagne.

Avec dix buts et douze passes décisives en 26 rencontres depuis son arrivée de l’autre côté de la Manche, De Bruyne réalise une véritable prouesse : celle de briller par les chiffres dans une équipe pourtant loin d’exploiter son potentiel au maximum. Parce que Kevin est un joueur vertical dans une équipe au jeu suave.

Les passes ouatées de David Silva contrastent furieusement avec la conduite de balle du Belge, qui semble parfois batailler avec le ballon comme s’il n’avançait pas assez vite à son goût.

 » Silva et moi jouons à la même position, mais nous sommes très différents « , explique d’ailleurs De Bruyne.  » Je suis plus direct que lui, alors qu’il peut garder la balle un peu plus que moi.  »

Souvent, le même schéma se répète : les appels d’un KDB toujours bien démarqués restent sans réponse. Ils ouvrent seulement des espaces propices aux échanges de passes entre David Silva, qui décroche dans la zone laissée vacante par le Belge, et Yaya Touré qui aime que le jeu n’avance pas trop vite pour pouvoir approcher du rectangle sans augmenter démesurément ses pulsations cardiaques.

CRÉER OU MARQUER

Là où Wolfsburg était l’équipe de Kevin De Bruyne, Manchester City reste celle de l’Ivoirien. Et le jeu des Citizens est à l’image de celui de Yaya : stylisé mais nonchalant, irrégulier mais capable de basculer au moindre moment de génie.

Un football parfois lymphatique qui fait écho à l’idéal footballistique de Manuel Pellegrini, qui reste dans les mémoires comme l’homme qui a su dessiner son Villarreal autour du génie d’un Juan Roman Riquelme qui semblait toujours en promenade dans un football moderne qui frôle parfois l’excès de vitesse.

 » Je dis toujours à mes joueurs : celui qui a le ballon doit aller lentement, pour avoir le temps de penser. Et les autres doivent être rapides « , explique le coach chilien dans Palabra de entrenador.  » Si celui qui conduit la balle va à 100 à l’heure, il n’a pas le temps de développer sa technique. Et si les autres ne sont pas rapides, ils ne peuvent pas donner d’alternatives.  »

Pellegrini classe souvent De Bruyne dans la catégorie de ceux qui n’ont pas la balle. Au point de l’installer en numéro 9 face à Séville en Ligue des Champions.  » Quand le coach décide de vous mettre là, vous n’avez que deux choses à faire : créer ou marquer.  » Et ça tombe bien, c’est ce que Kevin fait de mieux. Il a marqué, évidemment. Quand Kompany vous disait que c’était un game-changer.

Malgré un second rôle dans l’équilibre offensif des Citizens, malgré une équipe qui n’a aucun organisateur de jeu dans son onze de base, le Diable continue à créer du danger sans que rien ne soit fait pour l’y aider. Avec ses 22 actions décisives depuis son arrivée, il fait aussi bien qu’Agüero (12) et Silva (10) réunis, même si les deux hispanophones ont été freinés par les blessures.

L’avion belge a décollé de Wolfsburg pour se poser dans un football tellement improvisé et joué  » au talent  » que la piste n’était pas éclairée. Mais l’atterrissage a été réussi, évidemment. Car De Bruyne n’est jamais aussi fort que quand son coeur bat au rythme d’un marteau-piqueur.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTO BELGAIMAGE

 » Il fait toujours des actions décisives. C’est un game-changer.  » VINCENT KOMPANY

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