King Kenny

Symbole des Reds, le manager écossais a sorti son club des bas-fonds de la Premier League. Retour sur l’incroyable épopée d’un des héros d’Anfield.

Depuis début janvier Kenny Dalglish est manager de Liverpool, où il assure l’intérim de Roy Hodgson, limogé. L’Ecossais de 59 ans a banni la froideur à Melwood, le complexe d’entraînement des Reds. On n’y entendait aucun éclat de rire sous la férule du coach anglais, mais le vestiaire a désormais retrouvé son ambiance et pour beaucoup, Dalglish est celui qui est capable de ramener un nouveau trophée à Liverpool.

La bonne intuition

Retour dans le temps. Août 1966. Dalglish est un prometteur talent de Glasgow invité à effectuer un test à Liverpool.  » Le manager Bill Shankly m’a accueilli en personne « , raconte-t-il. Agé de quinze ans, Dalglish n’est pas encore un attaquant mais un arrière droit très engagé, courageux dans les duels, capable de jouer des deux pieds et doté d’une belle vista. Mais le transfert ne se fait pas. Son père Bill le trouve trop jeune et Kenny préfère aussi rester à Glasgow. Son c£ur se fend à l’idée de rater les matches des Glasgow Rangers :  » Enfiler le maillot des Rangers était mon rêve de gosse. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi ce club ne s’est jamais intéressé à moi.  »

Jock Stein, le manager du Celtic, saisit sa chance en mai 1967. Dalglish se lie aux Bhoys. Il est fermement décidé à devenir footballeur pro et sent que Stein peut l’y aider. Son intuition ne l’a pas trompé.  » Sans Stein, je ne serais jamais devenu un aussi grand footballeur « , a déclaré Dalglish un jour.  » Il était un des meilleurs entraîneurs, un visionnaire. Stein m’a transformé en attaquant tout en m’apprenant à jouer dans l’entrejeu. Je lui dois beaucoup.  » Son aptitude à anticiper et à évoluer en pointe comme en décrochage feront de lui une sensation.

Au Celtic, une puissance du foot européen, le jeune footballeur émerge progressivement et marque les yeux fermés. Durant la saison 1972-1973, Dalglish inscrit 41 buts en 53 matches pour le Celtic. International écossais, il devient le meilleur attaquant de sa génération.  » En 1975 et en 1976, j’avais vraiment envie de rejoindre Liverpool « , se souvient-il.  » Mais à deux reprises, Stein m’a convaincu de rester. Un an plus tard, cependant, le Celtic ne pouvait plus me retenir. « 

En 1977, Liverpool est le meilleur club d’Europe. Il vient de conquérir la C1. Le manager Bob Paisley, ancien adjoint de Shankly, succède à celui-ci. Il sait tout de Dalglish. Il enrôle l’étoile écossaise pour remplacer Kevin Keegan, transféré au Hamburger SV. A l’entraînement, Dalglish s’initie aux secrets de ce football chatoyant. Dans les années 70, Liverpool est une machine, efficace mais aussi belle à voir grâce à ses combinaisons.

Tout tourne autour d’un principe, le pass and move. Il faut être constamment en mouvement et céder le ballon aux autres à la bonne vitesse. C’est la clef du succès. Un football à la précision d’une montre. Celui qui observe une pause de quelques secondes s’attire les foudres de Joe Fagan ou de Ronnie Moran, les adjoints de Paisley. Les jeux de position, à cinq contre cinq, permettent de bien assimiler les schémas de match. Ce que Shankley a imaginé a été perfectionné par Paisley et est taillé sur mesure pour Dalglish.

Son succès à Liverpool se passe de commentaires : 172 buts en 515 matches. Avec le longiligne défenseur Alan Hansen et le médian Graeme Souness, Dalglish est un pilier de l’équipe.

Joueur-entraîneur après le drame du Heysel

Paisley quitte Anfield en 1983. Son adjoint, Fagan, est avancé comme successeur. Il semble être le gardien idéal de ce beau jeu. Sur le terrain, Dalglish et Liverpool restent omnipuissants. L’Ecossais forme un duo parfait avec le buteur gallois Ian Rush. Les deux hommes se trouvent les yeux fermés. En 1983-1984, Rush inscrit 47 buts en 65 matches pour les Reds, la plupart sur passe de son équipier.

Dalglish conquiert sa troisième C1 à Rome au terme d’un dur combat contre l’AS Rome. Après 120 minutes, le score est toujours de 1-1 mais Liverpool s’impose aux tirs au but. L’hégémonie de Liverpool en Europe s’achève sur un choc. Le 29 mai 1985, les Reds sont à nouveau en finale de la C1, cette fois contre la Juventus. La rencontre se déroule au Heysel et c’est le drame. Un an plus tôt, Anglais et Italiens se sont battus à Rome et les deux clans rêvent de vengeance. Les suites sont terribles : un mur s’effondre et 39 personnes, essentiellement des supporters italiens, décèdent. Pour éviter que le drame ne prenne encore plus d’ampleur, l’UEFA décide de quand même faire jouer le match, que Dalglish perd 1-0.  » J’étais apathique sur le terrain « , témoigne-t-il.  » Le penalty de Michel Platini était une farce car la faute avait été commise loin du rectangle mais je n’étais plus en état de m’énerver.  »

Les adieux de Fagan sont dramatiques. Le manager a annoncé la nouvelle avant le match, ne se sentant pas heureux dans son rôle, malgré ses succès. Fagan déteste être l’objet de toute l’attention, il ne supporte pas la pression ni les incessantes demandes d’interviews. Le drame du Heysel accélère son départ. Liverpool doit présenter un successeur plus vite que prévu : l’annonce est une surprise pour tout le football anglais, y compris pour les joueurs de Liverpool. A l’exception de deux d’entre eux.  » Mon ami Hansen était au courant « , explique Dalglish.  » C’était moi, le nouveau manager de Liverpool. Quelques mois plus tôt, perplexe, j’avais reçu cette offre de la direction, qui voyait en moi le meilleur successeur possible de Fagan. C’était un immense honneur. Je me destinais depuis longtemps à la carrière d’entraîneur. Le seul problème, c’est que je ne voulais pas arrêter de jouer. Je n’avais que 34 ans et j’appréciais encore le jeu. Le directeur, Peter Robinson, m’a proposé une issue : je pouvais devenir joueur/entraîneur.  »

Le génial footballeur qui avait comblé le kop durant ses années de gloire poursuit sur sa lancée comme manager. Dalglish possède un sens inné de l’organisation, il a le respect du noyau, qu’il domine. Son travail produit des résultats fantastiques. Liverpool reste un régal pour l’£il et en mai 1986, il est opposé à Everton, son voisin, pour les deux principaux trophées anglais. Dalglish offre la Cup et le titre à Liverpool au détriment des Toffees.

Le joueur/entraîneur est au faîte de la gloire, il est King Kenny, le héros des supporters.

Le drame d’Hillsborough entraîne sa démission

C’est Everton qui inflige à Liverpool sa première défaite de la saison, le 20 mars 1988 (0-1). Tout puissant, Liverpool célèbre son 17e titre national, avec neuf points d’avance sur Manchester United. La finale de la Cup gagne encore en intensité. Le petit Wimbledon fait sensation en battant Liverpool 1-0. Dalglish ne joue presque plus et il commence à céder à la pression. Le 15 avril 1989, sa vie change brutalement de cours. Liverpool affronte Nottingham Forest au stade Hillsborough de Sheffield, en demi-finales de la Cup. De nos jours encore, Dalglish a du mal à prononcer ce nom. L’afflux des supporters de Liverpool dans la tribune côté Leppings Lane est tel qu’ils arrivent en retard dans le stade. Des travaux ont encore ralenti leur progression mais le coup d’envoi n’est pas reporté. Débordée par cette masse, la police ouvre une volée de portes treize minutes avant le début du match, sans songer aux conséquences. Pour ne pas rater une seconde du duel, des milliers de personnes se ruent vers la partie médiane de la tribune, qui est déjà comble. Mises à mal, les grilles cèdent et 95 supporters perdent la vie. L’arbitre Ray Lewis arrête le match après six minutes de jeu.

Dalglish est profondément choqué. Il ne parvient pas à surmonter ce drame. Comment d’ailleurs vivre le deuil d’enfants ? Des familles entières de Liverpool ont été décimées. Dalglish soulève l’admiration par son comportement durant le processus de deuil. Il tient des discours et assiste aux enterrements. Sans beaucoup d’émotion. L’Ecossais intériorise tout :  » Puis, en automne 1989, j’ai été couvert de taches rouges. Ma gorge me serrait constamment.  » L’homme s’est vraiment déconnecté de toute émotion, comme on le remarque de plus en plus en automne 1990. Il est raide sur le banc, figé comme une pierre, même quand un match est palpitant. Cela ne peut plus durer. Le 22 février 1991, Dalglish remet sa démission.

 » J’étais victime d’un effondrement nerveux « , a-t-il récemment confié.  » Pour préserver ma santé, je devais raccrocher. J’ai décidé de me retirer du milieu du football pour me rétablir.  » Son adjoint Ronnie Moran a repris le flambeau jusqu’au terme de la saison. Liverpool avait perdu son roi.

Ce n’est qu’en août 2009, après des détours aux Blackburn Rovers, à Newcastle United et au Celtic Glasgow que la légende vivante de Liverpool revient chez lui, grâce à l’Espagnol Rafael Benitez. Le manager nomme Dalglish représentant de l’académie des jeunes et le charge de missions de scouting. C’est ainsi que début 2010, Dalglish rentre un rapport positif sur Luis Suarez, qui joue alors à l’Ajax. Vingt ans après son brusque départ, il réendosse le rôle de manager et entraîne l’Uruguayen. Il espère de tout c£ur que sa tâche ne s’arrêtera pas dans quelques mois.

PAR MARTIJN HORN (ESM)

 » Pour préserver ma santé, j’ai été contraint de raccrocher. « 

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