Kevin Mirallas veut qu’on parle de PLAISIR

 » Moussa et moi avons joué en pointe chez les Diables après avoir été équipiers chez les jeunes. Même si l’efficacité est importante, nous pratiquons un beau football pour ne pas quitter le terrain frustrés. C’est le plaisir de jouer qui nous a toujours inspirés « .

Deux jours avant le match de Coupe UEFA contre les Grecs de Larissa (remporté 1-0 grâce à un but de Dembélé), l’AZ s’entraîne sur le terrain aménagé entre la nouvelle gare et la voie rapide. Pas trace de Louis van Gaal. Le coach, victime d’une double fracture tibia/péroné, suit aujourd’hui la séance depuis la brasserie, en chaise roulante. A-t-il remarqué qu’aujourd’hui, Moussa Dembélé ne porte pas de chaussures rouges mais des blanches ?

Combien de paires de chaussures avez-vous ?

Moussa Dembélé (surpris) : Deux. Avant, j’en usais une ou deux par an. Maintenant, plus de dix. C’est devenu plus important. J’ai toujours eu de belles chaussures simples, généralement noires. Nike me fait désormais porter ses nouveaux modèles. Je suis plus soucieux de la mode, de ce qui va avec mon équipement. Les rouges s’harmonisent à la tenue de l’AZ. J’aime que tout soit dans la même gamme. Nous avons aussi un ensemble bleu. Il ne va pas avec les chaussures rouges. J’ai alors enfilé des blanches, pour la première fois.

Comment appelez-vous Louis van Gaal ? Louis, trainer, Mijnheer van Gaal ?

Simplement -Hey, Louis !(il rit) Non : – Trainer. Comme partout, je pense.

Il est un des meilleurs d’Europe. Vous avez 20 ans mais travaillez avec lui pour la deuxième saison de suite. Etes-vous impressionné ?

. Il m’a beaucoup appris. Je ne me lasse pas. Il est tellement motivé, pointu dans ses analyses. Je suis heureux de travailler avec lui.

Son palmarès et sa réputation vous impressionnent-ils aussi ?

Au début oui, mais c’est un homme comme les autres. Je me sens bien, décontracté, pas du tout nerveux. Je comprends que ce soit différent pour d’autres mais je le côtoie tous les jours. Je respecte tout le monde mais je suis rarement très impressionné. Parfois, certains joueurs disent : -Wouah, on joue contre celui-là ! Surtout avant, en équipes d’âge, contre Anderlecht, par exemple. Moi, je me disais plutôt : -Nous sommes aussi bons. Voire meilleurs.

D’où tenez-vous ça ?

Tout mon entourage l’a. C’est lié à l’éducation, aux amis. Nous ne nous retournons pas vite sur quelqu’un. Il faut avoir de l’assurance.

Certains footballeurs pensent avant un match à qui ils vont ensuite demander leur maillot. Pas vous, apparemment ?

Non. Quand nous avons joué contre Séville, je souhaitais quand même le maillot de Kanouté car il est métis, comme moi – mi-français, mi-malien alors que je suis mi-belge, mi-malien. Mais il n’a pas joué et il a disparu tout de suite après le match.

Fan de Kluivert

Aviez-vous des idoles, gamin ?

Patrick Kluivert. J’avais un peu le même style de jeu : avant-centre, capable de conserver le ballon. Lui aussi est métis. Une idole constitue un ensemble. On cherche quelqu’un auquel s’identifier. Les gens répétaient que mon style de jeu était comparable au sien. J’ai donc commencé à lui prêter attention et à l’admirer. En plus, il jouait dans des clubs que je trouvais chouettes : l’AC Milan, Barcelone, Valence, qui est mon club préféré. J’habite maintenant Amsterdam, la ville dont il est originaire, même si c’est un hasard.

Pourquoi Valence ?

Kluivert en vient, comme Momo Sissoko, encore un Franco-Malien, qui était entre Auxerre et Liverpool. Je suis attentif aux origines des gens. Le stade, la tenue de Valence sont belles, comme la présence des joueurs. Voir cette équipe me fait chaud au c£ur, elle développe un beau football. J’aime tout en Valence. Le championnat espagnol est toujours plaisant.

Jusqu’où allait votre admiration pour Kluivert ?

J’avais des posters de lui mais vouloir tout d’une personne n’est pas mon genre. C’était un sentiment. J’observais ses faits et gestes et dès qu’on citait son nom, je voulais savoir tout ce qui le concernait. Adriano était aussi chouette mais sans être une véritable idole.

Qui vous a appris le plus ?

Shota Arveladze, un avant aussi. Il m’a surtout appris à me démarquer, à lâcher un défenseur. Je l’ai observé et j’ai écouté ses conseils.

Les enfants portent fréquemment des maillots de foot : sur le terrain mais aussi à l’école, en rue. Quel nom arboriez-vous ? Celui de Kluivert ?

Possible mais je ne m’en souviens pas. J’avais un maillot de Milan. Peut-être avec son nom mais j’ai mauvaise mémoire. Mes parents me demandent toujours : -Tu ne te souviens pas de ça ? Eh non… Pour moi, dix ans, c’est long.

Amoureux de Moussa

Vous voilà devenu une idole. Le remarquez-vous ?

C’est très étrange. Je joue en équipe nationale, ça, je le réalise. Des enfants me demandent des autographes et je sais que quelques supporters de l’AZ portent mon maillot, ont ma photo et me suivent fréquemment. Je ne comprends pas que je sois leur idole. Au stade, il y a trois banderoles à mon nom, donc ça commence. Cela me fait plaisir. J’essaie de consacrer un peu de mon temps aux supporters. La semaine dernière, nous avons eu un entretien avec quelques filles qui me supportent.

Voilà une conséquence agréable : les filles sont amoureuses de vous…

(il rit) Bah… C’est un phénomène normal. Enfin, c’est vrai qu’être footballeur vous confère d’un coup beaucoup plus de charme.

Recevez-vous des mails de fans ?

Non. Il y a beaucoup de sites aux Pays-Bas. J’y lis régulièrement des messages du style : -Bon match.

Des réactions de jalousie aussi ?

Je ne le remarque pas vraiment.

Est-il difficile de rester les pieds sur terre quand on est jeune ?

L’essentiel est d’être bien entouré, par sa famille, ses amis, ses collègues aussi. J’ai un entourage fantastique. Mes parents, ma s£ur, mon frère, mes amis : tous sont très réalistes et au club, tout le monde est sympa. Dans ces conditions, je ne vais pas planer rapidement. Si j’exagérais, ma famille et mes amis me rappelleraient à l’ordre. Jusqu’à présent, ça n’a pas été nécessaire. J’en suis heureux. Je ne pense pas que je changerai de comportement.

Vous êtes africain mais du sang occidental coule dans vos veines. Votre décontraction vient-elle de ce mélange de cultures ?

Je ne pense pas. Je connais autant de Belges que d’étrangers qui sont dédaigneux. Par contre, je ressens ce mélange. Si je suis cool, c’est peut-être grâce à mes origines africaines. Globalement, les Africains sont plus relax. Je me sens à la fois belge et malien. Je suis pénétré des deux cultures et c’est bien ainsi : chacune a ses plus et ses moins. Je suis allé au Mali à cinq reprises. C’est un pays pauvre mais convivial. Mon père l’a quitté à la mort de ses parents. Il cherchait de nouveaux horizons. Il est arrivé à Paris, chez des proches, puis en Belgique.

Vous avez parfois l’air mou, fainéant, dit-on.

Je ne suis certainement pas fainéant. On me le reprochait parfois avant mais c’est inhérent à mon style. Pourtant, je travaille dur, je participe toujours à la récupération. Marc Noë, mon coach au Germinal Beerschot, m’a appris à travailler. Jusque-là, je me consacrais à la seule offensive. J’essaie de me battre pour le ballon. J’ai lutté contre la rétrogradation avec Willem II et cette épreuve m’a fait du bien.

Relax avant le match

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent embrasser la carrière de footballeur ?

Ce que j’ai toujours fait : rester eux-mêmes. Le plaisir est l’essentiel. J’ai vu trop de garçons mis sous pression par leurs parents alors que je m’amusais. Je demandais à ma mère de venir me rechercher le plus tard possible à la garde de l’école. Comme ça, je pouvais jouer au football. Souvent, je me levais à six heures du matin pour aller jouer en bas, quand tout le monde dormait. J’ai longtemps joué en rue, aussi. Vraiment, l’essentiel est de jouer par plaisir. Second conseil : avoir une bonne mentalité. Chacun traverse de mauvaises périodes. On pense que l’entraîneur ne nous aime pas, etc. Il ne faut pas abandonner dans ces moments-là mais regarder le plaisir qu’on éprouve.

Votre coéquipier Maarten Martens affirme que vous appréhendez toujours le football comme en catégories d’âge ?

Je m’amuse, je suis heureux de me rendre à l’entraînement, jour après jour. Maarten est pareil. Pour être franc, quand je ne joue pas, je ne m’intéresse guère au football. Je ne suis pas beaucoup de matches à la télévision. Dès que je suis sur le terrain, je veux le ballon. Une carrière est courte. Il faut l’exploiter. Ce n’est possible qu’en aimant ce qu’on fait.

A ce niveau, n’est-ce pas du travail ?

Il m’arrive de penser que j’aurais aimé faire ça ou ça mais l’AZ est le club idéal. Nous faisons tout ce que j’aime. D’autres doivent courir dans les bois. Ce n’est pas mon truc. Le niveau d’entraînement de l’AZ est très élevé mais l’entraîneur entretient notre plaisir : nous faisons tout avec ballon et nous rions beaucoup.

Selon les clichés, rien n’est aussi amusant que quand on avait dix ans.

Les enfants sont insouciants. Je suis calme. Même avant un match, je reste décontracté alors que beaucoup de footballeurs sont nerveux. Je fais de mon mieux, c’est tout. Les grands footballeurs s’amusent toujours, ils aiment le jeu.

N’êtes-vous jamais nerveux ?

Je ressens une certaine tension mais je pense toujours que le match sera chouette. Je suis au comble du bonheur quand on m’adresse tous les ballons et que je peux réaliser des trucs. Certains ne veulent pas le ballon, ils se dissimulent. Ce n’est pas l’objectif d’un footballeur, quand même ?

Avez-vous des rites, avant un match ?

Pas vraiment. J’enfile généralement d’abord ma chaussure gauche mais si je ne le fais pas, je ne me sens pas mal. Je prie dans le vestiaire. Je demande à être protégé car on ne sait jamais ce qui peut arriver. Cela m’apaise.

Casse dans le salon

Où jouiez-vous quand vous vous leviez à six heures du matin ?

Dans le salon. C’est là que j’ai toujours joué avec mon père et mon frère. Nous formions un but, l’un d’entre nous s’y postait et nous jouions à un contre un, avec un petit ballon. C’est pour ça que je conserve bien le ballon et que je suis fort dans les espaces restreints. En rue, j’ai toujours joué ainsi et en plus, j’ai évolué sept ans en salle.

Avez-vous fait beaucoup de casse ?

Oui mais mes parents ne se sont jamais fâchés. Ils savaient que c’était mon seul plaisir. Nous n’étions pas des enfants à problèmes alors nos parents nous laissaient faire. J’adopterai la même approche avec mes enfants plus tard : ils doivent pouvoir faire ce qu’ils aiment. Ma mère avait peur que je vive en rue. Elle préférait que je joue à la maison. Plus tard, mes amis sont venus jouer dans le living aussi. Nous avions toutes sortes de balles : des balles de tennis, des balles en mousse, en cuir. Parfois, nous allions au jardin et le ballon atterrissait parfois chez les voisins, voire deux maisons plus loin. Ma mère nous en rachetait quand nous les perdions.

Votre mère a raconté que vous aviez démoli la télévision ?

Je ne me souviens pas. Les lampes, les vases, les fenêtres et même les portes y sont passées mais la télévision ?

Du gauche ou du droit, c’était pareil ?

J’ai toujours tiré des deux pieds. J’ai été opéré du ménisque des deux genoux vers 15 ou 16 ans. Pendant un moment, je n’ai pu tirer que du droit. Du coup, je ne réalise certains trucs que de ce côté alors qu’il est moins bon que l’autre.

Beaucoup de parents ont conduit leur progéniture au football pendant des années, attendu des heures à la cantine. Etait-ce pareil chez vous ?

Oui. Mes parents assistaient même à l’entraînement. Il leur arrivait de ramener des camarades chez eux. Ils ne se sont jamais plaints. Ils aimaient bien.

Ils ont emménagé dans une maison que vous leur avez achetée. N’est-ce pas fou ?

Si mais je suis tellement heureux d’avoir pu le faire ! C’est grâce à eux que j’ai réalisé mon rêve. Ils mènent toujours la même vie. Peut-être sont-ils plus à l’aise mais nous n’avons jamais manqué de rien. Nous avons toujours bien mangé, entrepris de chouettes activités. Je n’ai été privé de rien. Un footballeur gagne bien sa vie. Je suis croyant et donc reconnaissant pour tout ce que j’ai reçu. Tout le monde ne peut concrétiser ses rêves. Je sais que la vie peut changer du jour au lendemain. J’essaie de rester les pieds sur terre.

Du FC De Kampioenen à Barcelone

Avez-vous un plan de carrière ?

Non. Je suis mon instinct. J’ai joué au Germinal Beerschot et j’avais la possibilité de rejoindre Anderlecht ainsi que quelques autres bons clubs. Willem II constituait une autre option. C’était une bonne équipe mais un rien moins brillante que les autres. J’aimais bien le football néerlandais, le club était qualifié pour la Coupe UEFA et ce n’était pas loin d’Anvers. Tout plaidait en faveur de Willem II.

Il faut être bien dans sa peau pour ne pas planer ?

Je l’ai déjà dit : ce n’est pas mon style. D’autres sont attirés par Anderlecht et vont y réussir. Si on n’est pas sûr et qu’on n’y va que parce qu’on ne sait pas dire non, on ne réussira pas. Il ne faut pas avoir peur de faire des choix. Ou de faire ce qu’on veut. Prendre l’initiative, suivre son instinct. Je comprends certains parents qui disent à leur fils que Moussa a procédé par étapes et qu’ils doivent faire pareil mais non ! Si un jeune se sent bien dans un grand club, qu’il y aille. A condition d’adhérer à ce choix à 100 %.

Faut-il se méfier de certaines personnes ?

Il faut être prudent dans le choix de son manager. J’ai confié mes affaires à Patrick Vervoort, un homme pondéré. D’autres vous expliquent leurs grands projets pendant toute une journée mais vous voyez que ce sont des hommes d’affaires. Cela convient à certains joueurs mais je préférais un homme calme. Il ne faut pas non plus redouter les managers, simplement choisir celui qui vous convient le mieux.

Vous ne doutez pas vite de vous-même, n’est-ce pas ?

Pour évoluer à un certain niveau, il faut de l’assurance. Vous devez réussir, prester à chaque match, être en harmonie avec vous-même. Dans le cas contraire, vous trébuchez. Je sais ce dont je suis capable. Certains anciens entraîneurs disent que je suis devenu bon d’un coup. Non, désolé mais je savais que je jouais bien. Ils tiennent ces propos parce qu’ils ne m’ont pas remarqué. A seize ans, j’étais en équipe fanion du Germinal Beerschot. Je n’ai jamais eu le temps de me demander si je deviendrais professionnel. J’étais encore trop jeune pour me poser des questions, envisager ce que je ferais si j’échouais.

Menez-vous la vie dont vous rêviez à dix ans ?

Certainement, même si je changeais d’avis tous les jours ! J’aimais le football mais sans que ce soit une obsession. Maintenant encore, il m’arrive de ne regarder un match que parce que nous allons affronter une des équipes une semaine plus tard. Je préfère m’amuser avec des copains, voir un film, jouer à la Playstation, surfer sur des sites de football. Comme je vis seul, je mange dehors tous les jours.

par jan hauspie – photos : photonews

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