© BELGAIMAGE

KEHRWEG CIRCUS

Ils marquent des buts de folie, accumulent les approximations défensives et dribblent dans des cabines téléphoniques. Mais pourquoi les Pandas sont-ils si spectaculaires ?

Sur des terrains belges qu’on juge parfois avares en spectacle, la route du football à rebondissements est longue, et parfois enneigée. Ceux qui prennent la peine de rejoindre les Cantons de l’Est pour s’installer dans les tribunes du Kehrweg font rarement le déplacement pour rien. Le stade d’Eupen est, depuis le début de saison, celui où les filets tremblent le plus souvent. Les spectateurs y ont vu 44 buts en l’espace de dix rencontres, soit une moyenne d’un but toutes les vingt minutes. Le Jan Breydel (un but toutes les 26 minutes) peine à suivre le rythme, tandis que Daknam et le Stade Arc-en-ciel (un but toutes les 47 minutes) sont loin d’être aussi généreux en émotions pour leurs spectateurs.

Même hors de ses bases, Eupen est synonyme d’avalanche de buts. Les pépites d’Aspire ont offert 82 buts en 21 rencontres de championnat. Souvent à leurs dépens, puisqu’ils affichent largement la plus mauvaise défense de l’élite avec 50 buts encaissés. Mais leurs 32 réalisations en font également la cinquième meilleure attaque de Pro League. Le résultat d’une philosophie que Jordi Condom, le coach des Pandas, résume en une formule qui sent bon la troisième mi-temps :  » Notre idée, ce sera toujours de marquer un but de plus que l’adversaire. Gagner 5-4, c’est très bien pour moi.  »

 » Un match de D1 avec Eupen, c’est toujours attractif « , surenchérit Christoph Henkel, le directeur général du club. Une affirmation qui se vérifie, en constatant qu’aucun 0-0 n’a encore été enregistré par le club germanophone en championnat. La faute, notamment, à une défense qui n’a pas encore été capable de préserver ses filets inviolés en 21 sorties.

SANS DÉFENSE

Le côté spectaculaire d’Eupen commence à ses dépens. Dès la première journée, Hendrik Van Crombrugge se retourne trois fois face à Zulte Waregem, victime des approximations d’une défense qui se cherche pendant trop longtemps. À gauche, le Qatari Fahad Al-Abdulrahman est un titulaire incontestable mais multiplie les approximations défensives, les penalties provoqués et les erreurs de placement. À droite, le noyau ne compte aucun arrière latéral de formation, ce qui amène Jordi Condom à multiplier les expériences, plaçant même l’ailier gaucher Jeffren à cette position.  » C’est impossible d’installer un quatre arrière, il n’y a pas d’automatismes défensifs « , se lamente d’ailleurs l’entraîneur après une lourde défaite à Waasland-Beveren.

Présenté comme une équipe de tiki-taka, le onze eupenois n’avait pourtant pas hésité à ranger ses idéaux au vestiaire la saison dernière quand, lors du match pour le titre face à l’Antwerp, Luis Garcia avait vu la plupart des ballons lui passer au-dessus de la tête. Cette fois encore, Condom a entamé l’année dans un 4-4-2 loin de garantir une possession de balle propre et efficace. La présence du puissant Florian Taulemesse en pointe permettait de batailler dans les airs, et ceux qui découvraient les Pandas s’étonnaient alors souvent du taux élevé de longs ballons envoyés par Siebe Blondelle ou Ibrahim Diallo, les défenseurs centraux eupenois.

 » On savait qu’ils avaient énormément de vitesse « , analysait d’ailleurs Yves Vanderhaeghe après la défaite des siens au Kehrweg, en début de saison.  » C’est encore plus difficile de les freiner quand ils mènent au score, parce qu’ils s’infiltrent dans les espaces laissés par l’adversaire.  » Le coach d’Ostende esquisse alors les traits d’une équipe de contre, qui magnifie la pointe de vitesse d’Eric Ocansey ou d’Henry Onyekuru sur les côtés en leur offrant l’espace nécessaire pour accélérer. Après le match nul ramené de Courtrai, Jordi Condom concède que son équipe avait pour mission de  » rester compacte et de partir en contre.  » Pas très tiki-taka, tout ça…

CENTIMÈTRES ET HAUTEUR DU BLOC

Rapidement, Eupen est confronté aux limites de cette approche. Parce que jouer le contre, ce n’est pas seulement attaquer vite, c’est surtout savoir défendre bas.  » On manque encore d’expérience et de communication pour défendre dans la zone proche de notre rectangle « , concède Jordi Condom. Une carence qui s’explique par la jeunesse du groupe et qui est à la source de nombreuses fautes commises aux alentours de la surface, quand ce n’est pas à l’intérieur. Et là, sur phases arrêtées, les Pandas souffrent.  » Dommage que nos joueurs ne puissent pas grandir de 20 centimètres « , diagnostiquait Van Crombrugge après le partage concédé face à Westerlo (3-3).  » Le manque de taille nous a coûté des points aujourd’hui.  »

Pour que les centimètres ne soient plus un problème, Jordi Condom a installé son bloc plus haut sur le terrain. Devenu milieu défensif pour protéger le dos de Luis Garcia, Diawandou Diagne s’ajoute à la relance pour permettre au ballon de rejoindre le camp adverse en toute sécurité.  » On veut la possession plus souvent, et plus loin de notre rectangle « , explique l’entraîneur. Le choix du 4-3-3, avec un seul milieu défensif, est alors le plus sensé pour atteindre cet objectif.

En portant le ballon plus haut sur le terrain, Eupen parvient à joindre plus facilement sa division offensive. Henry Onyekuru et Mamadou Sylla reçoivent des ballons plus simples à exploiter et font parler leur talent pour créer des différences balle au pied. Le mouvement offensif est presque chorégraphié : Mamadou se déporte vers le flanc droit où il peut combiner en triangle avec l’ailier et le milieu relayeur droit, qui est généralement Lazare Amani, très à l’aise entre les lignes. Leur capacité technique leur permet de créer le décalage, qui débouche soit sur une frappe, soit sur un centre en retrait à destination d’Onyekuru, qui délaisse son couloir gauche pour se placer dans le rectangle. Déjà auteur de 11 buts cette saison, le Nigérian a prouvé que sa palette allait au-delà des actions individuelles menées en contre-attaque.

ATTAQUES ATYPIQUES

Puisque Mamadou Sylla préfère souvent venir chercher le ballon hors du rectangle et que le petit mètre 74 d’Onyekuru reste une des seules menaces proches du but, Eupen devient inévitablement une équipe atypique, dans un championnat où le centre balancé dans les 16 mètres reste l’une des valeurs sûres pour faire trembler les filets. Du côté des Pandas, sur les 36 buts marqués en championnat, un seul l’a été de la tête. Trois, à peine, sont survenus à la suite d’un centre aérien. Quand ils marquent par les côtés, les Eupenois le font souvent après une passe en retrait, qui trouve un homme libéré entre le petit rectangle et le point de penalty.

Là où la plupart des clubs de Pro League attendent le dernier moment pour se retrouver dans l’axe, Eupen se promène dans le couloir central. Quatorze de leurs buts sont nés dans cette zone, un total qui fait des hommes de Jordi Condom les plus prolifiques en la matière en championnat. Entre les lignes, la facilité technique des joueurs offensifs d’Eupen dans les petits espaces fait très souvent la différence.  » Ils ont une réelle facilité à dribbler et une excellente faculté à plonger dans les espaces « , expliquait l’ancien PandaMijat Maric à Sudpresse avant la rencontre entre Eupen et Lokeren.

Et quand l’adversaire parvient à verrouiller les portes de son rectangle, Eupen ouvre les fenêtres de tir à distance. À neuf reprises, déjà, les germanophones ont fait trembler les filets depuis un tir hors du rectangle. Dans les grands championnats européens, aucune équipe n’a dépassé les huit réalisations lointaines. Chez nous, seul Bruges a fait mieux (10 buts hors du rectangle), mais les Blauw en Zwart ont déjà trouvé la faille sur coup franc à quatre reprises. Du côté d’Eupen, aucun de ces buts n’a été inscrit sur phase arrêtée. Le tir à distance est une marque de fabrique des pépites d’Aspire, comme l’avait constaté Ivan Leko quand ses Trudonnaires ont concédé deux missiles longue portée au Kehrweg.  » J’avais pourtant prévenu mes joueurs qu’Eupen était surtout très dangereux hors du rectangle « , pestait le Croate après la rencontre. À juste titre : 28 % des buts des Pandas ont été inscrits de cette manière. Un chiffre surréaliste, qui accouche de buts très télégéniques, accentuant encore la cote de spectacularité des Eupenois.

CHAUFFARDS SANS ASSURANCE

Incapable de maintenir son rendement offensif – trop dépendant d’exploits individuels – et sa concentration défensive durant 90 minutes, Eupen reste une équipe  » irrégulière « , concède son entraîneur :  » Certains de nos joueurs n’avaient encore jamais évolué dans un grand championnat avant cette saison.  » L’équipe est, en effet, la deuxième plus jeune du championnat après Genk, qui a aussi brillé par son irrégularité lors de la première phase de la saison.

Jeune et fougueuse, spectaculaire parce qu’imprévisible, l’équipe de Jordi Condom a ajouté une touche de folie à son football quand Van Crombrugge, blessé, a dû céder sa place entre les perches à Babacar Niasse, un mètre 95 pour 65 kilos. Sans doute l’un des meilleurs jeu au pied du championnat, quelques parades étourdissantes, mais aussi des erreurs de concentration qui lui coûtent relances ratées et buts gags à chaque rencontre. Le géant sénégalais est sans doute l’incarnation la plus juste du jeu d’Eupen. Une équipe dont le gabarit des joueurs interdit le football classique de la Pro League, et dont la sécurité semble encore absente du vocabulaire.

Du football catalansans assurance défensive. Voilà qui pourrait ressembler à du suicide. Mais avec autant de talent devant, ça ressemble surtout à du spectacle.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

28 % des buts d’Eupen ont été inscrits depuis l’extérieur du rectangle.

 » Notre idée, ce sera toujours de marquer un but de plus que l’adversaire. Gagner 5-4, c’est très bien pour moi.  » JORDI CONDOM

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire