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Kavé serré

Plongée pendant 48 heures au coeur d’une préparation encore light mais déjà intense en coulisses. Entre gestion de bon père de famille, l’axe Anvers-Anderlecht et le sketch Bjelica.

« Dès que l’entraînement est fini, c’est à mon tour. Je vais aller courir une petite heure. Il faut que je perde ma panse (il soulève son T-shirt). Quand je me mets de profil, elle se voit sur les photos « , sourit Yannick Ferrera. En ce mardi 27 juin, l’ambiance sent bon la rentrée des classes malgré le fond de l’air peu estival. Nous sommes au Jeugdcomplex (complexe des jeunes) du KV Mechelen situé à moins de deux kilomètres du stade, le long d’une longue chaussée pavée de nouvelles résidences et de commerces, PME, symboles d’une classe moyenne flamande en pleine croissance.

Deux terrains d’entraînement sont mis à disposition du noyau pro, un troisième étant en travaux et à nu. Pas de trace encore du moindre bout de gazon alors que le service d’arrosage censé humidifier la terre fait double emploi avec la pluie qui tombe au compte-gouttes. Ce rectangle pas encore vert devrait accueillir l’équipe pro pendant la suite de la saison.

Ici, les installations sont pour le moins sommaires. Les joueurs se changent au stade et débarquent avec leur voiture personnelle. Le parc automobile est à l’image du club : sans chichi et sans bling-bling. Pas de grosses cylindrées rutilantes à disposition mais quelques Opel Astra rouges à l’effigie du Kavé et des voitures passe-partout. À Malines, on ne roule pas sur l’or. Et on n’a pas spécialement envie que cela change. Ou du moins, on n’a pas envie de bousculer les habitudes, de changer cette gestion de bon père de famille en un risky business de nouveau riche.

La crainte de voir le Kavé mis en liquidation comme en 2002, suite à des années de mauvaise gestion, est toujours bel et bien ancrée dans les mémoires. Le moindre sou dépensé est donc pesé et soupesé. De l’extérieur, on pourrait croire à un manque d’ambition. Et pourtant, le Kavé s’inscrit durablement parmi les équipes qui comptent. Celles qui viennent chatouiller les puissants, voire davantage.

Rob Schoofs à 800.000 euros

La saison dernière, Malines a cru jusqu’à la dernière journée – et une défaite 3-0 à Gand qui lui est passé devant – pouvoir arracher un ticket miraculeux pour les play-offs 1. À l’image d’un club comme Charleroi, le Kavé n’a pas qualitativement sa place parmi le top 6. Niveau trésorerie non plus. Les Sang et Or ne boxent pas dans la même catégorie que Genk, Bruges, Gand, Ostende ou le Standard.

Ici, les plus gros salaires tournent autour des 350.000 euros/brut quand la concurrence propose aujourd’hui des contrats à 1 million d’euros. Et il n’est pas question de rehausser la masse salariale ou de se laisser aller à quelques coups de folie. Les deux décideurs au niveau sportif, Fi Van Hoof, véritable institution et garant de cet équilibre, et le directeur sportif, Rik Vande Velde, ex-chef scout à Anderlecht, sont là pour garder la cathédrale Saint-Rombaut au milieu de la cité.

Alors, quand il faut lâcher environ 800.000 euros pour attirer Rob Schoofs, les dirigeants ont quelques sueurs froides. Un montant qui semble mesuré pour un jeune joueur belge talentueux (d’autant que Jordi Vanlerberghe a renfloué les caisses de près de 2 millions en signant à Bruges) et pourtant, une telle sortie d’argent serait une exception à cette règle du moindre coût.

 » Si le joueur est jeune, qu’il a la cote, et qu’il est en bonne santé, il ne vient pas à Malines « , rappelle Ferrera. Le club mise sur des paris, des jeunes joueurs qui souhaitent relancer leur carrière ou des anciens qui clament avoir toujours faim de football. C’est en ce sens qu’il faut comprendre les arrivées d’Andy Kawaya (20 ans), qui a signé pour deux ans en provenance d’Anderlecht, mais n’a pas joué la saison dernière suite à une fracture du péroné, et de Niklas Pedersen, un ancien de la maison arrivé en fin de contrat à Ostende, qui a signé pour deux ans, mais qui reste sur quasiment trois saisons blanches à cause de nombreux pépins physiques.

Deux profils talentueux – on se rappellera la brillante montée au jeu de Kawaya à Arsenal ou du but stratosphérique de Pedersen avec Gand à Sclessin – que Ferrera va devoir amener petit à petit à leur meilleur niveau, ce qui demandera inévitablement de la patience alors que le noyau n’est pourtant pas très fourni.

Il est 10 heures, les joueurs terminent leur exercice de renforcement musculaire sur le terrain synthétique sous le regard de l’assistant, Sven Swinnen – Malines ne dispose pas de préparateur physique spécifique – alors que son T1 termine, sur le terrain en herbe annexe, le travail de mise en place des différents exercices. S’ensuit une demi-heure de course par petits groupes. Alors que le rythme s’élève de 13 à 15 km/h, Niklas Pedersen et Yohan Croizet se font doubler et redoubler par les différents groupes. Le duo retrouve les terrains d’entraînements alors que la plupart ont repris le 21 juin.

10h30, place enfin au ballon. Accompagné de son staff, Yannick Ferrera s’entretient brièvement avec Aleksandar Bjelica qui explique qu’il a une douleur à l’aine et qu’il ne pourra s’entraîner  » normalement « . Le cirque continue (voir cadre). Le Serbe ne regagne pas les vestiaires. Pas question de lui laisser ce plaisir. Alors que le reste du noyau taquine le cuir sur le terrain en herbe, Bjelica multiplie les tours de terrain à un rythme assez impressionnant.

Ferrera à bloc

Nous ne sommes qu’aux prémices de la nouvelle saison mais Yannick Ferrera est déjà à bloc.

 » Take the information before ! « , crie-t-il à un de ses joueurs qui perd le ballon après s’être enfermé dans une masse de joueurs. Le jeune Bruxellois de 36 ans, qui entame déjà sa sixième saison comme coach chez les pros, passe du néerlandais à l’anglais, en passant par le français, avec une jolie dextérité. L’ex-entraîneur du Standard jouit d’une très belle cote  » derrière les casernes « .

Une pétition sur Facebook, qui avait réuni plus de 1.000 fans malinois réclamant sa venue lors du départ d’Aleksandar Jankovic, avait donné le ton. Et pourtant, ses débuts furent cauchemardesques avec un 1 sur 12 lors de ses quatre premiers matches à la tête du club. La suite allait être d’un tout autre acabit notamment grâce à une impressionnante série à domicile. Malines devenait une forteresse imprenable (c’est d’ailleurs là qu’Anderlecht s’est cassé les dents pour la dernière fois à l’extérieur) bien aidé par son bouillant public qui réclame régulièrement son coach pour une chaleureuse communion.

Au Kavé, Ferrera est l’un des rares personnages médiatiques, voire le seul. Des deux côtés de la frontière linguistique, le Belgo-Espagnol concentre quasiment toute l’attention. Médiatiquement, Malines est quelque peu abandonné, enclavé entre la toute-puissance anderlechtoise et l’arrogance anversoise. Le dernier club belge vainqueur d’une Coupe d’Europe vit dans l’ombre de ces deux institutions.

À l’image du pourtant excellent Tim Matthys, le Kavé n’est pas un club qui vend du rêve. Personne ne semble s’en plaindre. Au contraire, le joueur n’est qu’un maillon de la famille malinoise, rien de plus. La star, c’est son public, présent en masse toutes les deux semaines, même en play-offs 2.

Malines est un club à l’ancienne. Où trouve-t-on encore des brosses à chaussures pour retirer la terre des crampons ? Un détail qui démontre tout le paradoxe d’un club extrêmement populaire, qui avait vendu son 7.500e abonnement la semaine dernière, qui dispose d’un stade flambant neuf mais dont les pratiques quotidiennes et les ambitions sont bien plus mesurées.

En ce mardi 27 juin, l’engouement n’est d’ailleurs pas très visible. Ils sont à peine dix badauds à assister à l’entraînement. Quelques enfants, des personnes âgées et deux photographes venus shooter les premiers pas de Pedersen.  » Il y a de la nonchalance dans le dernier geste, faut être un tueur ! « , gueule Ferrera. Réputé pour la qualité de ses entraînements – les joueurs du Standard l’ont vite regretté – et pour son analyse tactique, Ferrera est consciencieux, méticuleux dans son travail. Parfois à l’excès.

L’homme est un grand angoissé, et pas que dans le foot. Au Standard, il lui arrivait d’ouvrir les grilles de l’Académie Robert Louis-Dreyfus dès l’aube après avoir été réveillé par une insomnie. Aujourd’hui, rien n’a foncièrement changé même si les pressions sont bien moindres qu’à Sclessin. Yann Daniélou, son adjoint au Standard qui l’a suivi à Malines, est là notamment pour le canaliser. Une sorte de coach mental du coach.

Mats Rits dans le fossé

Mercredi 28 juin, 13 h Yannick Ferrera est dans ses bureaux, accompagné de ses assistants Yann Daniélou et Tom Caluwé, Sven Swinnen, et de l’entraîneur des gardiens, Jugoslav Lazic. On se trouve sous les arcades de l’historique mais vieillotte tribune principale du club malinois, seule partie du stade qui n’a toujours pas été rénovée. Une forte odeur de peinture fraîche rend l’endroit plutôt inconfortable. Les coups de rouleaux ne maquillent pas la vétusté des lieux.

Quelques minutes plus tard, Ferrera ferme son pc et se dirige vers son vestiaire avant de monter dans la voiture de Tom Caluwé, qui le conduit au terrain d’entraînement.

14 h. Andy Kawaya (extérieur gauche) découvre pour la première fois ses nouveaux coéquipiers, tout comme Faycal Rherras (arrière droit), ex-Saint-Trond, arrivé de Heart of Midlothian en Écosse. Ces deux nouvelles têtes viennent suppléer Laurens Paulussen et Nils Schouterden, jugés trop courts et qui sont invités à se trouver un nouvel employeur. Le noyau manque, encore et toujours, de qualité et de profondeur pour espérer égaler les résultats de l’an dernier. De nombreux jeunes complètent ce groupe.

Mats Rits, que la presse a annoncé en contact avec Anderlecht, Bruges, le Standard et Gand mais qui devrait prolonger son aventure d’une saison avec le Kavé, n’est toujours pas de retour. La faute à une chute à vélo et à un véhicule qui l’a envoyé dans le fossé. Une blessure sans trop de gravité mais qui s’est infectée et qui l’a obligé à prendre du repos.

L’entraînement est léger. Pendant un peu plus d’une heure, le groupe, divisé en deux, va travailler la possession et la circulation de balle. Pedersen démontre en quelques touches de balles que, si le physique tient, il devrait être un joli renfort. Dans un style bien plus élégant et technique que le pourtant efficace mais aussi brouillon Nicolas Verdier, parti à Eupen.

Au bord du terrain, personne ou presque ne s’est aventuré alors que l’été est aujourd’hui maussade. Il y a bien l' » inspecteur  » de Beljica, qui continue à prendre des notes, et deux mamies, qui travaillent comme bénévoles pour les jeunes du club. Apparemment, tout le monde les connaît. Dès les exercices terminés, elles serrent dans leurs bras, Yannick Ferrera, puis enlacent chaleureusement Seth De Witte.

8.000 euros pour un galop

Les joueurs repartent au stade où les attend un repas à 16 h avant une courte théorie. À 19h30, Malines dispute à Leest, petite entité de la commune de Malines, sa troisième rencontre de préparation, après avoir étrillé Rijmenam (0-12) et Katelijne (0-3). Difficile voire impossible pour Ferrera de tirer des enseignements de ce type de rencontres. Mais l’occasion de donner du temps de jeu aux jeunes et de voir ce qu’ils ont dans le ventre. Une façon aussi d’aller à la rencontre de ses supporters existants ou futurs, en débarquant dans les campagnes. Et une manière aussi pour le club de se remplir quelque peu les poches. Certaines de ces visites se facturent 8.000 euros (à titre de comparaison, un club comme le Standard peut empocher 15 à 20.000 euros pour des rencontres similaires en préparation).

Le SK Leest, club de première provinciale anversoise, accueille du monde en ce début de soirée. Les prairies des alentours sont transformées en parking. Ils sont entre 500 et 700 à s’être déplacés, d’autant que le ciel a eu la bonne idée de s’arrêter de pleuvoir pour faire place à de jolies éclaircies.

Si la visite du Kavé a un coût, grâce à un ticket d’entrée à 10 euros et des files aux pompes à bières et aux hamburgers, la soirée est même peut-être rentable pour ce club, tout heureux d’accueillir son prestigieux grand frère. La rencontre, elle, est logiquement à sens unique. La première mi-temps vaut par la réalisation de deux très beaux buts des jeunes Jordy Soladio et Mohamed Zeroual. Ferrera observe et glisse quelques consignes aux jeunes joueurs, posé et calme sur son banc. Jusqu’à ce qu’un joueur de Leest se jette de façon plutôt incompréhensible, semelle en avant, sur Zeroual.

Ferrera sort alors directement de ses gonds.  » Tu l’as vu celle-là « , lance-t-il furieux à l’arbitre de touche.  » Puta madre ! ! ! « , en guise de ponctuation alors que son joueur est toujours au sol.  » On n’est pas en Champions League, hein ! « , crie-t-il à l’arbitre principal. On en est même très loin. Le match se termine sur un score de forfait (0-5). Le lendemain, rebelote, Malines vient à bout facilement de Kampenhout (0-4). Demain, par contre, c’est un tout autre morceau qui débarque avec l’Olympiacos de Besnik Hasi. Ferrera et Malines entrent déjà dans le dur.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Si le joueur est jeune, qu’il a la cote, et qu’il est en bonne santé, il ne vient pas à Malines  » Yannick Ferrera

À Malines, pas question de changer la gestion de bon père de famille en risky busines : la liquidation est toujours dans les mémoires.

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