Kaká sauve Dunga

Cinq buts en deux matches et une qualification déjà assurée. Pourtant, le sélectionneur brésilien reste au cour de la tourmente. Un camp entier de journalistes est prêt à l’exécuter.

En 1994, au stade de Los Angeles, Dunga, capitaine du Brésil, a triomphalement brandi la Coupe du Monde. On pouvait lire un message sur ses lèvres :  » C’est pour vous, traîtres et fils de…  » Au milieu de la fête, cette surprenante décharge de sa frustration visait la presse, qui avait été très critique à l’égard de la tiédeur et du style peu brésilien de l’équipe. Depuis, Dunga et le bataillon des journalistes brésiliens ne se sont jamais réconciliés.

Juste avant que le Brésil, un des premiers à rejoindre l’Afrique du Sud, ne s’envole, la sélection avait rencontré le chef de l’Etat, Lula, au palais présidentiel de la capitale Brasilia. Lula, qui a mué le pays en puissance économique et fait rêver ses citoyens miséreux d’un avenir meilleur, avait amicalement posé la main droite sur la poitrine de chaque joueur, comme s’il voulait les bénir. Il semblait murmurer quelque chose à chacun. Les photographes avaient immortalisé l’événement.

Lula s’était alors approché du sélectionneur, Dunga, qui avait maintes fois affirmé ne porter aucune estime aux politiciens, qui selon lui ne disent pas ce qu’ils pensent mais ce que les gens veulent entendre. Leur brève rencontre a été professionnelle mais dénuée de chaleur.

Les journaux brésiliens y ont accordé beaucoup d’importance car la visite résumait parfaitement, à leurs yeux, la position du pays par rapport à l’équipe. Les supporters se sont éloignés de leur équipe. Le football trop réaliste de Dunga, l’ancien aspirateur au service des vedettes, ne leur plaît pas. Le débat sur l’esthétique du jeu a éclaté, pour la énième fois. Dunga ne cesse de se défendre avec le même argument. Selon lui, la beauté du jeu réside en la victoire.

Une annonce mortuaire

Les journalistes brésiliens ont rallié l’Afrique du Sud en peloton. Rien que le géant Globo est représenté par plus de 200 personnes. Globo possède des chaînes TV, des journaux et une volée de sites internet. C’est lui, grosso modo, qui détermine quand la nation doit rire ou pleurer. Celui qui ose entrer en conflit avec Globo signe son arrêt de mort, à terme.

Dunga a cherché la confrontation, ouvertement. Un moment donné, il a décidé de ne plus parler avec les journalistes. Ceux-ci lui ont illico distillé leurs flèches. Le quotidien O’Dia a parlé d’un dictateur qui prive les supporters de leur droit à l’information. Les Brésiliens surnomment Dunga L’Allemand, parce qu’il planifie tout soigneusement, qu’il analyse le football en détails, avec pragmatisme et sans passion, ce que les Brésiliens n’aiment pas. Mais la Fédération de football (CBF) soutient Dunga. Il y a deux ans, quand le Brésil a trébuché face à l’Argentine, en demi-finales des Jeux Olympiques, Globo a publié une annonce mortuaire de Dunga, en pleine page d’un de ses journaux. Cyniquement, il mentionnait, en bas de l’annonce, qu’il n’était pas nécessaire d’apporter des fleurs.

Il faut être très fort pour résister à ce genre d’attaques. Dunga l’est. Il souhaite travailler en paix. Il apprécie la paix, les fleurs et les animaux et un jour, il a révélé son plus grand rêve : ouvrir son propre zoo. Mais on ne grée aucun repos à Dunga. Il est comme un lièvre poursuivi par une meute décidée à le déchiqueter.

Une transition rapide

Le Brésil s’appuie toujours sur des footballeurs au bagage technique raffiné mais Dunga a sacrifié les diamants les plus brillants sur l’autel de la discipline. Pas de Ronaldinho, de Pato, ni d’ Adriano. L’absence de ce dernier touche particulièrement le public, qui adore ce joueur issu des favelas. Les Brésiliens s’identifient à cet avant qui a brièvement connu la gloire avec l’Inter mais qui n’a pu surmonter la mort de son père. Il a finalement beaucoup marqué pour Flamengo décrochant le titre de meilleur buteur du championnat et signé récemment pour l’AS Rome. On a en plus appris qu’Adriano aurait fait des affaires avec un dealer de drogue mais on lui pardonne.

Dunga aime les certitudes. Il s’appuie sur une défense centrale en granit. Ses arrières latéraux ne peuvent monter constamment et dans l’entrejeu, il poste deux récupérateurs derrière trois éléments offensifs et un attaquant, Luis Fabiano, qui n’est pas des plus raffinés mais est un finisseur pur sang. Robinho se meut derrière lui. C’est par cette tactique que le Brésil a battu la Corée du Nord lors du premier match. Dans le froid de Soccer City, le match le plus glacial de l’histoire du Mondial n’a pas été synonyme de football brillant. La seule vedette de l’équipe, Kaká, a été remplacée à la 77e pour médiocrité alors que Kaká est certainement l’homme de liaison de cette équipe. La transition rapide du Brésil passe toujours par lui. Mais il semble que le joueur du Real Madrid manque de personnalité et ne tape jamais du poing sur la table. Il a l’image du gendre parfait mais cette étiquette commence à se retourner contre lui. Le timide Kaká était puceau quand il s’est marié et Dieu joue un rôle primordial dans sa vie. Il préfère de loin la chaleur familiale aux sorties. C’est trop monotone au gré des Brésiliens.

La presse a été sévère à l’égard de la prestation de l’ex-Ballon d’or contre la Corée du Nord. Elle s’attendait même à ce que Dunga le dédaigne contre la Côte d’Ivoire mais le pieux Kaká a balayé toutes ces supputations :  » Je suis très satisfait de mon match et je ne me tracasse pas.  » Son sourire a dévoilé sa dentition éclatante.

Une touche de balle impressionnante

Kaká a évidemment été titularisé contre les Eléphants. Il n’a pas immédiatement eu de prise sur le jeu et a distillé quelques mauvaises passes ; puis, il a eu une action de génie : une passe à Luis Fabiano, qui a froidement conclu. Le Brésil a étalé sa classe bien plus que contre la Corée du Nord. Par moments, il a joué lentement mais en sachant accélérer et jouer en un temps. La touche de balle de l’ensemble de l’équipe reste impressionnante, comme sa circulation du ballon, même si elle est plus souvent en largeur qu’en profondeur.

Cela n’a pas empêché Luis Fabiano de doubler la marque, après avoir touché le ballon de la main deux fois, puis Elano a inscrit un troisième but, sur un assist de Kaká, qui a placé son empreinte sur le match et a même raté de peu une superbe occasion. Le rude Brésil de Dunga a essayé de séduire mais les circonstances ne lui étaient pas favorables. Il y a eu un penalty non sifflé sur Didier Drogba et une fausse note : la seconde carte jaune de Kaká suite à un contact avec Keita. Dunga s’est éclipsé après le match. Il peut s’estimer heureux que son architecte ne fasse défaut que contre le Portugal et sera disponible pour les huitièmes de finale. Même le sélectionneur avait reconnu, avant le Mondial, qu’en cas de forfait de son meneur de jeu, établir un plan B ne serait pas aisé.

L’évangile

Vendredi, à Durban, le Brésil disputera son troisième match contre le Portugal. Dunga continue à parler d’organisation, alors que les siens ont inscrit cinq buts en deux matches. Ses déclarations réalistes exaspèrent la presse. Le coach s’en distancie. Il ne veut plus investir d’énergie dans l’annonce de son évangile. Il se sent incompris et impopulaire mais il fait son travail, en son âme et conscience.

On ne peut lui enlever une chose : peu d’entraîneurs affichent la même concentration. Quand le Brésil s’est entraîné pour la première fois en Afrique du Sud, à Soweto, 20.000 personnes étaient présentes au stade, soufflant de toutes leurs forces dans leurs vuvuzelas.

Au terme de la séance, quelqu’un demande à Dunga ce qu’il pensait de ce bruit. Quel bruit, se demanda-t-il ? Il n’avait rien entendu. l

par jacques sys, en afrique du sud

« Dunga est tellement concentré qu’il n’entend pas les vuvuzelas ! »

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