« Juste redevenir un bon coureur »

Une journée en selle derrière un jeune coureur de 34 ans.

Il est très tôt, 5 h 30 h du matin exactement. Et le voilà qui arrive en voiture. VDB. Le nouveau VDB ? Cela reste à voir…

 » Montez « , demande Frank Vandenbroucke.  » On m’attend à Anvers à 6 h 30. Son premier rendez-vous de la journée est toujours avec son kinésithérapeute, Lieven Maesschalck, où il achève sa revalidation suite à l’opération qu’il a subie au genou en juin dernier. VDB est manifestement motivé. En route, il fredonne les chansons qui passent sur Radio Nostalgie. Sa nuit a été courte.  » Des amis ont organisé une fête pour mon anniversaire mais je me suis couché tôt : à 11 heures « , assure-t-il.

Assis à côté de lui, Jean-Claude Van Den Berghe rit sous cape. C’est le frère du propriétaire du Berghof, le café de Steenhuize-Wijnhuize où VDB a trouvé un second foyer ces derniers mois.  » Frank est devenu mon quatrième frère « , explique Jean-Claude.  » Il est le roi dès qu’il entre au Berghof. Tout le monde l’apprécie.  »

Frank :  » Quand les gens me demandent ce que je viens faire à Steenhuize, je leur réponds que je cherche la tranquillité.  »

 » C’est dans mon intérêt d’écouter mon kiné… « 

A 6 h 30, nous sommes au cabinet de Maesschalck. Las, nulle trace de présence. VDB tente de le joindre par gsm :  » Urko, où es-tu ? » Il s’enquiert du planning de Maesschalck, qu’il a surnommé Urko, et entame sa séance avec une heure de retard. Les exercices sont destinés à stabiliser sa hanche, dans le cadre de la rééducation de son fameux genou gauche. VDB a toujours souffert du genou et, selon lui, l’échec de ses deux dernières saisons est dû à l’état de son genou.

 » Depuis le Tour d’Emilie 2006, alors que je retrouvais ma forme, je n’ai plus roulé un mètre sans souffrir. Acqua & Sapone, mon équipe d’alors, m’a envoyé chez tous les spécialistes imaginables. Nul n’a pu m’aider et à la fin, plus personne ne me croyait. « 

Maesschalck explique :  » Je travaille la chaîne hanche/ genou/ pied. Mon travail touche à sa fin. « 

VDB suit avec une précision chirurgicale les indications de Maesschalck :  » Frank est ainsi fait : quand il est motivé, il est perfectionniste.  » VDB n’est pas seul dans la salle. Igor Gjuzelov, un défenseur du Cercle Bruges, souffre aussi…

Maesschalck et VDB ont tissé des liens d’amitié en 1997, quand le kiné avait délivré le coureur d’une tenace blessure au genou. Maesschalck lit en Frank :  » Physiquement, il est super, même à 34 ans. Il a effectué un travail sensationnel ces derniers mois. Je l’ai soutenu car je sentais qu’il en voulait vraiment. Qui suis-je pour dire qu’il vaut mieux qu’il jette l’éponge ? Il est bien, mais je ne sais pas comment il va réagir en course. Je lui accorde le bénéfice du doute. De toute façon, c’est l’année des come-backs en cyclisme, non ? »

VDB grimace en effectuant les exercices, durs, que lui soumet le physiothérapeute. Aux murs, plusieurs maillots de football dédicacés et encadrés. L’un d’eux est signé Pippo Inzaghi (Milan) : Al mitico Lieven. Mi hai salvato (Au mythique Lieven. Tu m’as sauvé). Maesschalck a déjà sauvé beaucoup de sportifs. VBD opine :  » Je sais qu’il est dans mon intérêt d’écouter Lieven.  »

 » J’ai retrouvé équilibre et réalisme « 

Retour aux Ardennes flamandes pour l’entraînement en compagnie de VDB. Nous sommes attendus au Berghof à 10 h 30. C’est le local de supporters des frères Scheirlinckx. De là, VDB va pédaler 100 kilomètres, jusqu’à Ploegsteert, ses racines.

Le vélo est adossé au mur du café. C’est un Merckx blanc à finition dorée et au logo Campagnolo. Ce bijou ne peut appartenir qu’à VDB ! Des détails trahissent l’ancien VDB, la star sur deux roues, le maniaque du matériel clinquant. Il se distingue aussi par son bonnet et ses collants blancs et un maillot noir frappé du slogan il cuore italiano. Il y a peu, le c£ur de Vandenbroucke battait effectivement pour l’Italie et pour Sarah Pinacci. Sa Sarah. Il a vécu près de Milan mais a tourné cette page-là aussi :  » Si mon c£ur est toujours en Italie ? Oui. Pour le jambon de Parme !  »

Steven De Hulsters nous accompagne un bout de chemin. Il est devenu un intime de Frank ces derniers mois et VDB fréquente régulièrement sa salle de fitness à Sint-Lievens-Esse. On s’engouffre dans les Ardennes flamandes par Zottegem. A Horebeke, nous tournons à droite, en direction de Molenberg. Les yeux de Frank commencent à briller. Il connaît ces routes comme sa poche. Le Molenberg constitue une des difficultés du Circuit HetVolk, une course durant laquelle il a surclassé ses concurrents en 1999, sa meilleure année. VBD se place en tête avant le tronçon pavé et il s’en va.

Steven souffle :  » Il ne peut pas se retenir. Il n’a pas perdu son accélération. Vous comprenez pourquoi mon niveau a considérablement augmenté en quelques mois… « 

Peu après, Steven et quelques autres abandonnent. Frank joue les téléphonistes. Son gsm n’arrête pas de sonner. A hauteur de Zwevegem, nouvel appel :  » C’est NicoMattan, il nous rejoint à Courtrai avec la voiture « . Mattan, son meilleur ami depuis des lustres, devrait être le directeur technique de la nouvelle formation belgo-italienne formée autour de VDB, Cinelli-Endeka. Le sponsor, le flamboyant SignoreColombo, voit toujours en VDB le bimbo d’oro d’antan, mais sans placer la barre trop haute.

 » Il veut simplement que Frank remonte à vélo « , explique Mattan, qui a croisé notre route.  » Frank est en bonne voie. J’espère que ce sera toujours le cas dans trois mois.  » Les craintes de Mattan sont fondées car l’enfant terrible du cyclisme belge a déjà raté plusieurs come-backs. VDB sait que sa réputation est entamée mais il contre-attaque :  » Il y a une grande différence par rapport à mes autres retours. Avant, j’avais des problèmes de drogue. Je ne pouvais donc pas assumer longtemps mes retours. J’ai retrouvé mon équilibre. Je suis aussi réaliste. Je n’ai pas besoin de redevenir le meilleur VDB. Je veux simplement prouver que je peux encore être un bon coureur.  »

On ne diminue pas l’ego d’un champion

A Menin, son père Jean-Jacques se joint à nous. Frank prend la tête. Ses collants blancs sont tachés et de la boue goutte de son châssis mais cela ne semble pas le gêner.  » Regardez « , crie-t-il.  » Pour l’instant, à ce train, j’ai l’impression de rouler à fond, à nouveau. Ces dernières années, ce n’était pas le cas. C’était comme si je pédalais d’une jambe et cela me frustrait.  » Son coup de pédale est souple mais puissant. Il se penche régulièrement en avant, les poignets étendus sur le guidon. C’était son habitude dans sa période de gloire.  » Il roule bien, hein ? », commente son père.

Nous voilà à L’Hostellerie de la Place, le centre nerveux des Vandenbroucke. Chantal, la mère, nous accueille chaleureusement.  » Prenez une douche, je m’occupe des spaghettis.  » Papa Jean-Jacques lave les vélos. Une demi-heure plus tard, nous sommes réunis à table. Les trophées de Frank décorent L’Hostellerie de la Place : les coupes de Paris-Nice 1998 et de Liège-Bastogne-Liège 1999, le Vélo de Cristal 1999, témoins silencieux d’une époque révolue. Ou faut-il assortir cette phrase d’un point d’interrogation, après avoir vu Frank à l’£uvre ?

 » Puis-je voir les photos d’aujourd’hui « , demande Frank au photographe.  » Oh, quelle puissance…. On voit vraiment la vitesse !  » VDB accompagne ses commentaires d’un clin d’£il, même si en son for intérieur, il pense ce qu’il dit. On ne diminue pas comme ça l’ego d’un champion, même quand il a encaissé son lot de k.o.

Chantal insiste :  » Frank est devenu un autre homme. Je touche du bois pour qu’il reste ainsi.  » VDB continue à téléphoner. Il essaie de réunir le clan VDB pour une photo de famille devant L’Hostellerie de la Place.  » J’y arrive « , soupire-t-il, soulagé. De fait, une demi-heure plus tard, tout le monde arrive. Samantha et Sandra, les s£urs de Frank, avec leurs enfants Ewan, Franklin et Sofia ; les parents, Jean-Jacques et Chantal, et Cameron, la fille que Frank a eu avec sa première amie, Clothilde.  » C’est un moment unique. Pareille réunion est rare « , explique VDB

Des jambes en béton

Retourner à Steenhuize à vélo n’est plus possible. Nous rentrons en voiture. En route, un VDB inquiet téléphone à Maesschalck :  » Est-il normal que mon genou soit fatigué après 100 kilomètres à vélo, à un bon rythme ? » Maesschalck rassure VDB :  » C’est normal.  » Rasséréné, Frank revit. Il augmente le son de la radio et appuie sur la pédale des gaz :  » Je dois être prudent. Récemment, j’ai été privé de permis de conduire pour excès de vitesse. C’était la nuit et j’ai été flashé à deux reprises. Ce jour-là, l’autoroute était une vraie discothèque.  »

Il revient à son come-back :  » Durant les mois à venir, je vais suivre le même programme d’entraînement que les footballeurs de Milan. Ma condition de base est bonne mais je dois perdre quelques kilos. J’y travaille. « 

Pendant des mois, VDB a travaillé dur avec Steven De Hulsters, dans le fitness de celui-ci, à Sint-Lievens-Esse. A première vue, on a l’impression que VDB fait la pub de la salle Dumbbell. Rien n’est moins vrai. Le matin, Maesschalck s’est dit impressionné par le travail accompli par Steven sur Frank et les conditions strictes qu’il a émises avant d’accepter cette mission. Steven est ravi des progrès de son poulain :  » En quatre mois, il a accompli des progrès énormes. Il est incroyable. Il a pris quelques centimètres de masse musculaire en l’espace de quatre semaines. Je n’ai jamais vu ça. Regardez ses jambes : elles sont en béton.  »

La cheville ouvrière

VDB achève sa journée au Berghof, le café de Steenhuize dont il est un hôte apprécié, voire adulé. Het Berghof est comble quand VDB en pousse la porte. Frank a l’habitude de passer une fois par jour, de boire une bière ou de jouer aux cartes. Cela le rend très populaire. Thomas Pieters, la cheville ouvrière de la renaissance de Vandenbroucke, est également présent. VDB habite chez lui.

Thomas :  » Je connais Frank depuis son passage chez MrBookmaker, en automne 2004, alors qu’il traversait une des périodes les plus sombres de sa vie. A la fin du mois d’août, nous avons repris contact. Frank était une épave, il était au fond du trou. J’ai voulu l’aider à remonter la pente mais à ma façon. « 

Pieters lui a offert une chambre et lui a imposé un programme en neuf points :  » Il est toujours collé au-dessus de son lit. Les règles sont simples : se lever à 8 h 30 et ne pas sortir la nuit. Durant les premières semaines, je l’ai obligé à faire du sport une heure et demie par jour… Il a retrouvé sa motivation et peut revivre comme un professionnel. C’est ce qui lui a fait défaut ces dernières années. Il est logé et nourri, il n’est plus seul, il ne doit penser qu’à une chose : le cyclisme. Je le fais pour Frank, pas pour qu’on parle de moi. La perception des gens est évidemment très dure. Nul n’ignore, dans le coin, que VDB fréquente quotidiennement Het Berghof. Les gens disent : -Il passe sa vie au café. Mais ce n’est qu’une heure par jour, à jouer aux cartes ou à bavarder avec d’autres. Je n’appelle pas ça sortir.  »

Durant les premières semaines, Pieters a eu du mal à convaincre VDB que la voie qu’il lui traçait était la meilleure :  » Je le lui ai fait comprendre visuellement. J’ai décoré sa chambre de photos de sa période de gloire, quand il battait les autres à plates coutures, les laissait sur place dans La Redoute et la Vuelta. J’ai aussi accroché des photos de ses passages à vide. Chaque fois, je lui demandais : -Frank, que veux-tu ? Quel Frank veux-tu devenir ? Je pense qu’il a compris.  »

par frederik backelandt – photos : david stockman

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