La flèche de Sclessin a les mêmes traits de caractère que la nouvelle star serbe du tennis : Novak Djokovic. Ses amis l’ont surnommé Lané (le Faon). Mais ce n’est pas Bambi…

Il y a comme une musique de Goran Bregovic dans le jeu, la carrière et la vie de Milan Jovanovic (27 ans), l’artiste serbe du Standard. La rock star de l’ancienne Yougoslavie est devenue l’ambassadeur de la musique des Balkans. Dans son orchestre  » pour mariages et enterrements « , comme il le dit lui-même, Bregovic cultive des liens inattendus, beaux et profonds, entre le rock, des ensembles philharmoniques, les chants slaves et ses musiciens gitans. Il a cassé la baraque avec des musiques de films d’ Emir Kusturica comme Le temps des gitans, Arizona Dream et Underground, entre autres. Bregovic a bossé avec Iggy Pop, Cesaria Evora, Ofra Haza, Patrice Chéreau, etc. Jovanovic pourrait être un personnage de l’univers de Bregovic.

Le cinéaste Kusturica a d’ailleurs construit un immense domaine recréant la Serbie d’hier près de Bajna Basta, la ville natale de Jova. Il y tourne ses films dans des décors d’époque. Le buteur du Standard adore ce cinéaste et le climat qu’il instaure dans ses chefs-d’£uvre. L’avenir de son pays lui tient à c£ur. C’est aussi un enfant de la guerre qui a divisé et ensanglanté l’ancienne Yougoslavie. Il a passé des soirées dans les caves et l’incertitude, sous les bombardements et a surmonté ces traumatismes en misant à fond sur son caractère positif et joyeux. Tout ce qu’il vit maintenant, c’est du bonus.

La natalité est négative en Serbie comme un peu partout en Europe. Son épouse attend un deuxième enfant. Il en veut cinq car cette dénatalité l’inquiète et il veut surtout vivre dans une grande famille.

 » Son moteur, c’est l’enthousiasme  » (Manu Ferrera, son T2)

 » Il n’arrête pas de chanter « , affirme Manu Ferrera, le T2 de Sclessin, un de ceux qui comprennent le mieux les méandres et l’âme de ce gaucher hors norme. Sans le savoir, ils ont une histoire commune. L’Andalousie de Ferrera et la Serbie de Jovanovic ont vécu durant des siècles sous le joug de puissances étrangères : les Maures régnèrent à Séville et les Ottomans à Belgrade. L’humour constitue souvent la meilleure arme pour préserver ses valeurs dans de telles conditions…

 » Milan en a à revendre « , continue Manu Ferrera.  » Il n’y a pas moyen de se fâcher avec lui. Dès qu’on le voit, la bonne humeur est là. Après notre succès contre le Club Bruges, le vestiaire a laissé libre cours à une joie et un bonheur bien mérités. Quand Luciano D’Onofrio est venu à leur rencontre, les joueurs ont réclamé une double prime sur l’air des lampions. Luciano a souri. Milan s’est levé et a fait mine de lui enlever sa veste en disant : – Elle vaut une fortune, je la vends et on partage entre nous. Je ne dois pas vous dire que tout le monde riait aux larmes. Son français n’est pas encore fameux, c’est sûr, mais cela va mieux. La saison passée, l’ailier croate Milan Rapaic était toujours avec lui et il traduisait nos propos. Maintenant, Jova est seul et il doit comprendre ce que nous disons en français. Il peut donner l’impression d’être naïf mais ce n’est pas du tout le cas. Ce n’est pas un enfant. Il fixe des frontières à ne pas dépasser. Moi, en tout cas, je trouve que ce joueur détient la classe à l’état pur. Il n’y a pas de limites chez lui, on ne sait pas où il peut s’arrêter. J’avais éprouvé le même sentiment avec Edmilson (gaucher comme lui) à Seraing mais le Brésilien souffrait déjà de gros pépins physiques. Jova a un capital énorme : la vitesse. De plus, et c’est primordial, il ne dribble pas dans la largeur (inutile, souvent une perte de temps) mais fonce droit vers le but adverse.

On ne fait pas mieux en Belgique à sa place. C’est une bénédiction pour la D1. Les spectateurs l’ont compris. Il signe aussi des paquets d’autographes à l’extérieur. Le talent, ça ne se discute pas. Alors, quand Jacky Mathijssen fait son procès parce que Philippe Clement a hérité de deux cartes jaunes en l’arrêtant fautivement, je trouve que c’est honteux et malhonnête. Le coach brugeois a tenté de camoufler ses aberrations tactiques (un attaquant) et son échec sous de faux prétextes. Quand Jova tombe, c’est qu’on a commis une faute sur lui : ce n’est pas un tricheur ou un simulateur. Son style est le reflet de son caractère. L’homme et le joueur se rejoignent. Les deux sont heureux. Cela se voit sur le terrain et au quotidien. L’enthousiasme est son moteur. Il ne cache pas ses ambitions. Jova les déclame à haute voix et cela peut étonner en Belgique. C’est spontané car il est direct. On attendra de plus en plus de sa part. Cela ne l’effraye pas du tout. Michel Preud’homme gère très bien son caractère. Jova a déjà un peu adapté son style : il ne multiplie plus ses raids à l’infini et sait attendre le bon moment « .

La saison passée, c’était un soliste. Maintenant, Jova a élargi son registre et fait partie intégrante de l’orchestre dont il est le virtuose. Notre gaucher sait créer la différence tout seul mais signe aussi des assists, fait jouer les autres. Ponctuel, il n’est jamais arrivé une fois en retard à l’entraînement. Jova se soigne, est très pro. Dès qu’il a le moindre bobo, c’est signalé et le staff médical peut intervenir tout de suite. Il ne laisse rien au hasard, c’est important et cela en dit autant sur le joueur qu’à propos de l’homme. Très gentil, il s’intéresse aux autres, demande des nouvelles des familles. C’est quand même inhabituel dans une société où l’égocentrisme règne en maître. Ce gars-là, c’est une crème. Il s’entend bien avec tous ses équipiers. Jova atteindra le top européen. Ses armes ne changeront plus. Mais c’est son univers qui sera plus prestigieux et qui le catapultera vers le haut « .

 » Il dit ce qu’il a sur le c£ur  » (Ljubomir Radanovic, un ami)

Ancien joueur du Standard (1988-1992), Ljubomir Radanovic (47 ans) vit à Liège et est un des plus proches amis de Jovanovic. Quand il a besoin de conseils ou de renseignements, l’avant le consulte. Rada est un peu le père spirituel du joueur.  » Il est de la génération de mes deux fils « , avance t-il.  » On devine tout de suite que Jova incarne bien ce qu’est l’âme slave. C’est très spécial et même difficile à comprendre dans un monde occidental où tout est organisé et les émotions contrôlées. Il a eu une bonne formation scolaire et adore lire, notamment les grands auteurs russes. Quand on se rencontre, le football est un sujet de conversation mais on dérive très vite vers d’autres thèmes. C’est la vie dans le sens large du terme qui l’intéresse. Avant de venir en Belgique, il a toujours vécu dans les Balkans et en Europe Orientale (Serbie et Russie). Son univers s’est élargi et enrichi. Sa personnalité est forcément plus complète. L’éducation familiale joue aussi un rôle important dans son comportement. Il analyse très bien tout ce qui se passe autour de lui. Sa politesse saute aux yeux. C’est un acquis de son enfance. La réussite ne le changera pas. Il ne calcule pas, dit ce qu’il a sur le c£ur. Il ne faut pas en profiter ou tenter de le négliger. Si c’est le cas, il peut réagir très vite.

La saison passée au Club Bruges, Milan a eu une prise de bec avec Sergio Conceiçao au centre du terrain. Cela a fait pas mal de bruit. Il respecte tout le monde mais quand Milan a quelque chose à dire, la réputation de son interlocuteur n’est pas importante. Il a étonné à Bruges mais, moi, je me suis dit qu’il avait été entier et honnête dans sa réaction. Il a marqué son territoire ; même face au Portugais que personne n’osait regarder dans le blanc des yeux. Il fallait le faire mais je sais aussi qu’il n’est pas rancunier. Une seconde après un incident, c’est fini. Jovanovic me fait irrésistiblement penser à Novak Djokovic. L’Amérique est folle de ce champion de tennis. C’est un phénomène sportif, cela saute aux yeux, mais il y a plus que le talent. Djokovic offre en plus tout ce qu’il a en lui. C’est un jeune homme qui aime vivre, s’amuser, imiter les autres, communiquer. Les vidéos de Djokovic cartonnent sur You Tube. Je ne dis pas que Milan sera le Djokovic du football. L’avenir nous l’apprendra mais il y a des similitudes. Jova est un homme heureux qui aime partager ses émotions « .

Les jeunes champions sportifs sont les ambassadeurs d’une Serbie qui tourne la page des années 90. En plus de leurs succès, ils veulent donner une nouvelle image de leur pays. Les jeunes comme Djokovic, Jelena Jankovic ou Ana Ivanovic y contribuent largement. Pas mal de footballeurs aussi.

 » C’est évident, mais Milan n’en pas encore là. Il y a un peu plus d’un an, le doute était total. On n’imagine pas par où il est passé. Chez nous, quand on opte pour le football, on n’a pas le choix : c’est le top ou la mort. En Belgique, un joueur peut échouer en D1, retrouver un club en D2 et combiner le football avec un emploi de façon à vivre convenablement. En Serbie, c’est impossible. Si on ne fait pas son trou dans un club du top, c’est fini. Il n’avait pas d’autre voie. Cela forge un caractère mais cela peut le fragiliser aussi. Milan est un survivant. Après ses aventures en Ukraine et en Russie, cet espoir du football n’était plus nulle part. Il a su se redéfinir et se relancer via le Standard. Milan est entré dans la deuxième phase de sa carrière. Ce joueur doit maintenant se faire un nom en Europe. Grâce au Standard, il a intégré les rangs de son équipe nationale. De plus, il est devenu papa. En un an, il a vécu des bouleversements énormes qu’il doit encore digérer. Je le trouve encore fragile. C’est un verre en cristal : magnifique mais on peut le briser en une seconde. Si ce garçon est noyé sous les reproches après un mauvais match, on risque de le crisper, de le perdre, d’hypothéquer le côté imprévu de son jeu. Or, il doit continuer à dribbler. Il faut lui expliquer ce qui ne va pas et il corrigera tout de suite « .

Jovanovic est originaire de Bajna Basta, une petite ville de l’ouest de la Serbie. La Save y coule dans de magnifiques paysages très vallonnés. C’est aussi le coin natal de Bora Milutinovic, un coach qui ne cesse de sillonner le monde entier.  » Quand je jouais au Partizan Belgrade, nous étions souvent en stage près de Bajna Basta « , raconte Radanovic.  » Après le travail en altitude, l’équipe retrouvait le terrain et le ballon dans la vallée. Milan m’a dit qu’il nous avait vus à l’ouvrage dans son premier club. Dès que nous avons fait connaissance à Liège, il me l’a rappelé. Milan est marrant, entier. Il embrasse facilement les autres. C’est sa façon d’être et de partager son bonheur. Quand on discute, il lui arrive de se lever, de m’embrasser et d’exprimer sa joie d’avoir appris quelque chose de nouveau. C’est aussi une forme de respect et de reconnaissance. Entre ex-Yougos, on ne l’appelle pas Jova ou Bisou mais Lané, ce qui veut dire faon en serbo-croate « .

 » Il a dû faire preuve de caractère  » (Zoran Jelikic, un ami)

Zoran Jelikic (54 ans, Standardman de 1983 à 1987) vit à Liège et connaît bien Jovanovic.  » Lané, cela lui va bien car, sur un terrain, il est vif, rapide, gracieux, rapide, agile et imprévisible comme un faon. Je l’ai vu pour la première fois à Novi Sad. Jovanovic était une des jeunes attractions du club de la ville, Vojvodina. J’en ai tout de suite parlé à Vladimir Petrovic (ex-Standard) qui coachait alors l’équipe nationale serbe des Espoirs. S’il était passé de Vojvodina à l’Etoile Rouge, tout aurait été plus facile pour lui. Il jouerait déjà au top européen, à Chelsea, même au Real Madrid. A l’Etoile Rouge, on a l’art de terminer la formation d’une jeune. Il apprend les derniers secrets et on le met en vitrine. Jovanovic n’a pas eu cette chance. Novi Sad a préféré le vendre pour un très bon prix au Shakhtar Donetsk, en Ukraine. C’était trop tôt. Il a perdu trois ans en Ukraine et en Russie. C’était une catastrophe et il a dû faire preuve de caractère et parcourir un long chemin avant de retrouver un club comparable à l’Etoile Rouge Belgrade : le Standard. C’est un joueur formé mais il avait besoin de confiance et de reconnaissance. Il s’affirme et se réalise pleinement au Standard. Il était arrivé par la petite porte grâce au Docteur Nebojsa Popovic qui l’a soigné au genou avant d’en parler à Luciano D’Onofrio. Ce n’est pas une filière mais le hasard : il existe une solidarité entre Serbes à l’étranger et ils se soutiennent. D’ailleurs, comme j’avais des problèmes cardiaques au printemps, il m’a proposé de me ramener en Serbie en voiture avec lui. C’est tout lui, ça.

Il a vraiment saisi sa chance en Belgique. A mon avis, il n’y a pas un attaquant plus spectaculaire que lui en D1. Je ne vois pas qui pourrait être Soulier d’Or ou Professionnel de l’Année à sa place. Du coup, sa cote financière explose. Il a eu des offres à trois ou quatre millions d’euros. A mon avis, ce n’est qu’un début. Jovanovic a bien fait de rester au Standard. Les deux parties sont gagnantes. Le joueur a la possibilité de terminer un cycle et d’acquérir des certitudes. Le Standard a mis la main sur une perle et la fait briller. Au mercato d’hiver, des clubs très riches reviendront à la charge. Pour eux, quand un joueur leur semble indispensable, il n’y a pas de limites : 10 millions d’euros, c’est pas un problème. A sa place, je ne partirais pas avant la fin de la saison. Ce sera à lui de trancher « .

 » Une correction absolue  » (Cvijan Milosevic, son agent)

Cvijan Milosevic (43 ans, ex-Liège, Antwerp, Germinal Ekeren, Westerlo) est son agent :  » Avec lui, tout est simple et très correct. Il ne multiplie pas les accords avec les managers comme c’est parfois le cas des joueurs de l’Est. Jovanovic confirme sa bonne saison passée. C’est primordial. En été, certains clubs très intéressés relevèrent qu’il avait eu un creux en Russie. A Sclessin, il enchaîne après sa bonne saison passée. C’est décisif. De plus, il est encore plus important qu’en 2006-2007. Ses équipiers lui font confiance et savent qu’il peut faire la différence même quand le Standard est à la peine. Il apprécie cette reconnaissance du groupe à son égard. Il est attentif et progressera encore. Je lui parle beaucoup avec Radanovic. Il écoute et je le trouve plus serein, moins emporté sur le terrain. Je crois que le Standard fera la course en tête jusqu’à la fin de la saison. Les Rouches ont besoin de lui s’ils veulent décrocher le titre. De plus, il se sent bien à Liège. Tout peut arriver mais, d’après moi, Jovanovic terminera la saison au Standard « .

par pierre bilic – photos : reporters

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