» JOUER VERS L’AVANT, C’EST CE QUE J’AIME DANS LE FOOT « 

Radja Nainggolan disputait dimanche son 200e match en Série A. A 27 ans, il est devenu incontournable en équipe nationale. Celui que les tifosi romains appellent Le Ninja a réussi l’exploit que personne n’attendait : il s’est fait une place au soleil dans l’entrejeu des Diables.

Trigoria se trouve assez loin du centre-ville. C’est ici que s’entraîne l’AS Rome, le club dont le logo représente la louve, Romulus et Remus, les deux fils jumeaux de Mars, fondateurs de la ville. La piscine est vide et les coussins ont été retirés des fauteuils de la terrasse. Le climat est exceptionnel. Un centre d’entraînement avec terrasse et piscine extérieure, ce n’est pas rare car ici, les équipes sont souvent au vert. Nous sommes vendredi, nous avons rendez-vous avec RadjaNainggolan et les joueurs viennent encore de passer la nuit au complexe d’entraînement. Ce n’est qu’après le petit déjeuner que tout le monde pourra rentrer chez soi. Puis tout le monde se rassemblera l’après-midi pour l’entraînement.

Sur le plan sportif, la situation du club est précaire. La Roma est le seul grand club éliminé de la Coupe d’Italie. En Ligue des Champions, elle a réussi à sortir des poules mais va affronter le Real Madrid. Et en championnat, elle déçoit. Comme c’est toujours le cas en Italie dans ces cas-là, l’entraîneur est sous pression, on spécule sur le nom du successeur de Rudi Garcia et on instaure un silenzio stampa. Interdiction de parler à la presse. Le club consent toutefois une exception pour le Belge, capitaine lors du derby contre la Lazio et considéré comme le nouveau Re di Roma (l’ancien, Francesco Totti, est blessé depuis le début de saison). Une condition toutefois : ne pas aborder la situation actuelle du club.

 » JE CROIS EN MES CAPACITÉS  »

Commençons par votre récente élection au sein de l’équipe de la saison dernière. Quelle importance y accordez-vous ?

RADJANAINGGOLAN : C’est une bonne chose. Quand on voit le nombre de bons médians qui évoluent dans ce championnat, c’est une fameuse reconnaissance.

C’est le couronnement de dix années passées en Italie ?

NAINGGOLAN : Pas seulement. J’ai travaillé dur pour arriver dans un grand club et j’y suis arrivé. Je donne tout sur le terrain. Je ne suis peut-être pas décisif mais j’arrive à faire tourner l’équipe. Mon rôle est clair : il consiste à récupérer le ballon le plus vite possible et à le donner rapidement de façon à pouvoir construire. Je crois que c’est quand je joue comme ça que je suis le meilleur.

Se battre, récupérer et jouer en profondeur.

NAINGGOLAN : Je cherche toujours à jouer vers l’avant, c’est ça que j’aime dans le football.

Pouvez-vous décrire votre évolution en tant que joueur ?

NAINGGOLAN : J’étais très jeune quand je suis arrivé en Italie. Au début, j’ai rencontré de nombreuses difficultés, j’ai dû m’adapter, apprendre la langue… J’ai beaucoup appris au contact d’anciens équipiers, cela a simplifié les choses. J’ai progressé par étapes, aussi. J’ai passé quatre ans et demi à Piacenza, puis je suis allé à Cagliari, où ce fut aussi plus difficile car le niveau était plus élevé. Mais comme j’étais persuadé que j’avais suffisamment de qualités pour m’imposer, je ne me suis pas trop tracassé du fait que je jouais peu. J’ai continué à travailler dur. Après six mois, je suis arrivé dans l’équipe et je n’en suis plus sorti.

La persévérance, c’est votre maître-mot.

NAINGGOLAN : Oui. Et je crois en mes capacités. Après une nouvelle période assez longue, la Roma est venue me chercher et je tente de donner le meilleur de moi-même.

Vous aurez 28 ans à l’Euro. En principe, ce sont les meilleures années. Vous êtes mûr sur le plan tactique, très fort physiquement et vous avez déjà pas mal d’expérience.

NAINGGOLAN : Je n’en sais rien. Je pense que j’étais déjà le même genre de joueur il y a deux ou trois ans. Bien sûr, j’ai désormais davantage d’expérience au plus haut niveau, un joueur ne peut faire que progresser de ce point de vue mais je pense que ce qui fait surtout la différence, c’est l’équipe. Avant, je ne jouais qu’à Cagliari. Maintenant, c’est la Roma. On me suit davantage.

 » LES DIABLES NE DOIVENT AVOIR PEUR DE PERSONNE  »

Où étiez-vous au moment du tirage de l’Euro ?

NAINGGOLAN : Dans l’avion qui nous emmenait à Naples. J’ai appris le nom de nos adversaires à l’atterrissage. Nous avons directement rigolé car il y a pas mal d’internationaux italiens dans mon équipe. Ils m’ont dit que cette fois, c’était du sérieux, que le match que nous avons remporté n’était qu’une rencontre amicale. C’est un tirage difficile mais avec l’équipe que nous avons, nous ne devons avoir peur de personne.

Vous êtes content d’affronter l’Italie ?

NAINGGOLAN : Content, je ne sais pas. Content de rencontrer des équipiers, ça oui, mais moins content parce que je sais que, dans un grand tournoi, l’Italie est toujours difficile à battre, même quand elle n’est pas en forme. On l’a bien vu en 2006. Elle est entre les mains d’un très bon entraîneur, AntonioConte, qui l’a remise sur rails. Tactiquement, elle est toujours très difficile à jouer. La défense de la Juventus, c’est un fameux bloc.

Les Italiens sont-ils vraiment plus forts que les autres au point de vue tactique ?

NAINGGOLAN : Je pense que oui. Quand la Juve élimine le Real Madrid en Ligue des Champions, ce n’est pas parce qu’elle dispose des meilleurs joueurs mais parce qu’elle est plus forte tactiquement. C’est la victoire d’un bloc. Si la Belgique a battu l’Italie dernièrement, même s’il ne s’agissait que d’un match amical, c’est avant tout grâce à trois buts inscrits sur des actions individuelles, pas à la forme du groupe. Avec un Eden Hazard ou un Kevin DeBruyne, c’est à ce niveau-là que nous pouvons faire la différence. Plus deux attaquants qui marquent facilement dans leur club et peut-être moins en équipe nationale. Mais d’un point de vue qualitatif, nous ne devons certainement pas craindre les autres équipes.

Kevin De Bruyne avait été l’homme de la campagne de qualification précédente. Cette fois, c’est vous.

NAINGGOLAN : Je ne sais pas. J’ai l’impression que ça n’a réellement commencé à fonctionner qu’après mon bon match contre la France, à Paris, où j’ai marqué. A partir de là, une sorte de mania s’est installée. Cela m’a donné confiance et j’ai poursuivi sur ma lancée. J’ai toujours dit que plus on jouait, mieux on se sentait au sein d’une équipe. C’est ce qui se passe avec moi en ce moment. La Belgique avait atteint les quarts de finale en Coupe du monde et, dans un coin de ma tête, je me demandais comment j’allais gagner ma place dans cette équipe. Cela faisait des années que j’étais proche du groupe mais pas tout à fait dedans. J’étais repris mais je ne jouais pas, on ne m’accordait pas ma chance… Maintenant, je l’ai saisie mais je me dis que si elle était venue plus tôt, je l’aurais sans doute saisie dès ce moment-là. Mais bon, c’est le football. Pour un sélectionneur, les choix sont toujours difficiles, surtout quand il a beaucoup de bons joueurs.

 » JE SENS QUE MARC WILMOTS A CONFIANCE EN MOI  »

Marc Wilmots vous a-t-il donné des explications ?

NAINGGOLAN : Des explications… Maintenant, je sens qu’il a vraiment confiance en moi. J’ai lu beaucoup de choses et, à un certain moment, il a dû choisir entre moi et quelqu’un d’autre. Et il a opté pour celui qui avait participé à toute la campagne.

Steven Defour.

NAINGGOLAN : Oui. A ce moment-là, il n’y avait rien à dire. J’avais juste le droit d’être déçu. A un certain moment, j’ai pensé que c’était dû au fait que je ne jouais qu’à Cagliari mais quand je suis passé à la Roma, les choses n’ont pas changé directement. Je pense plutôt que c’est dû au fait que Defour est arrivé très tôt dans le groupe des Diables, qu’il a toujours été là, qu’il a été champion avec le Standard, qu’il a disputé la Ligue des Champions… Il était tout simplement plus connu que moi en Belgique.

Quand vous avez eu votre chance, vous avez apporté de la vitesse, de l’agressivité et de la profondeur.

NAINGGOLAN : C’est peut-être ce qu’il manquait. Je pense que j’ai livré une très bonne campagne et je suis heureux qu’on ait apprécié mes prestations.

Avez-vous le sentiment qu’aujourd’hui, votre nom est le premier qu’on couche sur la feuille de match dans l’entrejeu ?

NAINGGOLAN : Non, pas à ce point. Il y a beaucoup de joueurs. Ces derniers temps, j’ai souvent joué à côté de Witsel et avec Kevin De Bruyne devant nous. Mais aussi avec Marouane, ça peut changer. Et n’oubliez pas Moussa Dembélé. C’est un joueur fantastique qui, offensivement, apporte plus que moi. C’est, à mes yeux, le joueur belge le plus talentueux. Et il a un très beau style. Peut-être lui manque-t-il juste un petit quelque chose que l’entraîneur attend.

De la vitesse et de la profondeur.

NAINGGOLAN : Peut-être. Mais quand Moussa a le ballon, il ne le perd pas. Même pas s’il le touche cent fois par match !

Le football repose quand même sur la profondeur et la vitesse.

NAINGGOLAN : C’est aussi mon avis mais d’autres joueurs voient cela autrement. Ce que j’ai montré au cours de la campagne de qualification a plu à l’entraîneur et l’équipe tourne. A moi de faire en sorte que rien ne change.

 » ON FORME UN BON GROUPE EN SÉLECTION  »

Les Diables Rouges sont en tête du classement mondial. Allez-vous en France en candidats au titre européen ?

NAINGGOLAN : C’est ce qu’on attend de nous mais quand on sait qu’il y aura des équipes habituées à gagner, comme l’Espagne et l’Allemagne, je me dis que les favorites, ce sont elles. Et la France, parce que c’est le pays organisateur. Je nous place dans le top 5 et je me dis que si nous rencontrons un de ces pays en quarts ou en demi-finale, tout peut aller très vite : ce sera eux ou nous. Ce sera mon premier grand tournoi mais ce n’est pas une question d’expérience ni de qualité de jeu… Le plus important, c’est de l’emporter. Et pour cela, il faut que l’équipe soit concentrée à 100 % sur sa tâche.

Le jeu des Diables a parfois été très critiqué. Ça vous a touché ?

NAINGGOLAN : La critique est omniprésente. Ici aussi. Si on gagne sept matches d’affilée, on est des futurs champions. Si on en perd deux, on ne vaut plus rien. Ce sont des trucs pour les journalistes, ça fait partie du jeu. Le plus important, pour un joueur, c’est de pouvoir supporter cela et de faire en sorte de donner tort aux gens.

Wilmots ne comprend pas non plus : la Belgique est qualifiée, elle est première au classement mondial, sa défense est solide et elle marque mais elle est critiquée.

NAINGGOLAN : Si nous sommes champions d’Europe en remportant tous nos matches 1-0, est-ce qu’on dira que nous jouons mal ? Non, on fera la fête.

Sommes-nous blasés ? Trop exigeants ?

NAINGGOLAN : Bien sûr ! On dit qu’avec l’équipe que nous avons, gagner ne suffit plus. Alors, on critique. Les gens pensent que nous pouvons être en forme 300 jours par an mais ce n’est pas comme ça que ça marche. Entre joueurs, on ne raisonne pas de la même façon. Le sélectionneur est très clair quant à son style de jeu et à nos rôles. Il a sa vision des choses et s’y tient. Je ne dis pas que nous exécutons tout à la perfection mais les choses sont claires. Nous ne jouons peut-être pas toujours aussi bien que nous le voudrions ou que l’entraîneur le voudrait mais l’important, c’est de ne pas perdre. C’est le bloc qui compte et je trouve que le nôtre est bon. Nous formons un chouette groupe. Les petites vidéos qui circulent sur le web reflètent parfaitement l’ambiance. On rigole beaucoup.

Quel équipier emmèneriez-vous sur une île déserte ? Dembélé vous a choisi parce qu’il dit que vous avez l’instinct de survie.

NAINGGOLAN : Je prendrais un  » étranger  » car il faut survivre. Peut-être Moussa car il se tire d’affaire dans toutes les situations.

 » LE PLUS IMPORTANT, C’EST LA VOLONTÉ  »

L’étranger, c’est la lutte pour la survie ?

NAINGGOLAN : Au début, certainement. Il est difficile de tout abandonner, surtout quand on est toujours adolescent. On se pose des tas de questions sur la vie, sur ce qu’on veut faire. 17 ans, c’est l’âge où on devient adulte, où on a des amis. Tout plaquer, ce n’est pas facile. Quel que soit l’âge, on a intérêt à bien savoir ce que l’on veut. Bien sûr, il faut du talent et de la volonté mais ce qui compte le plus, c’est de savoir où on va.

En ce qui vous concerne, votre situation familiale a sans doute joué en votre faveur : vous étiez déjà habitué à vous débrouiller seul.

NAINGGOLAN : J’ai eu beaucoup de difficultés dans la vie mais je ne sais pas si ça a joué un rôle. On peut avoir la belle vie et atteindre ses objectifs si on y croit vraiment. Ma situation familiale difficile m’a incité à vouloir faire mieux. Je pense que le plus important, c’est la volonté. C’est pourquoi j’ai rejoint l’école de sport de haut niveau. Je n’ai jamais été un très bon élève et là, il y avait moins de cours mais plus de football. Sur le plan financier, nous ne roulions pas sur l’or et ma mère a dû consentir pas mal de sacrifices pour que je puisse y aller.

Face à la Lazio, vous étiez capitaine. Cela a-t-il encore contribué à augmenter votre capital confiance ?

NAINGGOLAN : Même quand je ne porte pas le brassard, j’essaye de montrer l’exemple. Je déteste perdre. Beaucoup de joueurs sont comme moi mais encore faut-il le montrer sur le terrain. Il faut être dur, gagner des duels. Même si le foot, ce n’est pas que cela : il faut aussi pouvoir contrôler le ballon.

C’est là que vous êtes content d’avoir joué dans la rue ?

NAINGGOLAN : Là, effectivement, c’est très technique mais sur un terrain, on a rarement l’occasion de mettre en pratique ce qu’on a appris dans la rue. Ce qui compte, c’est de pouvoir donner le ballon, adresser une passe longue ou tirer au but. Il faut surtout pouvoir analyser chaque situation.

Beaucoup de Diables Rouges sont issus d’un milieu difficile et ont grandi dans la rue.

NAINGGOLAN : C’est peut-être une des raisons pour lesquelles nous disposons d’une bonne génération, je n’en sais rien. Ou on tourne mal, on tombe dans la criminalité, ou on choisit une autre voie et on joue au foot pour tuer le temps… Nous avons tous fait des bêtises mais notre vie, à ce moment-là, tournait surtout autour du ballon.

On vous juge parfois sur votre apparence. Voici peu encore, dans un grand hôtel d’Anvers, des gens vous ont pris pour un terroriste. Cela vous révolte ?

NAINGGOLAN : Cette histoire m’a bien fait rire mais c’est vrai que j’ai un caractère qui fait qu’en certaines situations, je ne réagirais pas toujours comme ça.

Que voulez-vous dire ?

NAINGGOLAN :Je pensais qu’ils s’en prenaient à mon copain et ça me faisait rigoler mais s’ils ne m’avaient pas reconnu, j’aurais sans doute réagi autrement. Pas violemment mais j’aurais sans doute demandé des comptes.

PAR PETER T’KINT À ROME – PHOTOS IMAGEDESK – THOMAS SWEERTVAEGHER

 » Mon bon match en France a tout changé pour moi. C’est là que la Radja-mania a débuté.  » RADJA NAINGGOLAN

 » C’est davantage grâce à nos individualités qu’au collectif qu’on pourra battre l’Italie.  » RADJA NAINGGOLAN

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