Jouer gratis ?

L’assemblée générale de l’Excelsior Mouscron s’est accordé un dernier délai, jusqu’au 17 mars, pour sauver le club. Récit d’une semaine agitée et stressante.

On est le mercredi 4 mars. Deux jours après l’émission Studio 1, au cours de laquelle BenoîtRoul a révélé qu’il n’avait pas de solution. Deux jours avant la fameuse assemblée générale qui doit se prononcer sur la poursuite, ou pas, des activités.

Le temps est gris et pluvieux, comme un signe du destin. Le président JeanPierreDufermont déjeune à la Troisième mi-temps, le clubhouse du stade du Canonnier, avec toute sa petite famille. Il a commandé le plat du jour : des boulettes à la sauce tomate. C’est presque symbolique : le temps du foie gras et du caviar est révolu, il faut se serrer la ceinture et c’est un euphémisme. JPD se veut pourtant optimiste. Comme d’habitude, est-on tenté d’écrire…

Dans la salle des joueurs, l’ambiance n’est pas morose. La plupart vaquent à leurs occupations préférées entre deux entraînements : snooker, fléchettes, poker… AlexandreTeklak est toujours aussi blagueur. Il fut pourtant le premier, avec ChristopheLepoint, à avoir appris la nouvelle le lundi soir.  » Au départ, on s’était rendu à la RTBF pour parler du match contre Anderlecht…  »

MarkVolders ne regardait pas la RTBF lundi soir :  » C’est un journaliste qui m’a informé. J’ai pris un gros coup sur la tête. J’ai réellement pensé : – Voilà, c’estfini ! Alors que, jusque-là, on nous avait toujours annoncé que des solutions étaient en vue. D’autres que moi ont pris peur : mardi matin, lors de la reprise des entraînements, les mines étaient allongées.  »

Volders n’a pas oublié les péripéties vécues à Lommel, où cela s’était mal terminé :  » On n’était plus payé depuis de nombreux mois. On espérait un ultime effort d’un sponsor, et le dernier jour, il a signifié qu’il renonçait à son investissement. C’en était terminé, on s’est retrouvé à la rue. J’ai dû pointer au bureau de chômage. Footballistiquement, j’ai perdu deux ans. A Mouscron, si l’on excepte quelques jours de retard en décembre, les salaires ont toujours été honorés. Cela me rend un peu plus optimiste. Mais on n’est pas au courant de tout, et je le reconnais : je ne suis pas tranquille. La plupart de mes coéquipiers non plus. Hetisbangafwachten. J’attends l’assemblée générale de vendredi avec inquiétude.  »

Inquiet, le capitaine GonzagueVandooren l’est moins :  » Je n’ose imaginer la fin du club, ce serait trop gros.  » Et pourtant…  » La situation financière du club préoccupe les joueurs, c’est clair. Comment pourrait-il en être autrement ? On croise les doigts, mais on n’est pas maître de la situation.  »

BastienChantry, qui arrive en fin de contrat et sait qu’il n’est pas nécessairement dans le collimateur des plus grands clubs, n’est pas trop inquiet non plus.  » J’ai l’impression qu’une solution finira, une fois encore, par se dégager. L’Excelsior ne peut pas périr, ce n’est pas possible : ce club représente trop pour la ville. Et l’état d’esprit dans le groupe est tel qu’on accepterait de jouer gratuitement s’il le fallait.  »

Des projets pour 550 jeunes

Petit détour au Futurosport. Là aussi, les activités suivent leur cours normal. Il y a même une séance de détection de jeunes talents au programme.  » Il en vient de partout « , constate le coordinateur JeanLouisLosfeld.  » Aujourd’hui, on a deux gars d’Orléans, deux du Standard, un d’Anderlecht et un de Paris. Ils rêvent tous de faire carrière en D1 avec Mouscron. Si le club disparaissait, il n’y aurait plus rien, sauf les briques. Je n’ose imaginer une telle issue. Le Futurosport, c’est 550 jeunes. 300 d’entre eux sont inscrits au sports-études, dont 200 dans la section football. Sur ces 200, 70 sont affiliés à l’Excelsior, les autres proviennent d’ailleurs. 65 élèves du sports-études, dont 53 footballeurs, logent à l’internat. Bien sûr, tout cela pourrait continuer, mais si l’Excel ne jouerait plus en D1, la pyramide perdrait son sommet. Ce ne serait plus pareil. Il y aurait aussi énormément d’emplois perdus, puisque l’Excel compte 170 salariés ( NDLR : Losfeld englobe ici toutes les activités créées par l’Excel au sens large, comme les enseignants du sports-études, non payés par le club évidemment).

PhilippeSaintJean se souvient d’événements similaires en décembre 2004. Il était à l’époque l’entraîneur de l’équipe Première.  » On savait que la situation financière n’était pas rose, mais on ne s’attendait pas à une nouvelle aussi brutale. La semaine d’entraînement s’était déroulée tout à fait normalement. Ce n’est que le vendredi soir, la veille du match au Brussels, que l’on a été informé. Lorsque JeanPierreDetremmerie m’a téléphoné, il était en pleurs. Là, j’ai compris que c’était sérieux. Les joueurs se sont téléphoné toute la nuit. Au Stade Edmond Machtens, on a perdu 2-1 à la dernière minute à cause d’une passe en retrait suicidaire de GeoffreyClaeys. Mais le club a continué. ChristopheGrégoire est parti à Anderlecht en janvier.  »

Même l’Agence Wallonne à l’Exportation est contactée…

Jeudi 5 mars. Coup de fil à la rédaction de Sport/Foot Magazine. La voix semble lointaine, provenant d’un autre continent. L’homme est un attaché commercial de l’AWEX (Agence wallonne à l’exportation). Il a reçu un courriel de l’Excelsior, assorti d’une présentation du club, demandant s’il ne connaissait pas, dans son entourage ou ses relations d’affaires, d’éventuels investisseurs intéressés. L’homme voulait savoir de quoi il retournait, estimait que la démarche était intéressante mais s’empressait de préciser que, deux millions, cela ne se trouvait pas sous les sabots d’un cheval, surtout en temps de crise.

Bref, une nouvelle preuve que la cellule commerciale de l’Excelsior se multiplie pour trouver des solutions. Mais, à ce jour, toutes les initiatives se sont soldées par un échec.

Vendredi 6 mars, Jour J. L’horizon, qui semblait s’éclaircir en matinée, s’assombrit très vite. L’investisseur privé qui était disposé à prêter deux millions se retirera dans l’après-midi, faute de garanties. La Ville refusera également, lors d’une dernière réunion tenue à 17 h 30 (soit une demi-heure avant l’AG du club), de cautionner le crédit-pont envisagé. Les banques elles-mêmes refusent le prêt.

L’assemblée générale, pourtant, décide de s’accorder un dernier délai de dix jours. Cela signifie, simplement, que les deux prochains matches de D1 sont assurés.  » Et si cela vous tente, le match des Réserves contre Roulers débute dans une demi-heure « , plaisante Benoit Roul, administrateur.

On se prépare au pire

Samedi 7 mars, Roulers. Les joueurs de l’Excelsior portent un brassard noir qui, dans le contexte actuel, pourrait paraître prémonitoire. En fait, ils s’associent au deuil de leur kiné JeanLucMassin, qui a eu la douleur de perdre son papa. Depuis la montée du club flandrien en D1 en 2005, Mouscron s’est toujours incliné au Schiervelde. Et ce n’est pas encore ce soir qu’il y prendra un point. En l’absence du président J.P. Dufermont, l’Excel reste amorphe en première mi-temps, équilibre davantage les échanges en seconde mais ne se montrera quasiment jamais dangereux. Les échos de l’assemblée générale de la veille ont refroidi les enthousiasmes.

 » Les chiffres sont effrayants « , témoigne Chantry.  » Au départ, on pensait que si le club trouvait deux millions, il était définitivement sauvé. Aujourd’hui, on entend que ces deux millions permettraient seulement de survivre les trois prochains mois. On continue à espérer, mais on craint le pire. Dans ces circonstances-là, le mieux à faire est de se donner à fond pour éveiller l’intérêt d’employeurs éventuels. La motivation devrait encore être plus grande qu’en temps normal. Ce n’était pas le cas, on n’a rien montré. Humainement, on peut comprendre que le c£ur n’y était pas. Pour moi, plus encore que pour d’autres qui ne sont que de passage, c’est un choc. L’Excelsior représente dix ans de ma vie : je m’y suis affilié à l’âge de 13 ans. Tout le monde était perturbé : dans les têtes, c’était catastrophique. « 

Volders, auteur de trois arrêts miraculeux sur la même phase de jeu en fin de première mi-temps, acquiesce :  » Lorsque je monte sur le terrain, j’oublie tout. Mais dans les vestiaires, cinq minutes avant, des pensées sombres me hantaient encore à l’esprit. Elles sont revenues dès le coup de sifflet final. Je pense que je n’étais pas le seul dans le cas. « 

MamadouDiakité, qui fêtait une première titularisation, se souvenait des moments difficiles passés à Setubal, au Portugal :  » J’y ai évolué avec SiramanaDembelé. Pendant quatre mois, on n’avait pas été payés.  »

 » Vivre une faillite, comme ce fut mon cas à Lommel, c’est déjà très difficile « , enchaîne Volders.  » En vivre une deuxième dans une seule carrière, ce serait terrible. Aujourd’hui, je sais seulement qu’on jouera encore samedi contre Courtrai. Après ? Bonne question… « 

C’est en gagnant à Courtrai, le 9 juin 1996, que Mouscron avait acquis le droit de monter en D1. C’est peut-être en affrontant Courtrai, le 14 mars 2009 au Canonnier, que l’Excel terminera son existence…

par daniel devos – photos: belga

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