Jouer avec Radzinski

Le nouveau défenseur louviérois espère être sélectionné dans l’équipe nationale du Canada qui se produira en Ecosse, le 15 octobre.

Parmi la flopée de joueurs acquis par La Louvière durant l’entre-saison, dont beaucoup n’ont pas encore acquis leurs lettres de noblesse dans notre championnat, le jeune défenseur Michael Klukowski (21 ans) a rapidement fait office de révélation. Dès les matches de préparation, il s’est signalé par son intransigeance, son placement et sa relance. Aujourd’hui, il s’est quasiment imposé comme titulaire. La blessure de Georges Arts l’a érigé en arrière central, mais il peut également pallier une défaillance de Yannick Vervalle sur le flanc gauche.

Arrivé de l’équipe B de Lille, qui évolue en CFA (Championnat de France Amateur), Michael Klukowski possède la double nationalité… canadienne et polonaise. Voilà qui rappelle, à nous Belges, un certain Tomasz Radzinski. « En plus, il est originaire de la même ville que moi au Canada: Toronto », dit Michael. « J’espère pouvoir le côtoyer bientôt en… équipe nationale. Car, au niveau footballistique, j’ai opté pour le Canada ».

Michael Klukowski n’a pas encore porté le maillot de l’équipe nationale A, mais il espère recevoir une bonne nouvelle pour le match du 15 octobre que son pays d’adoption disputera en Ecosse. « Comme je joue régulièrement à La Louvière depuis le début de la saison, j’ai bon espoir que ce voeu se réalise. Et, comme le match se déroule dans les îles Britanniques, je pense que Tomasz Radzinski répondra favorablement à l’appel du sélectionneur Holger Osieck. L’ancien Anderlechtois n’est pas réellement un modèle pour moi: nous n’évoluons pas du tout à la même place. Mais j’ai fort envie de réaliser une telle carrière. Ils ne sont pas nombreux, les Canadiens qui réussissent en Europe. Il était une vedette en Belgiqueet est désormais en train de s’imposer à Everton. Moi aussi, je rêve de jouer un jour en Angleterre. Mais pour l’instant, les portes me sont fermées. Pour obtenir un permis de travail là-bas, un joueur extra-communautaire doit avoir disputé 75% des matches de son équipe nationale au cours des deux dernières années. Ce n’est évidemment pas mon cas ».

Au niveau footballistique, Michael Klukowski aurait pu opter pour la Pologne, le pays de ses parents, mais il a préféré suivre une autre voie. « Voici deux ans, j’avais effectué un stage avec les Espoirs polonais. Je me suis entraîné à deux reprises avec l’équipe et je ne m’étais pas trop mal débrouillé, mais j’avais l’impression de me sentir comme un étranger. La langue ne me posait pas de problèmes: je parle polonais, même si mon accent me trahit. Mais mon vécu était totalement différent de ceux de mes équipiers. Je ne connais pratiquement rien de la Pologne. J’y suis simplement allé deux fois en vacances. En fait, je suis né en Autriche, par où mes parents ont transité pour émigrer vers le Canada. J’ai traversé l’Atlantique lorsque j’avais trois mois. C’est là que j’ai grandi, que j’ai mes copains, que j’ai pris mes habitudes, que je me sens chez moi ».

En stage au Standard et à Lokeren

C’est à Toronto que l’on trouve l’une des plus importantes communautés polonaises en dehors d’Europe. « La plus importante se trouve à Chicago, où l’on dénombre près d’un million d’immigrés polonais. Toronto n’arrive pas loin derrière. Dans certains quartiers, on entend encore parler le polonais en rue ou au restaurant. Moi aussi, je pratiquais encore le polonais à la maison. C’est à l’école que j’ai appris l’anglais. Mes parents sont originaires de Varsovie, mais mon père a également vécu à Wroclaw. Dans les années 80, la vie n’était pas facile en Pologne. Beaucoup de mes compatriotes ont choisi l’exil. Tous n’ont pas trouvé d’emblée l’Eldorado. Au début, ma mère a dû se contenter de petits boulots. Puis, elle a été engagée comme caissière dans une grande surface, et après comme secrétaire. Mon père a d’abord travaillé dans un restaurant. Puis, il s’est associé pour monter une affaire, jusqu’à ce qu’un accident de travail l’oblige à renoncer ».

C’est dans ce contexte que le petit Michael grandit, dans la banlieue de Toronto, à une quarantaine de kilomètres de downtown. Comme tous les jeunes de son âge, il a envie de faire du sport. Pourquoi choisit-il le soccer, une discipline qui demeure malgré tout confidentiel là-bas? « En termes d’affiliés, j’ai lu effectivement que le football à l’européenne n’était que le 20e sport au Canada. On dit qu’il est pratiqué essentiellement par des enfants d’immigrés, mais au Canada nous sommes tous des enfants d’immigrés. On a tendance à considérer que les vrais Canadiens sont les Anglais ou les Ecossais, parce qu’ils parlaient déjà l’anglais à leur arrivée et se sont établis outre-Atlantique il y a plusieurs générations déjà, mais en réalité, les seuls vrais Canadiens, ce sont les Indiens! En fait, c’est mon père qui m’a dirigé vers le soccer. Il m’a demandé, au départ, si je voulais jouer au hockey sur glace, mais ce sport là ne m’attirait pas trop. Lors du premier match de football que j’ai disputé en salle, j’ai inscrit cinq buts. J’avais déjà trouvé ma voie. Ce n’est pas un problème pour jouer au soccer au Canada lorsqu’on est jeune. Il y a suffisamment de clubs. Simplement, ce n’est pas organisé comme en Europe, où les clubs possèdent des équipes dans toutes les catégories d’âge, des Pré-Minimes aux Seniors. Là-bas, il y a les clubs Seniors d’un côté, et les clubs de jeunes de l’autre côté. Il n’y a aucun lien ».

De l’argent outre-Atlantique

Michael comprend rapidement que, s’il veut progresser et surtout gagner un peu d’argent, il devra retraverser l’Atlantique. « Les bons entraîneurs ne sont pas légion au Canada. Et le soccer est totalement amateur. Il n’y a pas d’indemnités de transferts, on change de club comme on veut et on ne perçoit pas d’argent. Parfois, pour vous attirer dans un club, on vous propose des billets d’avion ou des chambres d’hôtels pour les parents lorsqu’on participe à un tournoi à l’étranger ».

L’Europe l’attire déjà: à 15 ans, il effectue un stage au Standard et à Lokeren. Ces essais ne se révèlent pas concluants. Deux ans plus tard, il part en France. « J’ai d’abord effectué un essai à St-Etienne. Malheureusement, je n’étais pas prêt, mais les responsables techniques des Verts ont malgré tout décelé certaines qualités en moi et m’ont proposé de rejoindre Dijon, un club avec lequel ils avaient conclu un accord de partenariat. J’y ai joué un an. Si je m’étais imposé, St-Etienne m’aurait repris dans son noyau pour la saison suivante, mais je n’ai pas été retenu. Je me suis retrouvé sans club et je suis retourné chez mes parents au Canada. J »ai retenté ma chance en France, à Lille cette fois-ci, qui a procédé de la même manière qu’à St-Etienne: on m’a prêté à Tourcoing, un club amateur. J’étais un peu déçu et je me suis posé des questions: vivre aussi loin de chez soi pour jouer en 5e division, était-ce bien raisonnable? Je me suis accroché et je me suis efforcé de tout donner, une dernière fois. Si cela ne marchait pas, j’étais décidé à retourner au Canada et à reprendre l’école. Heureusement, cela a marché. Tourcoing a réalisé une très bonne saison et j’ai eu la chance de m’illustrer à l’occasion de deux matches amicaux disputés contre l’équipe Réserve de Lille. Dès le mois d’avril, le LOSC m’a proposé un contrat. J’ai joué deux ans en CFA. Un championnat d’un bon niveau, bien que ce soit la 4e division. Parfois, on affrontait des équipes Réserves d’autres clubs professionnels qui alignaient des titulaires habituels relevant de blessure ».

Recalé, comme Owen Hargreaves

Entre-temps, Michael avait frappé à la porte de l’équipe nationale canadienne… sans obtenir la réponse qu’il espérait. « En -17 ans, je n’ai pas été retenu. On estimait qu’il y avait meilleur que moi. Je n’ai aucune honte à avoir été recalé, car OwenHargreaves, du Bayern, était dans le même cas. Lui, il possède la double nationalité canadienne et anglaise. Nous avons effectué un stage en commun, mais le sélectionneur n’a pas décelé ses qualités. S’il avait été retenu, il aurait dû jouer pour le Canada durant toute sa carrière. Il est ensuite parti au Bayern Munich, où il a joué en Juniors, puis en Réserve et enfin en équipe Première. Il vient de participer à la Coupe du Monde 2002 avec l’Angleterre! En ce qui me concerne, je m’étais dit dans un premier temps que j’avais intérêt à attendre, au cas où une possibilité de jouer pour la Pologne se présenterait. En -18 et en -19, le Canada m’a fait à plusieurs reprises un appel du pied, mais j’ai toujours refusé. Jusqu’à ce que je me rende compte que la Pologne n’était pas vraiment mon pays et que les possibilités d’être sélectionné régulièrement étaient réduites. Lorsque la perspective de participer au Championnat du Monde des -20 ans avec le Canada s’est présentée, j’ai accepté l’invitation. Je ne l’ai pas regretté. J’ai revêtu pour la première fois le maillot de l’équipe nationale lors d’un match amical contre les Etats-Unis, remporté 2-1. J’ai encore participé aux matches de qualification contre le Mexique et la Jamaïque. Le Canada s’est qualifié pour le Championnat du Monde, et bien qu’il ne se soit guère illustré dans le tournoi final, j’ai vécu en Argentine une expérience qui n’est pas donnée à tout le monde ».

Voilà pourquoi Michael Klukowski sera, durant toute sa carrière, un international canadien… ou pas international du tout. « Les voyages pourraient constituer un obstacle si je fais carrière en Europe. J’accepterais de participer aux matches amicaux de l’équipe A ou aux qualifications pour les Jeux Olympiques avec l’équipe Espoirs, mais pas aux stages qui seraient organisés au Canada et aux Etats-Unis. Je dois privilégier ma carrière en club et éviter de m’absenter trop longtemps ».

Actuellement, il peut compter sur les encouragements de sa famille. « Pour l’instant, mes parents et mon frère aîné Adam sont en Belgique. Mon père envisage d’éventuellement retourner s’établir en Pologne. Il n’imaginait pas, lorsqu’il a traversé l’Atlantique pour trouver du boulot, que j’émigrerais 20 ans plus tard en Europe pour exercer mon métier de footballeur. Aujourd’hui, la Pologne a changé. Et ce qu’il a appris au Canada lui permettrait de se présenter sur le marché de l’emploi avec des atouts supplémentaires. Sa connaissance de l’anglais, par exemple, pourrait lui ouvrir des portes dans le secteur du tourisme ou de l’hôtellerie ».

Daniel Devos

« Les seuls vrais Canadiens sont les Indiens »

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