Johan Devrindt

Bernard Jeunejean

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans vont encore dire que je suis un vieux con d’en parler. C’est en 1964, j’ai 12 ans: c’est vous dire si la photo ci-dessus est flatteuse et menteuse par rapport à mon faciès contemporain, mais là n’est pas la question. En 1964, deux trucs uniques ont scoré pour toujours dans l’imaginaire du petit rêveur ès-foot que j’étais. Et dans le vôtre, si vous avez aussi maintenant l’âge d’être un vieux comme j’ai dit. Remember.

Anderlecht élimine Bologne en C1, après qu’on ait dû rejouer le tirage au sort d’après les prolongations du test-match: la pièce avait fait de son nez -oserais-je dire de sa tronche?- en atterrissant une première fois sur sa tranche! Quinze jours plus tôt, Delhasse s’était blessé à la mi-temps de Belgique-Hollande: Trappeniers l’avait remplacé dans les bois qui étaient encore en bois, et l’équipe nationale s’était retrouvée composée de 11 Anderlechtois! L’un d’eux fêtait sa première sélection, et il attendrait 1967 avant de fêter la seconde: il n’avait pas 20 ans, mais c’était un vrai homme pour le vrai gamin que j’étais, c’est-à-dire un vrai dieu comme les 10 autres. C’est le gars de mon titre.

Comme d’autres, Devrindt a peuplé mon enfance avant de s’évanouir avec elle. Grâce à lui, je sais qu’Overpelt (c’est de là qu’il venait) est dans le Limbourg. Grâce à lui, j’ai découvert qu’un footballeur pouvait rester serein face à la concurrence: Devrindt n’a jamais ouvert grande sa gueule, il a géré sans les subir les concurrences de Stockman, Bergholtz puis Mulder. Paisible, son bonhomme de chemin lui a quand même valu 4 titres avec Anderlecht, une seconde moitié de carrière réussie au PSV puis à Bruges, sans compter 15 buts en 23 sélections nationales. Faudra d’ailleurs que je demande à Claude Henrot si ce n’est pas là la meilleure moyenne d’attaquant parmi nos Diables Rouges!

Ceux qui sont nés après 1964, s’ils n’ont pas déjà décroché, se demandent tout doucement où le vieux con veut en venir. J’y viens, j’y viens… Donc, depuis son raccrochage de crampons, Devrindt n’avait ressurgi qu’une fois dans ma mémoire: c’était en 1994, lors de la sortie d’un bouquin sur Goethals.

Raimundo y citait Johan parmi les dix « grands » qu’il avait dirigés en Belgique, et ça m’avait étonné. J’avais souvenir d’un buteur taiseux, battant râblé sans être petit, long torse et centre de gravité plutôt bas. Goethals, lui, parlait de classe ou d’intelligence de jeu, et c’était forcément vrai s’il le disait: et ça voulait dire que les gosses ne regardent pas le foot comme les vieux renards.

Puis Devrindt s’est réévanoui, jusque voici deux semaines. La Gazette des Sports lui consacrait page et photos: Devrindt est devenu chauffeur de car, et c’est lui qui transbahute en déplacement les supporters de Lommel! Ça fait un peu drôle, t’imagines mal Wilmots bosser dans son Scania en 2025, mais bon: autres temps, autres moeurs. Mais ce qui m’a laissé comme onze ronds de flan, c’est que Devrindt ne regarde pas les matches de Lommel, MEME SI C’EST A ANDERLECHT! Pendant la rencontre, Johan trouve son p’tit bonheur en deux temps: un, il va s’acheter un sachet de frites avec de la mayonnaise; deux, il s’assoupit devant son volant en attendant la fin du match.

Je ne rigole pas. Peut-être était-ce à cause du détail si prégnant qu’était la mayonnaise, mais cette révélation m’a bouleversé: zeg, Johan, t’es là, à deux pas d’une pelouse bruyante qui ne pourrait que raviver des souvenirs heureux, et tu préfères rester seul dans ton bahut!? C’est dingue, ou plutôt ça ne l’est pas: t’as raison si t’as envie, la nostalgie n’est pas la sérénité. Les bons moments d’hier ne sont pas les bonnes frites d’aujourd’hui. Maintenant qu’on a à peu près le même âge, je peux te le dire: t’es un sage, seul avec ton sachet.

Bernard Jeunejean

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